La Force mixte peut-elle maintenir le cap ?

A l’approche du renouvellement de son mandat, beaucoup reste à faire pour que la FMM demeure pertinente.

Les dernières incursions de Boko Haram au Cameroun et au Nigeria, particulièrement dans les localités de Mora, de Madagali et de Maiduguri, ont causé de nombreuses victimes civiles et militaires. Ces attaques dans le pourtour du fibassin du lac Tchad et la polémique née de la prise de la forêt de Sambisa confirment non seulement la capacité du groupe à déstabiliser la région, mais suscitent des interrogations sur l’efficacité des stratégies adoptées pour son éradication.

Les conséquences de cette crise ont motivé le Cameroun, le Niger, le Nigeria et le Tchad – rejoints par le Bénin – à élaborer une réponse militaire commune. Celle-ci a permis la relance de la Force multinationale de sécurité créée sous le couvert de la Commission du bassin du lac Tchad (CBLT) en mars 1994 et l’élargissement de son mandat à la lutte contre Boko Haram le 30 avril 2012. Elle a été finalement rebaptisée Force multinationale mixte de lutte contre Boko Haram (FMM) en octobre 2014.

Beaucoup d’analystes doutent de la capacité de la FMM à contrer une menace en constante évolution

C’est le 14 janvier 2016 que le Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union africaine a renouvelé pour 12 mois le mandat de la Force. Ce délai arrivant à expiration, il est opportun d’apprécier son bilan, mais aussi sa pertinence dans sa mission d’éradication de Boko Haram.

La première année de son déploiement (2015) a été consacrée à l’établissement de la Force et à la définition de son modus operandi – une entreprise difficile compte tenu de la coopération diplomatique nécessaire entre ses quatre États membres. En 2016, la FMM a investi le terrain des opérations et, malgré quelques revers, a enregistré plusieurs succès consécutifs sur Boko Haram.

Une grande offensive a été menée de juin à novembre 2016 autour du lac Tchad et dans l’État de Borno. L’opération Gama Aiki (« achever le travail » en hausa), a vu les quatre secteurs de la Force agir simultanément et en concertation : Baga au Nigeria, Baga-Sola au Tchad, Diffa au Niger et Mora au Cameroun.

Bien qu’il n’y ait pas encore de bilan définitif de cette intervention, des sources bien informées font état de son succès notable. Elles soulignent, entre autres, la libération d'otages, de localités précédemment occupées par Boko Haram, des pertes et des défections dans les rangs du groupe. En début novembre, une offensive du secteur 2 de Baga-Sola dans l’Ouest tchadien, a contribué à la reddition d’au moins 240 combattants de Boko Haram.

Les relations entre les quatre principaux pays contributeurs restent tendues

Entre février et mai 2016, les opérations du secteur n° 1 de Mora – dans l'extrême Nord du Cameroun – ont permis la neutralisation de combattants de Boko Haram, à la libération de nombreux otages, à la saisie d’armes et de milliers de munitions et à la destruction de camps d'entraînement.

Ces actions ont nécessité une grande coordination stratégique depuis le haut commandement de la FMM, situé à N’Djamena, la capitale du Tchad, et une réactivité des différents secteurs. Elles ont été synchronisées autour d’une bonne communication médiatique, mettant les populations à profit pour ratisser et stabiliser les localités encore sous l’emprise des insurgés. Un réel succès ne pourra être mesuré qu’à moyen ou long terme, mais ces interventions attestent néanmoins du dynamisme du secteur n° 1 et ses efforts dans la stabilisation de la zone.

Cependant, ces actions d’éclat ne doivent pas faire perdre de vue les nombreuses déconvenues de la Force qui reste minée par des problèmes structurels de coordination et de commandement. En 2014, l’aggravation de la situation sécuritaire avait contraint les États membres de la FMM à mettre de côté leurs divergences. Aujourd’hui, les relations entre les quatre principaux pays contributeurs restent tendues. Des actions sont conduites sans concertation et certains pays revendiquent pour eux-mêmes des victoires obtenues dans des opérations communes.

Malgré son affaiblissement sur plusieurs fronts, les capacités de nuisance de Boko Haram demeurent élevées. Le groupe a demontré sa résilience sur le terrain à travers ses attaques et attentats suicides sporadiques. Cette actualité confirme que la bataille est loin d’être gagnée. Beaucoup d’analystes demeurent sceptiques quant à la capacité de ce dispositif régional dans sa configuration actuelle à faire face efficacement à une menace en constante évolution.

Depuis sa mise en place, la FMM fait face à des contraintes financières qui entravent sans aucun doute son efficacité

En effet, la FMM a été mise à place en 2014 pour contrer une menace plus ou moins conventionnelle. Depuis lors, Boko Haram a mué en une nébuleuse scindée en deux factions, opérant dans la clandestinité et livrant une guerre asymétrique aux forces armées en présence. Si la FMM veut prouver qu’elle reste pertinente, elle devra faire preuve de flexibilité dans son approche et de capacité d’adaptation face à l’évolution de la menace. C’est précisement l’une des recommandations phare du Forum de Dakar sur la paix et la sécurité en Afrique des 5 et 6 décembre 2016, qui a appelé à une adaptation des forces de défense et de sécurité aux menaces actuelles.

La Force doit également devenir pleinement opérationnelle. Depuis sa mise en place, elle connaît des contraintes financières qui risquent sans doute d’entraver son efficacité. Les contributions du Nigeria, du Royaume-Uni, de la Communauté des États sahélo-sahariens (CEN-SAD) et de l’Union européenne ne parviennent pas à combler le budget initial de la FMM estimé à 700 millions de dollars US. Cette situation est d’autant plus délicate au regard de la récession économique qui touche deux grands contributeurs de la coalition – le Tchad et le Nigeria – à mesure que les prix du pétrole baissent.

Quand bien même elle serait prête à travailler avec les moyens dont elle dispose, il est à craindre que ces difficultés influent sur la capacité de la Force à combattre Boko Haram.

A l’approche de la date butoir pour le renouvellement de son mandat, il ne fait aucun doute que la FMM conserve toute sa pertinence. Ses États membres et ses partenaires stratégiques devraient renforcer ses capacités opérationnelles afin de soutenir ses efforts de stabilisation et de reconquête des territoires aux mains de Boko Haram. Ce qui contribuera à créer un environnement dans lequel l’aide humanitaire tant sollicitée pourra être apportée. 

Wendyam Aristide Sawadogo, chercheur boursier, ISS Dakar

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