La République du Congo ne peut pas se permettre de perdre ses requins

Les artisans pêcheurs peuvent-ils contribuer à prévenir la pêche illégale et la destruction de la précieuse population de requins ?

Les requins sont essentiels à la bonne santé des océans, et la sécurité alimentaire de la République du Congo en dépend. Pourtant, les requins sont menacés dans les eaux africaines en raison de la pêche illégale, non réglementée et non déclarée et de la faible gouvernance du secteur de la pêche.

Chaque année, l’Afrique perd un million de tonnes de poissons en raison de la pêche illégale, ce qui représente un dixième des pertes annuelles mondiales. Le coût économique pour l’Afrique se situe entre 10 et 13 milliards de dollars US par an. La pêche illégale s’est développée le long des côtes africaines, épuisant de nombreuses espèces marines. Les requins, qui sont menacés d’extinction, sont répertoriés dans la Convention sur la conservation des espèces migratrices appartenant à la faune sauvage et la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES).

En 2001, la République du Congo a interdit la pêche au requin dans sa zone économique exclusive située dans l’océan Atlantique. Malgré cette interdiction, ces eaux sont en passe de devenir un point névralgique pour la pêche illégale au requin. Les populations de requins qui sont vulnérables sont ainsi soumises à une pression telle qu’elle limite, à son tour, leur reproduction et entraîne une chute rapide du nombre d’individus.

Le problème est dû à la consommation locale de chair de requin transformée et à la demande d’ailerons de requin en Asie. Plusieurs facteurs aggravent cette situation, notamment l’ouverture de la pêche en mer toute l’année. Les bateaux de pêche, qu’ils soient artisanaux ou industriels, sont autorisés à pêcher à n’importe quelle période, dans le respect de leurs quotas.

Les bateaux de pêche artisanaux et industriels peuvent travailler toute l’année en respectant leurs quotas

La Direction de la pêche dispose de capacités et de ressources limitées pour superviser et faire appliquer la législation, ainsi que pour contrôler la pêche par la localisation, les patrouilles et l’arraisonnement des navires. Un haut fonctionnaire de la direction a déclaré au projet ENACT que des équipements essentiels manquaient, tels que des bateaux de surveillance, pour maintenir l’ordre dans le vaste domaine maritime du pays et lutter contre la pêche illégale des requins.

Selon une évaluation menée en République du Congo sur le commerce artisanal de requins, il y aurait plus de 110 chalutiers industriels en activité, y compris les navires battant pavillon congolais. S’y ajoutent 700 bateaux de pêche artisanale opérant le long de la courte côte de 169 km. Selon la Wildlife Conservation Society, basée à Brazzaville, cette flotte dépasse la capacité estimée de la zone économique exclusive du pays, qui ne devrait pas excéder les 30 navires industriels.

Les bateaux industriels congolais et étrangers, légalement autorisés à pêcher, profitent de la faiblesse de la surveillance pour se livrer à des pratiques néfastes, telles que l’utilisation d’engins de pêche non conformes et le non-respect des zones réglementées. Dans la ville portuaire de Pointe-Noire, les artisans pêcheurs captureraient entre 400 et 1 000 requins par jour en haute saison. Des navires de pêche chinois, espagnols et sud-coréens cibleraient les côtes d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale pour pêcher au chalut tous types de poissons, dont les requins.

La pratique du transbordement en mer, qui consiste à transférer une cargaison d’un navire à un autre pour l’acheminer vers sa destination finale, est devenue un moyen essentiel de blanchir les prises de pêche illicites dans la chaîne d’approvisionnement en produits de la mer. Le transbordement permet également aux navires de pêche de rester plus longtemps en mer. Ces opérations illégales privent la République du Congo de précieuses recettes fiscales.

La République du Congo dispose de 47 lois sur la pêche ; pourtant la pêche illégale persiste

La pêche illégale menace un bon nombre d’espèces de requins parmi les 42 que l’on trouve le long des côtes du pays, notamment le requin mako, le requin-renard et le requin-marteau halicorne, qui sont considérés comme étant des espèces « en danger critique d’extinction ». Ces pratiques mettent également en danger la biodiversité et les moyens de subsistance des populations côtières. Les chalutiers détruisent les écosystèmes océaniques : ils endommagent les fonds marins en ratissant les organismes aquatiques et en dévastant les habitats vitaux que sont les herbiers marins et les récifs coralliens.

Il en résulte une diminution des prises par les communautés, ce qui met en péril les moyens de subsistance des populations locales. Les prises des artisans pêcheurs sont constituées de plus en plus souvent de jeunes requins, ce qui est un signe inquiétant d’appauvrissement de la pêche au requin, qui n’est plus viable et pourrait mettre en péril le commerce de la pêche d’ici quelques années.

En tant que superprédateurs, les requins occupent le sommet de la chaîne alimentaire et maintiennent l’équilibre des réseaux alimentaires. La surpêche peut déstabiliser et détruire les réseaux alimentaires. Les requins régulent également le comportement d’autres animaux, en empêchant les tortues et les dugongs de surpâturer les herbiers marins. Les prairies marines sont des habitats essentiels à la croissance de petites populations de poissons et elles stockent le carbone 40 fois plus vite que les forêts terrestres.

La République du Congo possède 47 lois et décrets sur la gouvernance de la pêche. Pourtant, la pêche illégale persiste en raison d’une application laxiste de la loi et de l’insuffisance des équipements de surveillance. Les organisations de la société civile doivent continuer à faire pression sur Brazzaville pour que le pays reconnaisse les préjudices subis et fasse appliquer ses lois sur la protection et la conservation des requins, ainsi que les protocoles internationaux qu’il a ratifiés.  

Les solutions devraient consister à travailler avec, et non contre le secteur de la pêche artisanale

Il faudrait en priorité procéder à l’acquisition, au déploiement et à l’installation de technologies de surveillance maritime, avec des bateaux, des capteurs à terre et des dispositifs de communication. Ces technologies pourraient permettre de collecter, de transmettre et d’analyser des données maritimes en temps réel, notamment sur les déplacements des navires, la pêche illicite et la criminalité maritime qui en découle.

Il est essentiel de se doter de stratégies de conservation pour préserver les espèces de requins menacées dans les eaux côtières du pays. La Direction de la pêche devrait faciliter la création de zones entièrement protégées pour les habitats essentiels, notamment les aires d’alevinage, de reproduction et d’alimentation, ainsi que les couloirs de migration des espèces de requins encore en vie.

Les stratégies uniques ne suffiront pas. Selon Ife Okafor-Yarwood, experte en gouvernance et sécurité maritimes à l’École de géographie et de développement durable de l’Université de St Andrews, en Écosse, les solutions devraient consister à travailler avec le secteur de la pêche artisanale, et non contre lui.

Elle a expliqué à ENACT que le gouvernement cible souvent les petits pêcheurs plutôt que de s’intéresser au secteur de la pêche industrielle. Cela s’explique soit parce qu’ils ont des intérêts communs en raison des revenus qu’ils engrangent, soit tout simplement parce qu’ils ont une capacité limitée à faire respecter la loi. À long terme, la collaboration avec le secteur artisanal pourrait contribuer à combler les lacunes en matière d’application de la loi. Les pêcheurs pourraient devenir les yeux du gouvernement en mer et se sensibiliser mutuellement concernant les effets néfastes de la pêche illégale.

La coopération bilatérale avec des organismes régionaux de sécurité maritime peut également protéger les requins de la pêche illégale en améliorant la surveillance de la zone économique exclusive du pays.

Oluwole Ojewale, coordinateur de l’Observatoire régional du crime organisé – Afrique centrale, ISS

Cet article a été publié pour la première fois par ENACT.

Image : © Alamy Stock Photo

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