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La croissance démographique ralentit le développement en Afrique

La jeunesse de la population africaine restera le principal obstacle à la croissance du continent, jusqu’à ce que le rapport de dépendance démographique s’inverse.

Les mauvaises performances économiques de l’Afrique depuis les indépendances des années 1960 sont souvent imputées à la corruption, à la mauvaise gouvernance et au manque de concurrence. Cependant, sur le plan structurel, la principale raison est sa démographie.

Selon la classification des pays par la Banque mondiale pour 2024-2025, 22 pays africains sont à faible revenu et 24 à revenu intermédiaire de la tranche inférieure. Aucune autre région ne connaît de niveau de développement aussi faible et n’a connu de progrès aussi lents sur la période allant de la fin du xxe siècle au début du xxie siècle.

Malgré un montant cumulé de 2 300 milliards de dollars US d’aide, le développement de l’Afrique a été lent – un sujet qui fait aujourd’hui la une de l’actualité en raison des coupes budgétaires de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID).

Depuis au moins dix ans, on parle beaucoup de l’augmentation et de la jeunesse de la population africaine, sans reconnaître suffisamment qu’elle est le principal frein à la croissance depuis les années 1960. Selon les recherches du programme Afrique futures et Innovation de l’Institut d’études de sécurité, ce n’est que dans la seconde moitié de ce siècle que le rapport entre le nombre d’Africains en âge de travailler et le nombre de personnes à charge permettra à la main-d’œuvre de stimuler la croissance économique.

Ce n’est que dans la seconde moitié du siècle que l’Afrique bénéficiera du dividende démographique

Il faut tenir compte du fait qu’au moment des indépendances, dans les années 1960, le ratio entre le nombre de personnes en âge de travailler et celui des personnes à charge (enfants de 15 ans et moins, et adultes de plus de 64 ans) était presque de 1 pour 1 et que celui-ci était en baisse. En d’autres termes, chaque personne en âge de travailler subvenait aux besoins d’au moins une personne à charge, et cette charge augmentait.

Ce ratio a atteint son niveau le plus bas à la fin des années 1980, avant de s’améliorer. Bien sûr, la main-d’œuvre africaine doit être éduquée et en bonne santé pour être productive. Néanmoins, la réalité est que, même alors, la main-d’œuvre contribuait de moins en moins à la croissance économique, jusqu’à ce que la situation change lentement à partir de 1988 environ.

 


Au cours des années suivantes, la croissance africaine est principalement due à l’explosion des cours des matières premières qui a accompagné la croissance rapide de la Chine. Pendant les premières années de sa remarquable sortie de la pauvreté, la Chine s’est développée grâce, en partie, à un gouvernement qui a su appliquer la politique de l’enfant unique. Celle-ci a fortement accru le ratio entre le nombre de personnes en âge de travailler et celui des personnes à charge, pour atteindre un record de près de 2,8 personnes en âge de travailler pour chaque personne à charge.

Les Tigres asiatiques (Hong Kong, Singapour, Corée du Sud et Taïwan) ont connu la même expérience, mais sans les politiques draconiennes de contrôle social comme celles de Deng Xiaoping. Avec l’ouverture du marché chinois, l’Occident s’est empressé d’investir, en injectant d’autant plus de capitaux qu’il y avait de la main-d’œuvre en Chine.

En revanche, la transition démographique en Afrique a été lente, et ce, pour plusieurs raisons. La faible densité de population – qui est fonction de la charge de morbidité élevée de l’Afrique – s’est toujours traduite par des taux de croissance plus faibles des revenus.

L’Afrique n’a pas fait de révolution agricole et souffre d’insécurité alimentaire

Plus récemment, le continent n’a pas réussi à rendre les femmes suffisamment autonomes, à améliorer la qualité et le niveau de l’éducation, à généraliser rapidement l’utilisation des contraceptifs ou à opérer une transition vers des économies où le travail des enfants ne serait plus nécessaire. L’agriculture de subsistance, qui prédomine, génère une forte demande de travail des enfants, dans une population rurale qui reste importante en Afrique subsaharienne.

Même en 2025, le ratio de 1,3 personne en âge de travailler pour 1 personne à charge signifie qu’une croissance lente du réservoir de main-d’œuvre par rapport au nombre de personnes à charge (première source de croissance économique de l’Afrique subsaharienne) se traduit par des taux de croissance économique stables, mais peu impressionnants. Aucune aide ne peut compenser la faiblesse de la main-d’œuvre africaine.

Le graphique ci-dessus montre le rapport entre le nombre des personnes en âge de travailler et celui des personnes à charge en Afrique subsaharienne, en utilisant la plateforme de prévision d’International Futures jusqu’en 2060. L’Afrique subsaharienne entre dans une fenêtre d’opportunité démographique potentielle au-delà de 2050 lorsque le ratio atteint 1,7 pour 1 — le chiffre magique à partir duquel la contribution de la main-d’œuvre commence à entraîner une accélération de la croissance économique. À ce moment-là, la région entre dans une fenêtre d’opportunité démographique potentielle qui, sous réserve de nombreuses autres conditions, devrait débloquer une croissance plus rapide des revenus.

La théorie standard de la croissance économique postule qu’elle est le résultat des contributions du travail, du capital et de la technologie. Il y a un débat animé pour savoir lequel des trois contribue effectivement le plus à différents niveaux de développement.

Si des mesures sont prises rapidement, l’Afrique peut faire de sa croissance démographique un atout

La plupart des recherches empiriques soutiennent que l’accumulation de capital (les investissements en capital physique tels que ceux dans les infrastructures, les machines, les usines et les équipements) constitue le principal moteur de la croissance au cours des premières phases de développement.

Cependant, l’argument selon lequel, à des niveaux de développement faibles, la main-d’œuvre contribue le plus à la croissance, est tout autant défendu. La preuve est écrasante si l’on considère l’importance de l’agriculture en tant que secteur ayant le plus grand potentiel de croissance dans la plupart des pays pauvres.

Pratiquement tous les pays à revenu élevé ont d’abord connu une révolution agricole, puis se sont engagés dans l’ère industrielle, avant que le secteur des services ne domine. Toutefois, dans la plupart des pays africains, cette évolution a été inversée, les services bas de gamme du secteur informel dominant l’économie, tandis que l’agriculture demeurait essentiellement une agriculture de subsistance, et que la plupart des économies se désindustrialisaient.

Outre la croissance de sa population, les Africains mettent souvent en avant l’important potentiel agricole du continent. Cependant, en réalité, l’Afrique n’a pas fait sa révolution agricole. Au contraire, elle souffre de plus en plus d’insécurité alimentaire en raison du sous-investissement dans l’agriculture et de l’association entre agriculture, pauvreté et souffrance, ce qui en fait le secteur le moins attrayant pour les jeunes Africains.

Contrairement à l’Afrique subsaharienne, l’Afrique du Nord est déjà bien engagée dans sa transition démographique (voir la carte ci-dessous). Elle devrait bénéficier de rendements économiques plus élevés grâce à la diminution du taux de dépendance. Néanmoins, le rôle étouffant de l’État et le manque de liberté économique limitent la croissance des revenus qui devrait découler d’une démographie qui est favorable.

L’expérience des pays d’Afrique du Nord — et aussi de l’Afrique du Sud — montre qu’il est nécessaire de mettre en place des politiques de soutien pour transformer un dividende démographique potentiel en croissance des revenus.

 


Il faudra plus de temps pour atteindre le dividende démographique en Afrique subsaharienne, en particulier au Sahel et en Afrique centrale. L’accélération de la transition démographique nécessitera des choix politiques délibérés : investir dans l’éducation des filles, élargir l’accès aux soins de santé reproductive, transformer les économies rurales et favoriser les secteurs à forte intensité de main-d’œuvre pouvant absorber les jeunes.

Si ces mesures sont prises rapidement, l’Afrique pourra faire de sa croissance démographique un atout, et non une contrainte, lorsque sa fenêtre démographique s’ouvrira enfin dans les décennies à venir.

La croissance économique détermine les ressources disponibles pour gouverner et donc la capacité et la qualité de la gouvernance. C’est une façon de dire que les pays riches sont généralement bien gouvernés, tandis que les pays pauvres ont tendance à être mal gouvernés. Se prévalant de leur richesse et de leur niveau de vie élevé, la plupart des pays à hauts revenus d’aujourd’hui oublient les luttes, la corruption et le détournement d’argent qui ont accompagné leur propre développement.

Pendant ce temps, la fenêtre d’opportunité démographique de l’Afrique arrive. La jeunesse et la croissance de sa population, ainsi que le déclin démographique qui se dessine en Europe et en Asie, offriront un jour l’occasion d’une croissance rapide, moyennant des investissements adéquats.

Si les Africains sont éduqués, formés et en bonne santé, la main-d’œuvre du continent peut contribuer de manière significative à la croissance économique tout en positionnant l’Afrique comme un exportateur clé de biens, de services et de main-d’œuvre dans le monde.

L’avenir sera inévitablement marqué par des mouvements de main-d’œuvre à grande échelle – cette fois-ci non pas vers l’Afrique, comme au siècle dernier, mais depuis l’Afrique.

Cet article a été publié pour la première fois dans Africa Tomorrow, le blog du programme Afriques futures et Innovation de l’ISS.


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