La démocratie seule ne suffit pas à garantir le développement

Un leadership visionnaire et des institutions fortes sont les moyens le plus sûrs pour atteindre la croissance économique et le développement durable en Afrique.

Jusqu’en 1989, l’Afrique se caractérisait par ses nombreux gouvernements autoritaires. Puis la démocratie s’est enracinée à mesure que les pays mettaient fin aux dictatures militaires, rénovaient leurs constitutions, adoptaient le multipartisme et les processus électoraux. Tout cela a favorisé la stabilité, la légitimité et l’acceptation dans les sphères politiques africaines. Il était communément admis que la démocratie multipartite conduirait finalement à la croissance économique et au développement.

Mais près de trente ans après la troisième vague de démocratisation, il n’est pas certain que le dividende du développement ait été atteint. Malgré ses nombreuses ressources naturelles, l’Afrique reste la région la plus pauvre du monde. La dette publique et la corruption restent obstinément élevées ; le chômage, les inégalités de revenus et la pauvreté restent endémiques.

Bien que les causes du sous-développement en Afrique soient protéiformes, il est indéniable qu’elles trouvent leur source dans le mauvais leadership. L’incapacité des pays à mettre en œuvre leur programme de développement continue de peser comme une menace sur la démocratie, la plupart d’entre eux se tournant à nouveau vers l’autocratie.

Selon le rapport V-Dem 2020 sur la démocratie, qui classe les États dans quatre catégories – démocratie libérale, démocratie électorale, autocratie électorale et autocratie fermée – , plus de 70 % des pays d’Afrique subsaharienne étaient des autocraties électorales ou fermées en 2019.

De même, l’Indice de démocratie de l’EIU, qui classe les pays en « démocraties complètes », « démocraties défaillantes », « régimes hybrides » et « régimes autoritaires », indique qu’en 2020 l’Afrique avait un indice de 4,16, le plus bas niveau depuis le lancement de l’index en 2006.

En effet, en 2020, seul l’État mauricien a été considéré comme une démocratie à part entière en Afrique. Sept pays (la Tunisie, le Cap-Vert, le Botswana, l’Afrique du Sud, la Namibie, le Ghana et le Lesotho) étaient classés comme des démocraties défaillantes. Les autres pays figuraient parmi les régimes hybrides ou les régimes autoritaires, ces derniers constituant la majorité des pays africains.

Les États qui ont les niveaux de démocratie sont les plus faibles sont également au bas de l’échelle des indices de gouvernance et de développement

Ces dix dernières années, le déclin de la démocratie en Afrique s’est également manifesté par des prises de pouvoir militaires récurrentes. Depuis 2010, il y a eu 43 coups d’État en Afrique, réussis ou avortés. La seule année 2021 a connu quatre coups d’État réussis (Mali, Tunisie, Guinée et Soudan) et deux tentatives (République centrafricaine et Soudan). À peine deux mois après le début de l’année 2022, deux pays ont été l’objet d’un coup d’État réussi et d’une tentative (Burkina Faso et Guinée-Bissau).

Ces coups d’État sont généralement expliqués par la mauvaise gestion de l’économie, la corruption et le faible niveau de développement des pays touchés, phénomènes aggravés par l’impact économique de la pandémie de COVID-19.

Le retournement démocratique a mis en évidence la fragilité des démocraties africaines et la menace d’instabilité politique. Il s’agit également de savoir si la démocratie apporte les dividendes attendus en matière de développement. Cette relation entre démocratie et développement est une pomme de discorde entre les chercheurs. Certains soutiennent que les régimes démocratiques nuisent au développement, d’autres qu’ils le favorisent. Des arguments ont été avancés selon lesquels le développement économique faciliterait la démocratie, tandis que certaines écoles de pensée affirment qu’elle n’a pas d’impact significatif sur la croissance.

En Afrique cependant, on peut constater des relations fortes entre ces deux phénomènes. En utilisant à la fois les scores de l’EIU et de l’indice V-Dem en 2019, neuf des dix premières démocraties africaines ont un score de développement humain très élevé, élevé ou moyen (celui de Maurice est très élevé ; ceux des Seychelles, du Botswana, de l’Afrique du Sud et de la Tunisie sont élevés ; ceux de São Tomé & Príncipe, du Ghana et de la Namibie sont moyens).

En 2020, seul l’État mauricien était considéré comme une démocratie à part entière en Afrique

À l’exception de Madagascar, tous les pays classés parmi les dix premières démocraties par au moins l’un des deux indices sont des pays à revenu intermédiaire, les Seychelles étant même un pays à revenu élevé.

Sur le plan de la réduction de la pauvreté, moins de 3 % de la population de Maurice, des Seychelles, du Cap-Vert et de la Tunisie vit en dessous du seuil de pauvreté fixé à 1,90 dollar US par jour. Les taux de pauvreté des populations du Ghana, du Botswana, de la Namibie et de l’Afrique du Sud sont respectivement de 9,7 %, 11,8 %, 17,1 % et 17,2 %.

Comment expliquer, alors, que certains pays classés parmi les démocraties aient des indices de développement bas ? Des États comme le Lesotho, le Sénégal et Madagascar obtiennent tous des scores de développement humain faibles. En effet, en 2019, 73,2 % de la population de Madagascar vivait avec moins de 1,90 dollar US par jour. Pour le Lesotho et le Sénégal, ce chiffre est respectivement de 36,4 % et 29,7 %.

La différence dans les niveaux de développement de ces pays peut être attribuée à leur niveau de gouvernance. Les États démocratiques tels que les Seychelles, Maurice, le Cap-Vert et le Botswana possèdent des indices de gouvernance élevés et sont également plus développés. En revanche, les pays démocratiques tels que Madagascar et le Lesotho, qui obtiennent de moins bons indices, ont un faible niveau de développement.

La bonne gouvernance pourrait être un facteur intermédiaire entre la démocratie et le développement. La bonne gouvernance, qui comprend l’état de droit et la justice, la responsabilité, la transparence et la lutte contre la corruption, est nécessaire pour stimuler la croissance.

Existe-t-il d’autres voies pour le développement ? Les autocraties obtiennent-elles les résultats escomptés ? La comparaison des 10 plus mauvaises démocraties africaines à l’aide des indices ci-dessus révèle une relation intéressante entre les régimes autoritaires et les niveaux de développement.

En effet, la plupart des pays situés au bas de l’indice de démocratie sont des pays à faible revenu (Guinée-Bissau, Érythrée, Burundi, Tchad, République centrafricaine (RCA), République démocratique du Congo (RDC), Somalie, Congo et Soudan du Sud). Ils ont également un faible niveau de développement humain (Djibouti, Soudan, Guinée-Bissau, Érythrée, Burundi, Tchad, RCA, RDC, Somalie et Soudan du Sud).

Quel que soit le type de régime, la bonne gouvernance favorise le développement

Ainsi, des États tels que la Somalie, le Burundi, la RCA, la RDC, la Guinée-Bissau, le Tchad et le Soudan du Sud, qui sont au bas de l’échelle des indices de démocratie, ont également parmi les plus mauvais indices de gouvernance et de développement. Plus de 70 % des habitants du Soudan du Sud, de la RDC, de la RCA et du Burundi vivent en dessous du seuil de pauvreté.

De même, la Guinée-Bissau, le Congo, la Somalie et le Tchad connaissent un taux de pauvreté élevé. Outre leur mauvaise gouvernance, ces pays ont en commun des années d’instabilité politique. Ainsi, les régimes autoritaires associés à l’instabilité, à un leadership médiocre et à une gouvernance faible produisent les pires résultats en matière de développement.

Il existe quelques exceptions dans lesquelles les régimes autoritaires semblent obtenir de meilleurs résultats sur les indices de développement. C’est le cas de pays comme la Libye, la Guinée équatoriale et l’Algérie qui sont très peu démocratiques. Ces pays, à revenu intermédiaire, possèdent des indices de développement humain élevés et des taux de pauvreté inférieurs à 2 %.

Ainsi, quel que soit le type de régime, c’est la bonne gouvernance qui favorise le développement. Pour l’Afrique, se doter d’un leadership visionnaire et d’institutions fortes constitue la voie la plus sûre pour s’orienter vers un développement durable. Cela signifie que les États démocratiques doivent se concentrer non seulement sur les processus électoraux, mais également sur la mise en place d’une bonne gouvernance.

Enoch Randy Aikins, chercheur, African Futures and Innovation, Institut d’études de sécurité (ISS) Pretoria

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