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La réforme fiscale mondiale n’effacera pas le déficit chronique de capitaux de l’Afrique

Les Nations unies ont décidé qu’une autorité intergouvernementale fixera les règles fiscales et freinera les flux financiers illicites.

Le 22 novembre 2023, une coalition de 125 pays menée par le Nigeria — principalement des pays en développement — a remporté un vote important à l’Assemblée générale des Nations unies sur l’élaboration d’une convention relative aux règles internationales en matière de fiscalité et de lutte contre les flux financiers illicites.

Ce vote onusien est une victoire pour les militants africains qui exigent depuis longtemps de la communauté internationale qu’elle retire à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) le contrôle de la réforme fiscale mondiale. Les militants, ainsi que de nombreux gouvernements, soupçonnent l’OCDE de ne pas être à la hauteur de cette responsabilité. Nombre de ses riches États membres bénéficient de pratiques financières douteuses, comme la domiciliation de leurs opérations africaines dans des paradis fiscaux offshore.

En 2015, le Groupe de haut niveau des Nations unies a estimé qu’au moins 50 milliards de dollars US de capitaux illicites quittaient l’Afrique chaque année. En 2020, la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement a indiqué qu’entre 2013 et 2015, la fuite de capitaux avait fait perdre en moyenne 88,6 milliards de dollars par an à l’Afrique.

Si tous ces flux sortants étaient réinjectés dans les finances publiques du continent (et utilisés à bon escient), l’Afrique bénéficierait incontestablement d’une bouffée d’oxygène au moment où elle souffre d’un déficit en capitaux à la fois grave et chronique. Les contraintes budgétaires freinent clairement la croissance des économies africaines.

Le pays africain médian consacre 10 % de ses recettes au service de la dette

Le 29 novembre dernier, la Banque africaine de développement (BAD) a revu à la baisse ses prévisions de Produit intérieur brut (PIB) pour l’Afrique pour 2023 et 2024, respectivement de 4 % et 4,3 % à 3,4 % et 3,8 %. Elle a déclaré que la baisse reflétait « les effets persistants à long terme de la COVID-19, les tensions et conflits géopolitiques, les chocs climatiques, un ralentissement économique mondial et une faible marge de manœuvre fiscale pour les gouvernements africains afin de répondre de manière adéquate aux chocs et de soutenir les acquis de la reprise économique à la suite de la pandémie ».

La BAD a mis l’accent sur l’inflation, déclarant que si les économies avancées sont parvenues à maîtriser les augmentations post-COVID-19, l’inflation s’est quant à elle poursuivie en Afrique. Elle est passée de 14,5 % en octobre 2022 à 18,5 % en octobre 2023,  le niveau le plus haut de ces dix dernières années. L’estimation du FMI est plus élevée encore, avec une moyenne de 20,7 % en 2023 et une inflation des denrées alimentaires toujours à deux chiffres qui maintient environ 158 millions d’Africains en situation d’insécurité alimentaire aiguë.

La BAD a déclaré que cette situation pesait sur les performances économiques du continent à court et moyen terme et nuisait aux pauvres. Elle a imputé l’inflation aux « chocs de l’offre dans l’agriculture, à une inflation importée plus forte due à des monnaies locales plus faibles, à des prix des matières premières relativement élevés et à la persistance de la dominance budgétaire dans plusieurs pays africains ».

On parle de « dominance budgétaire » lorsque la dette nationale et les déficits budgétaires sont excessifs, ce qui rend difficile le contrôle de l’inflation par la politique monétaire, c’est-à-dire en augmentant les taux d’intérêt comme le font les économies avancées. La BAD a déclaré que l’inflation avait obstinément résisté à « de hautes doses de politique monétaire rigoureuse », citant trois des plus grandes économies africaines comme celles qui luttent le plus. L’inflation au Nigeria était de 25 % l’année dernière, malgré des taux d’intérêt de 18 % ; l’Égypte a connu une inflation de 24 % malgré des taux d’intérêt de 19 % ; l’Éthiopie connaissait une inflation de 32 % malgré des taux d’intérêt de 8 %.

Dix ans de tensions géopolitiques pourraient abaisser de 4 % le PIB de l’Afrique subsaharienne

Dans ses prévisions d’octobre 2023, le FMI a noté que le déficit budgétaire moyen de l’Afrique avait fortement progressé, pour atteindre 7,9 % du PIB en 2020, principalement en raison de la COVID-19. La dette publique avait également explosé pour atteindre 66 % du PIB en 2020. Depuis lors, le déficit budgétaire moyen est tombé à 4,5 % en 2023, mais la dette publique moyenne n’a que légèrement diminué pour s’établir à 65,2 %.

Sur les 39 pays africains à faible revenu, 10 étaient en situation de surendettement, 12 présentaient un risque élevé de surendettement et les 17 autres un risque moyen. Ainsi, le pays africain médian consacrait 10 % de ses recettes publiques au service de la dette, soit plus du double qu’il y a dix ans et trois fois le niveau des économies avancées.

À l’instar de la BAD, le FMI a attribué la « difficile » année 2023 de l’Afrique principalement au resserrement de la politique monétaire mondiale pour freiner la hausse rapide de l’inflation en 2022. La baisse de la croissance mondiale qui a suivi a réduit la demande extérieure pour les exportations africaines, fait grimper les taux d’intérêt nationaux et augmenté les coûts d’emprunt étrangers, en partie à cause de la dépréciation persistante des taux de change africains. « Ajoutés à des niveaux d’endettement élevés et à des défis structurels profonds, ces facteurs se sont combinés pour réduire l’accès aux financements extérieurs, un nouveau choc pour un continent qui émerge encore de... la COVID-19 ».

Toutefois, le FMI entrevoyait quelques signes d’espoir avec la légère baisse des taux d’intérêt mondiaux, la normalisation des chaînes d’approvisionnement à l’échelle mondiale et la modération du prix de plusieurs produits de base – en particulier les prix alimentaires internationaux, qui ont chuté de plus de 20 % en 18 mois. Cette situation est particulièrement critique pour l’Afrique.

Sur les 39 pays africains à faible revenu, 10 étaient surendettés et 12 à haut risque

Le FMI a déclaré que l’Afrique réagissait par un léger accroissement de son activité économique, en partie grâce à une reprise continue des services et du tourisme, à des envois de fonds plus élevés que prévu, à l’amélioration de la production agricole et à l’augmentation de l’extraction des ressources. Cela explique sa prévision d’une légère hausse du PIB africain moyen en 2024, de 3,2 % à 3,8 %.

La BAD prévient toutefois qu’un nouveau resserrement des conditions financières mondiales pourrait accroître la pression à la dépréciation des monnaies africaines, augmenter le coût du service de la dette, mettre davantage de pays en situation de surendettement et réduire les dépenses de services sociaux. Cela pourrait alimenter l’inflation et provoquer une hausse des taux d’intérêt locaux, étouffant ainsi la croissance.

La BAD indique également que l’aggravation des tensions géopolitiques pourrait perturber davantage le commerce et l’investissement au niveau mondial. Le FMI estime que 10 années de tensions géopolitiques accrues pourraient coûter à l’Afrique subsaharienne une baisse définitive de 4 % du PIB.

Le FMI et la BAD recommandent aux pays africains de maintenir à court terme des taux d’intérêt faibles pour contrôler l’inflation. Mais en fin de compte, il est essentiel de procéder à des réformes structurelles profondes. Il s’agit notamment de freiner la tendance des banques centrales à faire fonctionner la planche à billets, de mobiliser davantage l’impôt et de fournir aux ménages et aux entreprises des services fiables en matière d’électricité, d’eau, d’internet et de transport.

Il faut également diversifier les économies dépendantes des ressources naturelles et passer d’une croissance tirée par l’État à une croissance tirée par l’innovation privée, de stimuler la participation des femmes au marché du travail et de financer les énergies renouvelables. Les pays devront mettre en œuvre leurs engagements dans le cadre de la Zone de libre-échange continentale africaine. Enfin, ils devront s’attaquer à l’instabilité politique chronique et aux conflits.

Dans ce contexte, la décision des Nations unies de créer un organisme chargé de la fiscalité mondiale et des flux financiers illicites est certainement utile. Mais qui sait combien de temps cela prendra… En tout état de cause, elle fait pâle figure face à la multitude de réformes structurelles que les pays africains doivent entreprendre pour se mettre sur la voie d’une prospérité durable.

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