REUTERS/Elizabeth Frantz

La justice transitionnelle : un enjeu pour la coopération bipartisane aux États-Unis

Les États-Unis pourraient s’inspirer de l’Afrique pour transformer des efforts fragmentés en une justice transitionnelle nationale.

Le 25 octobre, le président des États-Unis, Joe Biden, a présenté des excuses historiques à la communauté amérindienne pour la politique des pensionnats pour les indiens, datant de 150 ans, qui a systématiquement arraché de leurs familles et maltraité les enfants amérindiens. Malgré les questions soulevées sur l’opportunité de ces excuses à dix jours des élections, 2024 a été marquée par des avancées significatives aux États-Unis en matière de justice transitionnelle.

En avril, le département d’État a lancé le premier programme de leadership des visiteurs internationaux sur la justice transitionnelle en Afrique et aux États-Unis, qui cherche à s’inspirer de modèles africains et à développer des approches spécifiques au contexte américain. En juillet, le département de l’Intérieur a publié son rapport d’enquête sur le système fédéral des pensionnats pour les autochtones, recommandant que des excuses présidentielles soient présentées.

En début octobre, le département américain de la Justice a annoncé l’ouverture d’une enquête sur le massacre racial de Tulsa en 1921. Bien que cette initiative historique n’aboutisse probablement pas à des poursuites, elle constitue la première enquête fédérale sur cet événement.

Ces développements sont importants pour deux raisons interdépendantes. D’abord, ils montrent que la justice transitionnelle est désormais reconnue comme un moyen de remédier aux injustices historiques aux États-Unis. Le pays, longtemps promoteur de telles initiatives à l’étranger, renforce ainsi son engagement à lutter contre l’impunité et à refuser l’asile aux criminels de guerre et aux auteurs de violations des droits de l’homme.

Comparés à d’autres démocraties, les États-Unis tardent à se confronter à leur passé troublé

Contrairement à leur politique étrangère, qui soutient activement la justice transitionnelle, les États-Unis peinent à adopter des processus similaires pour traiter les abus historiques commis sur leur sol. Il en est ainsi notamment de l’esclavage, que le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a qualifié d’« expression la plus vile de l’humanité ». Les divers programmes de justice raciale ont échoué à enrayer la violence endémique.

Comparés à de nombreuses démocraties, les États-Unis semblent être à la traîne dans la confrontation des troubles de leur passé. Les excuses du président concernant les pensionnats pour les amérindiens surviennent près de vingt ans après celles du Canada, qui avait également institué la Commission vérité et réconciliation. Les États-Unis sont classés 78ᵉ sur 174 pays selon l’indice de l’héritage de la violence, créé par les universités d’Harvard et Toronto, qui reflète l’importance des violations des droits humains depuis 1949.

Ensuite, ces développements montrent l’émergence d’un engagement fédéral dans un pays où la justice transitionnelle repose essentiellement sur des efforts locaux.

Un rapport de l’université Howard (2023) révèle qu’environ 90 % des initiatives de justice transitionnelle aux États-Unis ne sont pas fédérales, mais le fait d’organisations de base ou des gouvernements locaux et d’États (graphique 1). En particulier, sur 84 initiatives étudiées, seules huit impliquent une participation nationale, et la moitié d’entre elles ne se sont pas concrétisées sur le plan législatif (graphique 2).

 

 

L’absence de consensus politique contribue fortement à cette approche fragmentée. Des initiatives fédérales, comme le projet de loi H.R.40 visant à étudier les réparations pour les Afro-Américains, peinent à progresser au Congrès.

Certains efforts ont néanmoins abouti, notamment l’indemnisation des Américains d’origine japonaise internés durant la Seconde Guerre mondiale, accompagnée d’excuses nationales. Cependant, les démarches nationales de vérité et de réconciliation restent limitées.

En outre, Les initiatives de justice transitionnelle sont concentrées dans des États et municipalités à majorité démocrate, ce qui illustre les divisions idéologiques qui freinent l’adoption d’une politique nationale cohérente.

Toutefois, les efforts locaux ont permis des avancées significatives en matière de réparation, de commémoration et de documentation des injustices historiques. Les sites anciens de Montgomery, en Alabama, constituent ainsi un exemple marquant de mémoire et de documentation. La multiplication de ces initiatives locales offre par ailleurs un espace d’innovation et d’expérimentation spécifique au contexte américain.

Même si les programmes de base américains semblent plus substantiels que dans des régions comme l’Afrique, où la pénurie de ressources et les espaces civiques restrictifs entravent les progrès, la justice transitionnelle en Amérique reste fragile. Ce manque de soutien prive ces initiatives de la stabilité et des moyens nécessaires pour garantir un changement durable et un impact national.

Le manque de consensus politique alimente l’approche fragmentée des États-Unis

En effet, l’absence d’un appui politique et sociétal généralisé pour intégrer ces efforts dans un cadre national les rend vulnérables. Dans plusieurs États républicains, des lois, comme la loi SB129 en Alabama, sont d’ailleurs critiquées pour saper les initiatives de diversité, d’équité et d’inclusion héritées des mouvements pour les droits civiques.

L’absence d’une stratégie nationale cohérente aux États-Unis a conduit à une focalisation sur certains aspects, comme les réparations, tandis que d’autres piliers de la justice transitionnelle, comme la vérité, la responsabilité pénale et la réforme institutionnelle, demeurent sous-exploités.

Cette approche contrevient aux normes internationales définies par les Nations unies et l’Union africaine, et s’écarte des directives du département d’État américain, qui prônent une stratégie globale, contextuelle et intégrée.

La réconciliation, tant comme processus que comme objectif de traitement du passé, fait également les frais de cette sélectivité. Si les expériences mondiales montrent que la réconciliation ne peut être forcée, elles indiquent également qu’une démarche structurée est cruciale pour la rendre réaliste et durable.

Même en matière de réparations, où des efforts sont visibles, les initiatives locales restent limitées pour répondre aux injustices systémiques. De nombreuses municipalités pressent ainsi le gouvernement fédéral de prendre ses responsabilités et d’instituer des réparations à l’échelle nationale.

L’approche sélective des États-Unis se traduit par un faible accent sur la réconciliation face au passé

Contrairement à l’Afrique et à d’autres régions, les États-Unis ont entrepris des démarches de réparation historique sur le plan juridique. En 2020, la décision McGirt v. Oklahoma de la Cour suprême a par exemple restitué plus de trois millions d’acres de terre à la nation Muscogee (Creek).

Cependant, le système judiciaire classique n’est pas toujours adapté aux enjeux de la justice transitionnelle. En juin 2024, la Cour suprême de l’Oklahoma a rejeté une plainte déposée par les survivants du massacre de Tulsa, illustrant les limites du droit ordinaire. À l’inverse, la justice transitionnelle offre des cadres plus flexibles, non contraints par les règles de non-rétroactivité et les délais de prescription, pour traiter des injustices historiques complexes.

L’adoption d’une approche nationale intégrant justice réparatrice, restauratrice et rétributive nécessite une réelle coopération bipartisane, un processus souvent long et ardu.

Aucun pays n’a embrassé la justice transitionnelle pour sa facilité. Pour développer une approche qui leur est spécifique, les États-Unis peuvent s’appuyer sur les précieux enseignements des expériences africaines et internationales qu’ils soutiennent depuis longtemps, pour mieux affronter leurs propres injustices historiques.

Les droits exclusifs de re-publication des articles ISS Today ont été accordés au Daily Maverick en Afrique du Sud et au Premium Times au Nigéria. Les médias basés en dehors de l'Afrique du Sud et du Nigéria qui souhaitent republier des articles ou faire une demande concernant notre politique de publication sont invités à nous écrire.

Partenaires de développement
L’ISS tient à remercier les membres du Forum de partenariat de l’Institut, notamment la Fondation Hanns Seidel, l’Open Society Foundations, l’Union européenne, ainsi que les gouvernements du Danemark, de l’Irlande, de la Norvège, des Pays-Bas et de la Suède.
Contenu lié