La crise diplomatique entre l’Algérie et l’AES appelle une médiation urgente de l’Union africaine
Une intervention réussie de l’UA pourrait lui permettre de se repositionner sur le dossier sahélien.
Publié le 28 avril 2025 dans
ISS Today
Par
Hassane Koné
chercheur principal, bureau régional pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel
Djiby Sow
chercheur principal, bureau régional pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel
Alors que la nouvelle Commission de l’Union africaine (UA) prend fonction, la crise diplomatique actuelle entre l’Algérie et la Confédération Alliance des Etats du Sahel (AES) présente à l’organisation continentale une opportunité cruciale de reprendre la main sur une région stratégique pour la sécurité du continent.
Le différend entre Alger et Bamako découle de la destruction d’un drone malien par l’armée algérienne le 1er avril 2025 sur la frontière entre les deux pays, à Tinzaouaten. L’Algérie justifie son action en affirmant que ce drone a violé son espace aérien. Le Mali conteste cette version et soutient que l’appareil a été abattu sur son territoire.
Les relations diplomatiques entre les deux pays, qui remontent à 1960, ont connu plusieurs périodes de turbulences. Toutefois, c’est la première fois que le Mali dénonce une agression militaire algérienne et saisit le Conseil de sécurité des Nations-Unies du dossier.
L’Algérie et les pays de l’AES
Source : ISS
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Cette crise revêt par ailleurs une dimension régionale, en raison de l’alliance politique, diplomatique et militaire formée par la Confédération de l’AES (composée du Niger, du Burkina Faso et du Mali). En signe de solidarité avec le Mali le Niger et le Burkina Faso ont, comme lui, rappelé leurs ambassadeurs en poste à Alger. Le Mali et le Niger se sont également retirés du Comité d’état-major opérationnel conjoint (CEMOC), qui les liait militairement à l’Algérie et à la Mauritanie.
Bien que le CEMOC ait été peu actif depuis sa création en 2010, il assurait une certaine coordination sécuritaire et constituait un cadre de coopération utile, notamment par l’appui de l’Algérie en matière de formation.
Les vastes étendues désertiques des régions frontalières de ces pays sont des voies de transit majeures pour les armes, la drogue et les migrants. Ces zones échappent largement au contrôle des autorités, notamment des forces de sécurité maliennes et nigériennes, ce qui en fait des sanctuaires pour les bandits armés, les terroristes et les séparatistes.
Le Mali a dénoncé l'agression militaire algérienne et saisi le Conseil de sécurité des Nations Unies
Compte tenu de la supériorité militaire de l’Algérie dans la région, le risque de conflit armé reste pour l’instant faible. Néanmoins, ces tensions interétatiques pourraient déstabiliser cette zone tampon entre le Maghreb et l’Afrique de l’Ouest – une région déjà fragilisée par la guerre civile en Libye et l’insécurité dans les pays voisins.
Cette nouvelle crise devrait alerter l’UA. Le retrait des pays de l’AES de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) en janvier prive le bloc régional de la légitimité et de la base juridique nécessaires pour jouer un rôle de médiateur. Cela constitue un défi inédit pour l’architecture de paix et de sécurité de l’UA, fondée sur le principe de subsidiarité qui confie aux organismes régionaux, comme la CEDEAO, la responsabilité première des actions de prévention des conflits.
L’organisation continentale doit se saisir du dossier pour rétablir rapidement le dialogue et créer les conditions du retour à des relations bilatérales apaisées entre l’Algérie et les pays de l’AES. Pour y parvenir, le Conseil de Paix et de Sécurité (CPS) devra tout particulièrement se repencher sur la question du Nord Mali, qui constitue le cœur du différend entre Alger et Bamako.
La région de Tinzaouaten est en effet devenue le point de fixation du conflit entre les autorités maliennes et les séparatistes du Front de libération de l’Azawad (FLA). Les hostilités avaient repris en Novembre 2023 avec la reconquête de Kidal, suivie de la dénonciation par Bamako des Accords d’Alger en janvier 2024. L’armée malienne et les paramilitaires russes d’Africa Corps avaient ensuite subi de lourdes pertes dans une embuscade en juillet. Les autorités maliennes accusent depuis lors l’Algérie de servir de base arrière aux rebelles.
Le CPS devrait se pencher sur la question du nord Mali, au cœur du différend entre Alger et Bamako
Le contexte actuel représente une occasion pour l’UA de reprendre la main au Sahel. Au fil des ans, l’organisation s’est trouvée marginalisée dans la gestion de ce dossier pour diverses raisons dont sa rivalité avec la CEDEAO pour la gestion de la crise malienne de 2012-2013. Cette compétition conduira au placement des contingents africains de la Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (MISMA) sous contrôle onusien au sein de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA).
L’UA avait également été mise à l’écart par l’activisme de la France au Sahel, qui a soutenu le G5 Sahel comme alternative au Processus de Nouakchott lancé par l’UA en 2013. Cette initiative visait à renforcer la coordination sécuritaire et la lutte contre le terrorisme entre l’Algérie, le Burkina Faso, le Tchad, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Nigeria, la Côte d’Ivoire et le Sénégal. Une médiation réussie entre l’Algérie et les pays de l’AES pourrait, à terme, ouvrir la voie à une relance de ce processus.
L’UA est désormais bien placée pour combler le vide laissé par le retrait des puissances occidentales et de la MINUSMA, la désintégration du G5 Sahel et de sa Force conjointe, et la mise à l’écart de la CEDEAO. Elle devrait poursuivre trois objectifs. Premièrement, réunir l’Algérie et la Confédération de l’AES par la médiation. Deuxièmement, promouvoir une nouvelle solution politique entièrement africaine à la crise du nord du Mali. Troisièmement, relancer à un stade ultérieur les efforts continentaux de lutte contre le terrorisme en revitalisant le Processus de Nouakchott.
L’UA dispose de plusieurs atouts pour y parvenir. Elle pourrait s’appuyer sur les excellentes relations historiques de l’Angola et de l’Afrique du Sud avec le Mali et l’Algérie. De même, le nouveau président de la Commission de l’UA, Mahmoud Ali Youssouf, dispose de nombreux contacts dans les cercles diplomatiques africains. Des pays comme la Mauritanie – membre du CEMOC et en bons termes avec les pays de l’AES – et le Tchad, liés aux deux parties, pourraient également jouer un rôle.
Le CPS devrait se pencher sur la question du nord Mali, au cœur du différend entre Alger et Bamako
En dehors du continent, l’UA pourrait solliciter informellement la Russie pour faciliter le processus. Moscou entretient des relations diplomatiques de longue date avec le Mali et l’Algérie, et est le principal partenaire militaire des pays de l’AES. Elle est également un partenaire stratégique de l’Algérie – troisième importateur mondial d’armes russes, et premier en Afrique.
Cependant, pour réussir, la nouvelle direction de l’UA doit prendre la mesure des menaces politiques et sécuritaires qui pèsent sur l’Afrique de l’Ouest et se doter de la volonté politique de se repositionner au cœur des réponses.
Bien que les conflits en Somalie, au Soudan et en République démocratique du Congo soient également des urgences, le Sahel ne saurait attendre. L’UA doit rompre rapidement avec son attentisme des dernières années, illustrée par la vacance du poste de Haut Représentant et Chef de la Mission de l’UA pour le Mali et le Sahel (MISAHEL) depuis août 2023.
Au-delà de la crise actuelle, le nouveau président de la Commission de l’UA devrait urgemment nommer un Haut Représentant et renforcer le mandat de la MISAHEL pour lui donner les moyens et la flexibilité nécessaires pour opérer de manière efficace et constructive dans un environnement géopolitique volatile.
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