La génération Z s’essouffle au Maroc
Alors que les manifestations des jeunes Malgaches semblent avoir été récupérées, celles du Maroc paraissent, elles, avoir été étouffées.
Les manifestations du mouvement de la Gen Z qui ont balayé le Maroc ces dernières semaines, et qui ont secoué d'autres pays tels que Madagascar et le Népal, semblent s'être apaisées. L’on ne sait pas clairement si elles sont terminées.
Le collectif GenZ 212, mouvement spécifique au Maroc, et le Moroccan Youth Voice ont lancé des mobilisations de rue le 27 septembre dans la capitale Rabat et dans d'autres villes. Les manifestants réclamaient, entre autres, une amélioration dans la santé et l’éducation, que le gouvernement mette fin à la corruption et qu’il réoriente les dépenses consacrées à des événements sportifs ostentatoires, comme la Coupe du monde de football 2030 et la Coupe d'Afrique des nations 2025, vers les services publics.
Après quelques semaines, les manifestations se sont multipliées et propagées. La police a arrêté des centaines de manifestants et tué certains. Les marches sont devenues plus violentes et destructrices, échappant au contrôle des organisateurs. La GenZ 212 est un mouvement collectif sans dirigeant identifié, sur lequel il est difficile d’avoir une emprise.
Les manifestations ont commencé dans un contexte de chômage élevé chez les jeunes, officiellement estimé à 35,8 %, et d’inégalités. Il semble également qu'il y ait eu un effet d'imitation. Les participants à la Gen Z dans différents pays s'inspirent les uns les autres et coordonnent leurs actions via les réseaux sociaux.
La mort de huit parturientes dans un hôpital public de la ville côtière d'Agadir, dans le sud du pays, semble avoir été l’élément déclencheur. Cette tragédie a notamment provoqué les manifestations contre la mauvaise qualité des services de santé. Selon l’Organisation mondiale de la santé, le Maroc ne compte que 7,7 médecins pour 10 000 habitants, certaines régions comme Agadir n'en ayant que 4,4 pour 10 000 habitants, bien en dessous des 25 médecins recommandés.
Les manifestations ont commencé dans un contexte de chômage élevé chez les jeunes
Les manifestations se sont multipliées au cours des deux semaines suivantes, l’assassinat de plusieurs manifestants provoquant une plus grande violence. Des banques, des commissariats de police et d'autres édifices publics ont été incendiés et endommagés, même si la plupart de ces actes ont été imputés à des criminels qui auraient profité de la situation.
Un tournant a été atteint au cours de la deuxième semaine d'octobre, après le discours du roi Mohammed VI à l'ouverture du Parlement. Sans mentionner la GenZ 212 ni les protestations, il a exhorté le gouvernement à améliorer les soins de santé et l'éducation. La monarchie est largement respectée au Maroc, et les propos du roi ont été interprétés comme une reconnaissance implicite de la légitimité des revendications sociales des manifestants.
Après son discours, les organisateurs du mouvement ont lancé un appel à des rassemblements de masse dans tout le pays le 18 octobre. Cependant, « personne ne s'est vraiment présenté », a déclaré à ISS Today François Conradie, économiste basé au Maroc chez Oxford Economics.
Entre-temps, le gouvernement a répondu à l'appel du roi. Le budget de 2026, présenté cette semaine au Parlement par le ministre des Finances, prévoit une augmentation de 16 % des dépenses dans la santé et l'éducation. Ce qui semble avoir coupé l'herbe sous le pied des manifestants, selon Conradie.
Aujourd'hui, même si les ardeurs ne se sont pas officiellement éteintes, « elles semblent avoir perdu beaucoup de leur élan », a-t-il ajouté. La répression policière et la réponse du gouvernement qui a cédé aux revendications les plus évidentes ont porté leurs fruits.
Le roi Mohammed VI a exhorté le gouvernement à améliorer les secteurs de la santé et de l'éducation
La GenZ 212 pourrait-elle redémarrer ? Conradie souligne qu'il reste encore beaucoup d'énergie refoulée dans le mouvement qui pourrait pousser à de nouvelles manifestations. Il note qu'une grande partie de sa force était incarnée par des adolescents fraîchement sortis des écoles, qui avaient moins de perspectives d'emploi et moins de chances de bénéficier d’éventuelles réformes éducatives.
Et même si le gouvernement a dans une certaine mesure répondu aux revendications de la GenZ 212 dans le domaine de la santé et de l’éducation, il n'a pas donné suite à la demande de destitution du Premier ministre Aziz Akhannouch et de poursuites judiciaires contre les fonctionnaires corrompus.
Riccardo Fabiani, directeur pour l'Afrique du Nord à l'International Crisis Group, a déclaré à ISS Today : « Il est évident qu’il est difficile de maintenir une mobilisation pendant des semaines sans le soutien d’une infrastructure sociopolitique adéquate (partis politiques, syndicats, société civile, etc.).
» Pour l'instant, les manifestants font une pause pour se réorganiser, mais il ne sera pas facile de maintenir la dynamique, étant donné que les autorités tentent de répondre à leurs préoccupations sans les légitimer ni engager de dialogue officiel. De plus, la dimension politique de leurs revendications (démission du gouvernement, dissolution des acteurs corrompus) a été complètement ignorée.
» Je pense donc que le défi pour les manifestants sera d'éviter de perdre leur élan alors que le système refuse de reconnaître le mouvement et tente en même temps de répondre indirectement aux questions en jeu. Ce scénario n'est pas très différent de celui de 2011, lorsque la monarchie a introduit quelques changements limités et a progressivement sapé le mouvement de protestation. »
Le défi pour la GenZ 212 est de ne pas laisser retomber la dynamique alors qu’elle reste illégitime
Fabiani semble avoir identifié des problèmes structurels qui pourraient être communs à tous les mouvements de la Gen Z. À Madagascar, elle a également protesté contre la mauvaise qualité des services publics, en particulier l'approvisionnement en eau et en électricité. Les manifestations ont poussé l'ancien président Andry Rajoelina à fuir hors du pays, la semaine dernière.
L'armée est alors intervenue et, vendredi dernier, le colonel Michael Randrianirina a prêté serment en tant que président. Cette semaine, il a nommé le très impopulaire homme d'affaires Herintsalama Rajaonarivelo au poste de Premier ministre, au grand dam des organisateurs de la Gen Z, qui ont déclaré que cette décision « va à l'encontre de l'esprit de changement et de renouveau ». Ils se sont plaints de ne pas avoir été consultés et ont promis de continuer à se mobiliser.
« Notre révolution ne sera pas récupérée », ont-ils déclaré. Pourtant, c'est ce qui semble s'être produit. Pendant ce temps, au Maroc, la révolution parait s’être essoufflée.
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