La « nouvelle voie » de Joe Biden

Le projet structurant du corridor de Lobito place les États-Unis et l’Occident dans un rôle inhabituel.

À la manière de Xi Jinping, le président américain Joe Biden a déclaré cette semaine que le sommet du G20 à New Delhi avait ouvert une « nouvelle voie » qui permettra aux pays du Sud de réaliser des économies et d’accroître leur capacité de croissance.

Il faisait allusion au nouveau corridor doté de voies ferrées et de navigation et d’oléoducs qui ira de l’Inde au Moyen-Orient et à la Grande-Bretagne. Xi était absent du sommet, mais ce projet semblait être une alternative à sa fameuse « Belt and Road Initiative » (BRI), qui reliera la Chine à l’Europe avec des extensions jusqu’en Afrique.

Biden et les dirigeants de l’Inde, de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis, de la France, de l’Allemagne, de l’Italie et de l’Union européenne (UE) ont annoncé la création du corridor économique Inde-Moyen-Orient-Europe lors de l’évènement du G20 consacré au Partenariat pour l’investissement dans les infrastructures mondiales (PGII).

Biden y a ajouté une dimension africaine en annonçant un autre projet du G20 de ligne ferroviaire transafricaine. La première phase de ce projet portera sur la réhabilitation de l’actuel corridor de Lobito, un chemin de fer angolais de 1 300 km qui s’étend sur 400 km en République démocratique du Congo (RDC) jusqu’à Kolwezi, au cœur de la ceinture de cuivre.

Le corridor est le chemin le plus court vers les marchés américains et européens pour la RDC et la Zambie

La concession, d’une durée de 30 ans, avait été attribuée à Lobito Atlantic Railway, un consortium composé de Trafigura, de la société internationale de construction Mota-Engil et de l’opérateur ferroviaire indépendant Vecturis.

Les États-Unis et l’UE se sont associés pour rénover l’ancien corridor de Benguela, construit en grande partie par la Chine, qui va du port angolais de Lobito à la Zambie, en passant par la RDC. « La nouvelle ligne ferroviaire Zambie-Lobito reliant la Zambie et l’Angola constituera le plus gros investissement des États-Unis et de l’UE en Afrique depuis une génération », affirment les autorités américaines. C’est le chemin le plus court vers les marchés américains et européens pour les minéraux et autres produits en provenance de la RDC et de la Zambie.

Helaina Matza, coordinatrice spéciale par intérim du PGII pour les États-Unis, a précisé que le PGII a été créé en 2022 par le G7pour combler le déficit en infrastructures des économies émergentes. Un montant initial de 600 milliards de dollars US a été promis pour financer le Programme sur cinq ans, dont 200 milliards alloués par les États-Unis. Le corridor de Lobito est le premier projet « phare » du PGII.

Matza a annoncé que l’UE a adhéré au projet lors du récent sommet du G20 et qu’elle envisageait de fournir une « aide sous forme de prêts » pour réhabiliter la voie ferrée d’abord jusqu’à Kolwezi, puis jusqu’en Zambie (et au-delà). Elle a précisé qu’à l’heure actuelle, le trajet routier jusqu’au port dure environ trois semaines. Grâce au corridor de Lobito, ce délai sera réduit à quatre jours et le projet de zone de libre-échange continentale africaine deviendra une réalité.

Le projet requiert davantage de soutien du secteur privé, qui semble réticent, que du secteur public

Le corridor servait principalement à acheminer des minerais de la RDC et de la Zambie vers le port de Lobito. L’objectif est maintenant de développer le commerce, notamment le secteur agroalimentaire, le long du trajet. Les États-Unis envisagent d’ores et déjà d’apporter un soutien financier à la construction de voies de desserte du chemin de fer en Zambie en vue d’acheminer les produits agricoles vers les marchés.

Matza a admis que les États-Unis n’ont pas pour habitude d’investir dans les infrastructures en Afrique mais qu’ils se sont alliés à d’autres partenaires pour répondre aux demandes du continent. Par comparaison implicite avec la Chine, elle a déclaré que les États-Unis et l’UE apporteraient leur soutien « d’une manière significative [...] selon nos valeurs et nos objectifs, notamment par l’appui aux démocraties, à la connectivité régionale et [...] la création d’une diversité dans les chaînes d’approvisionnement et les itinéraires commerciaux ».

Le ministre angolais des transports, Ricardo Viegas d’Abreu, a confié à ISS Today que le soutien des États-Unis et de l’UE à la construction du corridor de Lobito est un gage de son importance pour la dynamisation des économies de l’Angola, de la RDC et de la Zambie. Pour Bob Wekesa, directeur adjoint du Centre africain pour l’étude des États-Unis de l’université de Wits, cet appui atteste de la concurrence mondiale entre l’Occident et la Chine. Il a déclaré à ISS Today que les gouvernements occidentaux avaient compris que les pays du Sud ne se contenteraient plus de « paroles en l’air » sur les questions de gouvernance.

Wekesa a toutefois ajouté que le corridor servirait au transport des matières premières jusqu’au port de Lobito, et pas à celui des produits finis à valeur ajoutée confectionnés en Afrique. C’est sans doute vrai, mais, selon Matza, les États-Unis et leurs partenaires essaieront de stimuler les investissements américains et occidentaux en aval dans la ceinture de cuivre et de cobalt de la RDC et de la Zambie. Cette démarche semble être une étape vers l’objectif plus large des États-Unis de conserver les minéraux stratégiques en Afrique plutôt que de les laisser partir en Chine à l’état brut.

Les pays occidentaux peuvent-ils ravir à la Chine sa place de meilleur ami des pays en développement ?

L’intérêt de l’Occident pour les infrastructures apparaît alors que le projet chinois Belt and Road Initiative s’essouffle, en partie parce qu’il a été majoritairement financé par des prêts chinois opaques, que les bénéficiaires peinent à rembourser.

Ainsi, comme le souligne Jakkie Cilliers, responsable du programme Afriques futures et Innovation de l’Institut d’études de sécurité, les aspects essentiels concernant les prêts du corridor de Lobito porteront sur leurs conditions et leurs taux d’intérêt, ainsi que sur leur caractère public. Il a également insisté sur la nécessité d’établir des normes techniques communes pour les chemins de fer, calquées sur les normes chinoises couramment employées en Afrique de l’Est.

Il était évident lors du sommet du G20 que Biden essayait de combler le vide laissé par Xi. Pékin n’a jamais annoncé officiellement les raisons de son absence, mais les spéculations vont bon train sur le fait que le Premier ministre indien, Narendra Modi, hôte de la réunion, souhaite se positionner comme le dirigeant mondial du Sud, un titre que Xi revendique haut et fort.

Biden a donc formulé des propositions visant à augmenter les fonds de la Banque mondiale destinés au financement du développement. Un large consensus a également été recueilli sur la réforme des institutions de Bretton Woods. Mais les pays occidentaux peuvent-ils réellement ravir à la Chine sa place de meilleur ami des pays en développement ? Le corridor de Lobito pourrait servir de test.

Il nécessitera davantage de soutien de la part du secteur privé que du secteur public et, pour l’heure, les entreprises font preuve d’un enthousiasme tempéré. Reuters a récemment révélé qu’une seule société minière s’était engagée à utiliser le corridor. Matza reste optimiste même si elle reconnait que des engagements à long terme sont indispensables pour démarrer le projet.

Le corridor de Lobito est un projet d’envergure à géométrie variable, ce qui fragilise son équilibre. L’engagement manifeste des États-Unis et de l’UE pourrait inciter les entreprises minières encore sceptiques à sauter le pas.

Peter Fabricius, consultant, ISS Pretoria

Image : © Evan Vucci / POOL / AFP

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