La variole inquiète l’Afrique
Même si la mpox n’est pas la COVID-19, les leçons de la pandémie n’ont pas été retenues.
Une inquiétante impression de déjà-vu traverse l’Afrique, alors que l’épidémie de variole s’étend depuis la République démocratique du Congo (RDC). Est-ce une nouvelle COVID-19 ? Probablement non, car la variole ne se transmet pas aussi facilement que le virus de la COVID-19 : elle nécessite un contact physique direct et se transmet aussi par voie sexuelle.
Il ne s’agit pas non plus d’une pandémie, puisque la maladie n’a atteint jusqu’à présent que 13 pays africains, avec une forte concentration en RDC. Elle est également moins mortelle. Néanmoins, le 13 août, les Centres africains de contrôle et de prévention des maladies (CDC Afrique) ont déclaré qu’il s’agissait d’une urgence de santé publique relevant de la sécurité continentale. Le lendemain, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) l’a classée comme une urgence de santé publique de portée internationale.
Une inquiétante impression de déjà-vu traverse l’Afrique à mesure que l’épidémie de variole se propage
Cette semaine, le Dr Jean Kaseya, directeur général de CDC Afrique, a signalé 3 953 nouveaux cas et 81 décès sur le continent au cours de la semaine écoulée. Le nombre total de cas pour cette année s’élève à 22 863, dont 3 641 confirmés et 19 222 suspectés, et 622 décès. L‘Afrique centrale, principalement la RDC, est la plus atteinte avec 20 719 cas et 618 décès. L’Afrique du Nord n’a rapporté aucun cas.
Nombre de cas déclarés et de décès par pays Source : Données du CDC Afrique
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Nombre de cas suspectés et confirmés et de décès, RDC et reste de l’Afrique Source : Données du CDC Afrique
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En plus de ce bilan préoccupant, la situation suscite des critiques qui rappellent celles formulées lors de la COVID-19, notamment concernant le retard du monde à aider l’Afrique. L’OMS a été critiquée pour autoriser seulement maintenant des organisations internationales comme GAVI et l’UNICEF à faire don de vaccins alors que la mpox existe depuis des années. Selon Kaseya, les premiers vaccins devraient arriver en RDC d’ici le 1er septembre.
Le New York Times a rapporté la semaine dernière que les livraisons de vaccins étaient jusqu’à présent « bloquées dans un processus byzantin de réglementation des médicaments à l’OMS ». Kinshasa aurait demandé ces vaccins il y a déjà deux ans.
Trois ans après la dernière épidémie mondiale de variole, l’OMS n’a toujours pas approuvé officiellement les vaccins, contrairement aux États-Unis et à l’Europe, ni n’a délivré de licence d’utilisation d’urgence pour en accélérer l’accès. L’une de ces deux démarches est nécessaire pour que l’UNICEF et GAVI, qui facilite les vaccinations dans les pays en développement, puissent acheter et distribuer les vaccins contre la variole dans les pays à faible revenu comme le Congo.
Helen Rees, membre du comité d’urgence CDC Afrique pour la mpox et directrice exécutive du Wits RHI à Johannesburg, a qualifié d’« inacceptable » que l’Afrique, déjà désavantagée dans l’accès aux vaccins durant la COVID, soit à nouveau négligée.
L’OMS n’est pas la seule à être critiquée : la RDC aurait tardé à autoriser les vaccins
L’OMS justifie ce retard par une prudence excessive. Les deux vaccins disponibles, bien qu’efficaces contre la variante clade 2 en Europe en 2022, n’ont pas été entièrement testés pour la variante clade 1b, plus virulente, qui sévit actuellement en Afrique.
L’OMS aurait aussi attendu de mieux comprendre l’ampleur de l’épidémie avant de délivrer une autorisation d’utilisation d’urgence. Selon Kaseya, le directeur général de l’OMS, le Dr Tedros Ghebreyesus, a autorisé GAVI et l’UNICEF à distribuer les vaccins en attendant l’approbation formelle de l’OMS.
Ainsi, 215 000 doses données par l’Union européenne et Bavarian Nordic (qui fabrique le vaccin JYNNEOS), 100 000 par la France, 50 000 par les États-Unis et 15 000 par GAVI devraient arriver dès le 1er septembre.
Kaseya, qui avait déjà déclaré que l’Afrique aurait besoin de 10 millions de doses d’ici fin 2025, a annoncé cette semaine qu’il s’attendait à d’autres dons. L’Allemagne, par exemple, attend la présentation du plan de réponse continental de l’Afrique, que Kaseya prévoit de soumettre cette semaine sous forme de projet aux partenaires. Ce plan devrait être approuvé par les gouverneurs des CDC africains, puis adopté par les chefs d’État africains lors d’une réunion en septembre, où d’autres dirigeants sont également attendus.
Il faut livrer 10 millions de doses aux Africains vulnérables et développer une stratégie à long terme
Kaseya a souligné qu’il n’existait pas de traitement pour la variante clade 1b et que l’Afrique devait donc également mettre en place des mesures préventives. Les publics ciblés par les vaccins seront principalement les travailleurs du sexe ainsi que les jeunes enfants qui sont touchés de manière disproportionnée, probablement en raison des contacts étroits en classe et de la malnutrition, particulièrement dans l’est de la RDC.
Cependant, comme pour la COVID, l’Afrique souffre de ne pas fabriquer ses propres vaccins. « Notre continent n’est pas prêt pour une nouvelle pandémie, déplore Kaseya. Nous manquions de vaccins, de médicaments, de seringues, de gants, et nous avons été abandonnés. Aujourd’hui, nous sommes dans une situation similaire, cherchant désespérément des vaccins que nous ne fabriquons pas. »
Il a toutefois précisé que CDC Afrique discutait avec Bavarian Nordic d’un transfert de technologie aux fabricants africains. Sur les neuf entreprises intéressées, une seule avait la capacité de produire le vaccin JYNNEOS.
Cependant, Stavros Nicolaou, d’Aspen Pharmacare, souligne que pour rendre l’Afrique plus autonome dans la fabrication de vaccins lors des épidémies, il faut d’abord développer une production durable de vaccins contre les maladies courantes, comme ceux administrés régulièrement aux enfants. Les pays africains et les agences internationales comme l’UNICEF devront commencer à se procurer ces vaccins auprès d’entreprises pharmaceutiques africaines.
« On ne peut pas attendre des producteurs africains qu’ils fabriquent des vaccins uniquement à la demande », a-t-il déclaré à ISS Today. Sans une production continue de vaccins de routine, il est impossible de soutenir ces entreprises. Une stratégie à long terme, qui aurait dû débuter avec la COVID, est nécessaire.
En attendant, l’Afrique restera largement dépendante des dons de gouvernements et d’agences comme GAVI pour obtenir ces vaccins, dont le coût s’élève à 100 dollars par dose. Kaseya a déclaré avoir besoin de 10 millions de doses pour cinq millions de personnes, le traitement nécessitant deux doses.
Selon une source industrielle, le premier lot attendu le 1er septembre ne devrait pas dépasser 40 000 doses, bien que Bavarian Nordic affirme pouvoir produire 2 millions de doses cette année et 10 millions d’ici la fin de 2025.
L’OMS n’est pas la seule à être critiquée. La RDC aurait tardé à autoriser les vaccins. Le Dr Lenias Hwenda, directeur général de Medicines for Africa, s’interroge sur la raison pour laquelle CDC Afrique n’a commencé à négocier l’accès aux vaccins que la semaine dernière, « malgré l’aggravation de l’épidémie ».
Il est impératif d’acheminer ces 10 millions de doses aux Africains vulnérables et de développer une stratégie à long terme pour prévenir la prochaine urgence.
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