La hausse des protestations en Afrique ne se résume pas à des facteurs macroéconomiques
Comme dans le reste du monde, le continent a vu croître le mécontentement de la population, en dépit de l'amélioration des richesses.
Le mécontentement populaire, défini comme le sentiment collectif de frustration et d'attentes non satisfaites au sein de la population, est en hausse dans le monde entier, et ce, malgré l'amélioration de la richesse globale. Ce constat s'applique également à l'Afrique.
Entre 1990 et 2019, le produit intérieur brut (PIB) et le revenu par habitant n'ont cessé de grimper sur le continent, et l'extrême pauvreté a sensiblement reculé dans de nombreux pays. Plusieurs indicateurs de développement humain ont progressé, et le niveau de vie global a connu une tendance à la hausse.
Pourtant, au cours de cette période, les mouvements de protestation et les émeutes se sont multipliés en Afrique. Selon une étude récente de l'Organisation de coopération et de développement économiques, ce paradoxe s'explique par la répartition disparate des ressources, l'aggravation des inégalités et la privation relative systémique entre divers groupes de personnes. De surcroît, la pandémie de COVID-19 a exacerbé ces adversités et ces frustrations.
Pour comprendre les causes et les conséquences du mécontentement, il est essentiel de tenir compte des facteurs économiques. Toutefois, la croissance observée ne suffit pas à assurer le bien-être général des citoyens, ni à fournir une solution aux tensions engendrées. Les incertitudes politiques, la faiblesse des prestations de services et l'absence de libertés fondamentales peuvent prendre le pas sur les indicateurs économiques.
Malgré les plus grandes augmentations du bien-être lié au revenu, l'Afrique du Nord a connu le plus de manifestations en Afrique
Le mécontentement peut également se manifester sous d'autres formes que l'agitation sociale, notamment par un faible niveau d'engagement civique, qui peut se traduire par une faible participation électorale. Une telle grogne sociale s'installe progressivement, jusqu'à ce qu'un incident déclenche une violence généralisée ou une révolution, comme ce fut le cas en Tunisie et au Burkina.
L'Afrique du Nord est la région la plus développée du continent. Elle affiche un revenu moyen par habitant estimé à 11 390 dollars américains en 2021, soit entre 6 000 et 9 100 dollars de plus que l'Afrique centrale, l'Afrique de l'Ouest et l'Afrique de l'Est, qui est la région la moins développée.
Graphique 1 : PIB par habitant selon les régions d'Afrique Source : IFs version 7.63, données historiques de WDI, FMI(cliquez sur le graphique pour l'image en taille réelle) Graphique 2 : Manifestations et émeutes selon les régions d'Afrique, 1997-2020 Source : Projet Armed Conflict Location & Event Data(cliquez sur le graphique pour l'image en taille réelle)
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Bien que l'Afrique du Nord ait connu les plus grandes améliorations en matière de bien-être lié à la richesse et au revenu, la région a connu le plus grand nombre de manifestations et d'émeutes sur le continent au cours de la dernière décennie, selon le projet Armed Conflict Location & Event Data. De fait, dans les années qui ont précédé le printemps arabe de 2010, le revenu par habitant était en nette progression (voir graphique 1).
Cela dit, les autres régions d'Afrique ont commencé à connaître une recrudescence des protestations et des émeutes à partir de 2007-2008, lors de la crise financière mondiale. Le graphique 1 illustre que le PIB par habitant, bien qu'en amélioration, est resté assez modeste. L'Afrique australe est la région qui a le moins progressé à cet égard et celle où le nombre de manifestations et d'émeutes a le plus augmenté. La forte hausse des manifestations et des émeutes en 2020 (voir graphique 2) peut être attribuée aux frustrations et aux vulnérabilités liées à la pandémie de COVID-19.
Ces tendances mettent en évidence la variation relative des sources de mécontentement et les limites de la mesure du bien-être basée sur le PIB par habitant.
En Afrique australe, et plus particulièrement en Afrique du Sud, les défis structurels découlant de l'apartheid et de l'incapacité des gouvernements successifs à développer les services essentiels sont des facteurs clés dans l'analyse du mécontentement. Cette complexité est d'autant plus évidente que l'Afrique du Sud est le pays qui enregistre le plus de disparités, de manière générale.
Le sentiment de privation relative et absolue des populations sur de longues périodes, sans améliorations tangibles, a fait monter la frustration en flèche. Les émeutes et les pillages survenus en juillet 2021 en Afrique du Sud s'expliquent en partie par ce contexte.
Le modèle de développement dirigé par l'État, qui caractérise la gouvernance en Afrique du Nord, a engendré des résultats impressionnants en matière de développement humain dans les domaines de l'éducation et de la santé au cours des cinq dernières décennies. Toutefois, malgré une prestation de services de base relativement performante, les gouvernements étaient à couteaux tirés avec leurs populations, dont les besoins avaient évolué. Les citoyens réclamaient une plus grande liberté politique, civile et économique, un sentiment qui a contribué à déclencher le Printemps arabe.
Une question importante est de savoir si les protestations ont apporté des changements susceptibles d'atténuer le mécontentement qui les a alimentées en premier lieu. La réponse simple est oui, même si le changement n'est pas toujours celui souhaité et que la trajectoire n'est pas toujours linéaire.
Le développement durable n'est pas qu'une question d'économie, il exige des moyens innovants pour construire des sociétés plus inclusives
Depuis le printemps arabe, la Tunisie est le seul pays à avoir effectué une transition vers la démocratie. Cela étant, la nouvelle démocratie ne répond pas aux attentes de la population, car elle est plus électorale que substantielle et de véritables réformes institutionnelles sont encore nécessaires. L'Algérie et l'Égypte ont connu quelques réformes mais ont régressé, et la Libye a sombré dans une guerre civile.
Cependant, dans de nombreux pays, les manifestations ont permis d'amorcer des processus de démocratisation, de créer un environnement propice au militantisme de la société civile et d'améliorer le respect des droits humains. Il a été démontré que les mouvements de protestation visent à remédier à la discrimination, à l'exclusion, à l'injustice et à l'exploitation, qui découlent toutes du déni et de la violation des droits humains.
Dans plusieurs pays d'Afrique australe, le mécontentement a entraîné des manifestations et un engagement civique qui ont permis d'obtenir des changements politiques, de lutter contre la corruption et de contraindre les gouvernements à rendre des comptes. Ces réalisations doivent néanmoins être accompagnées de mesures visant à améliorer la répartition des gains économiques.
Le développement durable ne se limite pas à des indicateurs macroéconomiques performants tels que le PIB et le revenu par habitant. Il implique des facteurs sociaux, politiques et économiques et exige des moyens innovants pour construire des sociétés plus inclusives. Cela est particulièrement vrai pour l'Afrique, où l'on observe un affaiblissement des finances publiques et une augmentation des inégalités et de la pauvreté dans le sillage de la pandémie de COVID-19.
L'instauration de la confiance et le renforcement des institutions civiques pour créer un sens de la responsabilité collective sont essentiels à l'épanouissement d'une société solide. Cela offre aux populations la possibilité d'exprimer leurs griefs et permet de rétablir le contact social entre les gouvernements et les citoyens.
Sur le plan économique, il est essentiel de restructurer et de créer une plus grande inclusion dans les sociétés. Il convient d'encourager des approches décentralisées en matière de développement qui répondent aux besoins locaux. En mettant l'accent sur le soutien aux ménages vulnérables, la capacité des personnes à participer à des activités économiques bénéfiques se verrait renforcée.
Pour ce faire, les stratégies de développement doivent tirer parti de l'avantage comparatif de chaque pays. Il faut renforcer les collaborations entre le secteur public et le secteur privé pour accroître le financement et le sentiment d'appartenance.
Stellah Kwasi, chercheuse, Futurs africains et innovation, ISS Pretoria
Regardez l'enregistrement vidéo du séminaire organisé par l'ISS et l'OCDE sur le thème « Les manifestations comme moteurs du changement – Le rôle de l'Afrique dans les tendances mondiales » ici.
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