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Garantir des avantages juridiques aux réfugiés climatiques en Afrique

L’Afrique possède des cadres avancés concernant les migrations climatiques, mais elle a besoin d’aide pour les mettre en œuvre.

Le nombre de déplacés en raison de phénomènes météorologiques extrêmes en Afrique a augmenté de 600 % entre 2009 et 2023. Il touchait alors 6,3 millions de personnes, victimes notamment d‘inondations et de tempêtes suivies de sécheresses, d’incendies de forêts, de glissements de terrain, d’érosion et de températures extrêmes.

Dans toutes les régions africaines, les changements climatiques, les graves sécheresses, les tempêtes et l’élévation du niveau de la mer contraignent des personnes à quitter leur foyer en quête de sécurité et de moyens de subsistance plus durables.

L’Afrique dispose de cadres juridiques parmi les plus avancés au monde concernant la protection des personnes déplacées à cause du changement climatique. Cependant, leur application fait défaut.

La raison en est, parmi d’autres, la montée des nationalismes et une faible volonté politique de soutenir les réfugiés. S’y ajoutent également la limitation des ressources, l’inadaptation des systèmes d’asile et l’absence de précédents juridiques. Le manque de connaissances techniques sur l’interaction entre le changement climatique et des facteurs de déplacement plus connus, tels que les conflits et la pauvreté, et sur la manière d’appliquer la législation entrave également leur mise en œuvre.

Entre 2009 et 2023, le nombre de déplacés climatiques en Afrique a augmenté de 600 %

Le changement climatique ne faisait pas partie de ces facteurs lorsque les conventions internationales et africaines relatives aux réfugiés et aux personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays ont été établies, en 1951, 1969 et 1991. Pourtant, ces conventions constituent d’importantes sources de protection pour les personnes contraintes de quitter leur domicile en raison de phénomènes météorologiques extrêmes.

Cette semaine, d’éminents spécialistes du droit des réfugiés et des droits de l’homme lancent une boîte à outils mondiale destinée à guider les gouvernements africains, entre  autres, dans la résolution de ce problème. La boîte à outils englobe les instruments juridiques internationaux et régionaux d’Afrique, d’Amérique latine et d’Europe, avec une analyse particulièrement approfondie des critères africains relatifs aux réfugiés. Elle s’appuie sur les principes juridiques en vigueur pour expliquer comment le changement climatique et les catastrophes peuvent contribuer à justifier les demandes de protection en conformité avec ces instruments.

 

D’ici 2050, jusqu’à 5 % des deux milliards d’Africains, soit 113 millions de personnes, pourraient se déplacer en raison du changement climatique, contre 1,5 % aujourd’hui. La plupart resteront dans leur pays, mais la mobilité transfrontalière augmentera également. D’autres migrants ne disposeront pas des ressources nécessaires pour se déplacer et seront « piégés » dans une immobilité forcée.

Peu de pays africains utilisent les instruments régionaux face au changement climatique

Les liens entre le changement climatique, l’insécurité et les déplacements sont de plus en plus évidents. Si le changement climatique n’est pas directement à l’origine des conflits, il amplifie les risques et les fragilités. Dans les régions d’Afrique où il y a déjà des tensions, une mauvaise gouvernance et des problèmes socioéconomiques, les effets du climat peuvent déclencher des violences, des manifestations et des déplacements de population.

Les cinq plus grandes opérations de paix des Nations unies en Afrique sont déployées dans les pays les plus vulnérables au changement climatique : la République centrafricaine, le Soudan du Sud, la République démocratique du Congo, le Mali et le Soudan. Les administrateurs, les juges et les agents chargés de déterminer le statut de réfugié doivent comprendre ces liens afin d’évaluer correctement les dossiers et d’établir comment les lois sur les réfugiés doivent traiter les déplacements liés au climat.

Sur le papier, l’Afrique est en avance sur le reste du monde dans ce domaine. La Convention de l’Organisation de l’unité africaine régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique (Convention de l’OUA), adoptée en 1969, est largement célébrée pour son approche élargie de la protection des réfugiés. La convention va au-delà de l’eurocentrisme de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, pour protéger les personnes fuyant des conditions plus générales de troubles ou de bouleversements en Afrique.

La Convention de l’OUA étend la protection des réfugiés aux personnes contraintes de quitter leur domicile en raison « d’événements troublant gravement l’ordre public ». Toutefois, une certaine incertitude subsiste dans les milieux juridiques quant à leur définition exacte. Jusqu’alors, les débats avaient principalement porté sur la question de savoir si les événements « naturels », tels que les catastrophes, étaient inclus, ou seulement les perturbations « causées par l’homme », telles que les conflits.

Au fil du temps, ils ont fait place à une reconnaissance plus nuancée de la multiplicité des causes des troubles à l’ordre public, y compris le changement climatique ou les effets des catastrophes. Lorsque le changement climatique et les catastrophes génèrent ou aggravent les risques de préjudice grave, les demandes d’asile des personnes concernées peuvent être validées.

La boîte à outils explique comment utiliser les conventions sur les réfugiés

La Convention de l’Union africaine sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays de 2009 (Convention de Kampala) a été, et est toujours le premier accord régional contraignant protégeant les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays. Elle étend explicitement la protection aux personnes contraintes de fuir « en raison de, ou pour éviter les effets de [...] catastrophes naturelles ou causées par l’homme ».

L’Afrique a également fait preuve de clairvoyance en élaborant des protocoles de libre circulation qui intègrent des considérations de mobilité liées au climat. Même s’ils ne sont pas contraignants, ces protocoles peuvent permettre la circulation transfrontalière de personnes qui pourraient se voir refuser d’autres voies de migration ou la protection accordée aux réfugiés.

Ainsi, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) ont conclu des accords de libre circulation respectivement pour l’Afrique de l’Ouest et la Corne de l’Afrique. Le Protocole de l’IGAD sur la libre circulation personnes de 2020 est le seul texte mondial de ce type qui traite explicitement du changement climatique.

La Déclaration ministérielle de Kampala sur les migrations, l’environnement et le changement climatique a été signée par 11 pays d’Afrique de l’Est en 2022. Il s’agit du premier cadre régional sur la mobilité dans le contexte du changement climatique.

Malgré ces avancées sur le plan juridique, on a peu de preuves d’utilisation de ces instruments par les pays africains. En 2011, la sécheresse a entraîné une famine généralisée en Somalie, aggravée par des décennies de violence, alors que les pays voisins, le Kenya et l’Ouganda, en ont moins souffert. Bien que le Kenya et l’Ouganda aient reconnu les Somaliens fuyant la sécheresse et la famine comme des réfugiés prima facie, le Kenya a temporairement fermé sa frontière avec la Somalie, invoquant des problèmes de sécurité nationale.

Alors que les pays ont du mal à appliquer les cadres relatifs à la libre circulation et aux réfugiés dans le contexte du changement climatique, ceux-ci présentent un potentiel important. L’Union africaine, les Nations unies, les universitaires et les États africains ont demandé à pouvoir les utiliser, ce qui indique qu’il existe bien une volonté politique en ce sens. La question est de savoir comment passer de la politique à la pratique.

S’appuyant sur les recherches et les conseils du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, la boîte à outils explique comment les effets du changement climatique peuvent générer des « événements troublant gravement l’ordre public », par exemple dans des situations impliquant des catastrophes graves ou soudaines. Ces événements peuvent également être combinés à d’autres facteurs, notamment les conflits et la violence.

La boîte à outils montre également comment des évènements à évolution lente, comme  la sécheresse, peuvent aussi peu à peu perturber l’ordre public. Elle guide les gouvernements et les décideurs sur les preuves ou les indicateurs qui peuvent être utilisés et sur la manière dont le principe de non-refoulement peut augmenter la protection.

La protection des réfugiés et les protocoles de libre circulation ne sont pas la panacée pour les personnes déplacées par le changement climatique. Cependant, leur rôle peut et doit être renforcé. Les gouvernements devraient appliquer la boîte à outils, et la société civile et les législateurs devraient chercher à mieux comprendre les mécanismes par lesquels le changement climatique entraîne des déplacements.

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L’Open Society Foundations (OSF) a apporté un précieux soutien à l’élaboration de la boîte à outils. L’ISS tient à remercier les membres du Forum de partenariat de l’Institut, notamment la Fondation Hanns Seidel, l’Open Society Foundations, l’Union européenne, ainsi que les gouvernements du Danemark, de l’Irlande, de la Norvège, des Pays-Bas et de la Suède.
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