La hausse des prix des denrées alimentaires pourrait déstabiliser l’Afrique

Les gouvernements doivent agir vite pour garantir l’accès à l’alimentation et éviter des conflits que le continent ne peut se permettre d’endurer.

Depuis le début de la pandémie de COVID-19, les prix des denrées alimentaires ont grimpé en flèche dans le monde, mettant sous pression les pays les plus fragiles. L’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’agriculture (FAO) estime que « la flambée des prix, et l’insécurité croissante, pourraient déclencher de nouveaux troubles sociaux dans des pays déjà en proie à l’instabilité politique ».

Cela pourrait se faire particulièrement ressentir en Afrique, où le pouvoir d’achat et les filets de sécurité sociale sont limités, et où couve un certain mécontentement à l’égard de gouvernements peu performants. Les conditions actuelles, à savoir les perturbations de la chaîne d’approvisionnement, les chocs climatiques, les flambées rapides des prix des produits de base et les confinements, créent un terrain favorable à l’instabilité.

En Afrique, le secteur informel a été ravagé par la COVID-19, et les prix du carburant ont augmenté. En outre, les gouvernements ne disposent pas de la marge de manœuvre budgétaire nécessaire pour en atténuer l’impact. Alors qu’ils sont aux prises avec la faim, la pauvreté et la pandémie, le risque est grand de voir se développer manifestations violentes et instabilité politique, en raison de la hausse des prix des denrées alimentaires.

Selon l’économiste de la FAO Josef Schmidhuber, les habitants des pays à faible revenu ont tendance à consacrer plus de 60 % de leurs revenus à l’alimentation, ce qui les rend particulièrement vulnérables. Plus la faim augmente, plus le potentiel de perturbations socioéconomiques visant les gouvernements augmente. Abdolreza Abbassian, également économiste à la FAO, partage le même sentiment, observant que, pour que l’agitation sociale éclate, « Il suffit d’une petite étincelle. Il peut s’agir du prix des denrées alimentaires ou de l’énergie, ou simplement de précipitations abondantes ».

Cette situation rappelle immanquablement la crise alimentaire mondiale de 2007-2008, causée par une flambée mondiale des prix des denrées alimentaires, qui avait déclenché des soulèvements dans une trentaine de pays, dont 14 en Afrique. L’histoire serait-elle en train de se répéter ?

La situation actuelle des prix de l’alimentation est étrangement similaire à celle qui a précédé les manifestations mondiales de 2007-2008

La situation actuelle est étrangement similaire à celle qui a précédé l’instabilité de 2007-2008 partout dans le monde. L’un des points communs les plus frappants est celui de la tendance concernant les aliments de base. L’Indice FAO des prix des produits alimentaires (une mesure de la variation mensuelle des prix internationaux d’un panier d’aliments « de base » comprenant viande, produits laitiers, céréales, huiles végétales et sucre) était passé de 94,2 points d’indice à 117,5 entre 2007 et 2008. L’Indice a connu une augmentation plus considérable encore entre août 2020 et août 2021, passant de 95,8 à 127,4 points d’indice.

Les principales vulnérabilités structurelles et conjoncturelles n’ont pas été réglées de manière adéquate après 2008, l’aide ayant été privilégiée au détriment des réformes. Ces faiblesses ont été exacerbées par les effets de la pandémie de COVID-19 et d’autres facteurs émergents sur l’économie mondiale. Comme en 2007-2008, le lien entre le prix des denrées alimentaires et celui des produits de base reste prononcé, les variations du coût des intrants induites par les produits de base rendant plus coûteux le transport des aliments « de la ferme à la fourchette ».

Il existe d’autres facteurs aggravants, tels que le changement climatique et les catastrophes naturelles. Le phénomène météorologique La Niña a eu un impact négatif sur les principales régions exportatrices de denrées alimentaires, notamment en Afrique. Le 8 septembre, le président du Kenya, Uhuru Kenyatta, a déclaré l’état de « catastrophe naturelle » en raison d’une sécheresse, attribuée par les scientifiques au phénomène La Niña.

Le fait de détourner des denrées alimentaires de leur usage premier pour produire des biocarburants pèse également sur l’offre générale, tandis que la spéculation financière vient ajouter de la confusion dans la production et les prix des denrées alimentaires. Mais, fait peut-être plus important encore, les investissements dans les technologies agro-alimentaires ne parviennent pas à suivre l’évolution de la demande et de l’offre.

Ce qui rend la situation actuelle plus pressante, c’est le taux de variation des prix des denrées alimentaires. Les statistiques évoquées plus haut indiquent qu’entre 2007 et 2008, l’Indice FAO des prix des produits alimentaires avait augmenté de 25 %. Or, ce chiffre est nettement inférieur à la hausse de 33 % constatée entre août 2020 et août 2021.

Les investissements dans les technologies agro-alimentaires peinent à suivre le rythme de l’offre et de la demande

L’Afrique est confrontée à un ensemble complexe de défis sociaux, environnementaux, économiques et politiques qui en font un continent propice à l’instabilité. Des invasions de criquets pèlerins dans le nord-est, l’est et le centre du continent ont aggravé la pression exercée sur les systèmes alimentaires du continent, alors que la demande en nourriture augmente en raison d’une croissance démographique rapide. Les agriculteurs ont également ralenti leurs récoltes en raison de l’incertitude engendrée par des restrictions dues à la pandémie de COVID-19 en constante évolution.

Les taux de chômage en Afrique ont connu une tendance à la hausse, en particulier chez les jeunes, qui sont les plus touchés par cette période de chômage accru et de marginalisation économique. Partout sur le continent, les jeunes sont dorénavant politiquement engagés et font montre d’une volonté de punir les dirigeants qui ne se soucient pas de leur détresse. Les récents scrutins en Zambie en sont un bon exemple.

Depuis la dernière crise, les gouvernements africains se trouvent également dans une position économique bien plus difficile que celle de leurs pairs des autres régions du monde. Les excès historiques de dépenses et d'accumulation de dettes ont érodé les comptes publics tandis que les derniers garde-fous budgétaires ont cédé face aux mesures adoptées dans le cadre des réponses à la pandémie de COVID-19. Cela signifie que les gouvernements n’ont plus la capacité d’amortir le choc de la hausse des prix des denrées alimentaires et de l’insécurité alimentaire pour la population, et ne sont donc pas à l’abri des risques politiques y afférents.

Certains pays sont plus vulnérables que d’autres. L’Afrique du Sud, l’économie la plus développée du continent, est particulièrement sensible aux troubles liés à la question alimentaire. Un mélange de pauvreté, de chômage, d'inégalités, de mauvaise gestion politique et économique maintient le pays sur la corde raide. Le Nigeria est également dans une situation à risque, car il est confronté à des difficultés du même acabit.

La réaction de la société à l’insécurité alimentaire peut se manifester de diverses façons, notamment par des émeutes violentes. Dans certains endroits, comme le nord et le centre du Kenya, on pourrait assister à une aggravation du banditisme, et en Éthiopie, l’émergence de groupes armés qui pourraient s’en prendre aux ressources humanitaires accentueraient le problème.

Il faut fortement encourager et récompenser l’innovation tout au long de la chaîne d’approvisionnement alimentaire

Comment les décideurs politiques africains peuvent-ils relever ce défi ? En sont-ils capables ? Les gouvernements disposent de nombreuses solutions pour modérer les prix des denrées alimentaires et améliorer la sécurité alimentaire.

La première solution consiste à instaurer une forme de certitude politique et à adopter une approche réfléchie concernant toute future réforme foncière. En effet, plusieurs pays sont actuellement à la tâche. Tout argument politique en faveur d’une réforme foncière doit faire l’objet d’un équilibre soigneux avec les impératifs économiques afin d’éviter toute nouvelle perte de productivité ou de compétences.

Deuxièmement, les gouvernements doivent stimuler la productivité et les investissements dans la chaîne d’approvisionnement alimentaire, au sens large. Il convient en outre de réduire les barrières administratives, et les taxes ou subventions doivent être correctement ciblées dans le but d’optimiser les gains économiques sans grever les comptes publics.

Le législateur doit également envisager d’atténuer les barrières tarifaires et non tarifaires au commerce infra-africain entre pays exportateurs et importateurs nets de produits alimentaires. L’accord sur la Zone de libre-échange continentale africaine constitue une base solide à cet effet. La mise en place et le renforcement de dispositifs de réserves alimentaires à l’échelle nationale et régionale, en lien avec des systèmes de crédit et d’assurance, seraient également bienvenus pour atténuer les hausses des prix et de la demande.

Enfin, il faut fortement encourager et récompenser l’innovation, tout au long de la chaîne d’approvisionnement alimentaire. L’Afrique abrite une myriade de nouvelles entreprises qui sont à l’avant-garde en matière de développement de cultures résistantes au climat, de produits agricoles et aquacoles durables et à haut rendement, et qui se plaisent à réinventer la chaîne d’approvisionnement alimentaire. Il faut exploiter le potentiel transformateur de ces start-ups et d’autres entités à l’origine de perturbations positives, et canaliser les financements et les capitaux pour les diriger vers ces entreprises.

Il y a un impératif à la fois économique, social et politique à résoudre la hausse des prix des denrées alimentaires et l’insécurité qui en découle. Compte tenu de la situation précaire dans laquelle se trouvent les pays africains, l’insécurité alimentaire pourrait être l’étincelle qui met le feu aux poudres. Pour l’éteindre, les gouvernements doivent agir rapidement.

Ronak Gopaldas, consultant ISS, Directeur chez Signal Risk et cofondateur de Mindflux Training, et Menzi Ndhlovu, analyste principal du risque pays et du risque politique chez Signal Risk.

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Crédit photo Business Insider

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