La course vers la neutralité carbone est-elle lancée ?
Alors que la Chine dépasse ses objectifs en matière d'énergies renouvelables, un projet de loi américain historique pourrait stimuler la transition climatique mondiale.
Les États-Unis et la Chine génèrent à eux deux le plus d’émissions de carbone à l’échelle mondiale. Actuellement, la Chine est le principal émetteur, les États-Unis se classant au deuxième rang. Ils ont à eux deux plus d’actions à mener que tout autre pays avant la Conférence des Nations unies sur le changement climatique (COP27) qui se déroulera en Égypte en novembre prochain.
Un important projet de loi américain sur les dépenses fédérales, adopté ce mois-ci, pourrait donner un nouvel élan à la transition climatique mondiale. La Chine a pris de l’avance dans l’adoption de contre-mesures. Est-ce le signe d’une course vers la neutralité carbone entre les deux plus grands émetteurs mondiaux ? Quelles en seraient les conséquences pour les autres pays ?
L’outil Climate Action Tracker de 2021 révèle de sombres perspectives pour les émissions de gaz à effets de serre mondiales. Il confirme le sixième rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) qui indique que les températures excèdent déjà de 1,2 °C les niveaux de l’époque préindustrielle. Même dans le plus optimiste des scénarios, où tous les engagements et toutes les promesses sont honorés, les températures s’élèvent de +1,8 °C, dépassant donc l’objectif d’une augmentation de 1,5 °C.
Une estimation plus réaliste, fondée sur les politiques et les mesures prises par différents pays, aboutit à un scénario à +2,7 °C. Pensez au jour le plus chaud que vous avez vécu cette année, qui se situe aux alentours de 40 °C actuellement pour la plupart des pays, et ajoutez-y 2,7 °C. À +1,2 °C, on déplore déjà des catastrophes inouïes. Comme les inondations à eThekwini et les sécheresses dans la baie Nelson Mandela en Afrique du Sud, les vagues de chaleur au Royaume-Uni, les incendies en France et l’élévation du niveau de la mer à Tuvalu.
La Chine produit désormais les trois quarts des systèmes d’énergie solaire à l’échelle mondiale
La date de la COP27 approchant, il est de plus en plus urgent de renforcer les mesures à l’échelle mondiale. Bien que tous les pays doivent faire leur part pour que l’objectif de +1,5 °C reste envisageable, certains jouent un rôle plus important que d’autres. Les États-Unis sont responsables des plus importantes émissions historiques de carbone cumulées, celles-ci atteignant 25 % et devançant de peu celles de l’Union européenne qui s’élèvent à 22 %. Viennent ensuite celles de la Chine, avec 12,7 %.
Les États-Unis et la Chine sont à la traîne dans les négociations mondiales sur le climat. Alors que les États-Unis ont signé le protocole de Kyoto en 1997, le Sénat américain en a rejeté la ratification à l’unanimité. Depuis lors, la position américaine fluctue entre celle des démocrates, en faveur de plus fortes mesures pour le climat, et celle des républicains qui s’y opposent. Ainsi, l’administration de Donald Trump s’est-elle retirée de l’Accord de Paris, après une négociation pourtant réussie qui avait reçu le soutien des États-Unis sous Barack Obama.
Lors de ses participations aux différentes conférences sur le climat, la Chine s’est alignée sur la position du G77+CHINA qui s’appuie sur le principe d’une responsabilité à la fois commune et différenciée, ainsi que sur les capacités respectives des pays. Cette position, selon laquelle en tant que pays en développement ses responsabilités ne peuvent être précisées, a mis la Chine en porte-à-faux par rapport au mouvement mondial en faveur du climat, ses émissions ayant augmenté du fait de son expansion industrielle.
Cependant, la Chine a de toute évidence bien anticipé sur l’avenir. Après avoir adopté le protocole de Kyoto, elle a opéré un changement politique majeur. En 1998, le Groupe national de coordination sur le changement climatique a été transféré au sein de la Commission nationale pour le développement et la planification. En 2001, le 10e plan quinquennal reconnaissait l’existence du changement climatique et fixait les premiers objectifs en matière d’énergies renouvelables. Depuis le 11e plan quinquennal, la Chine a régulièrement dépassé ses objectifs, le 13e plan annonçant la production de 530 GW à partir du solaire et de l’éolien d’ici 2020.
Le budget du programme américain de lutte contre le changement climatique est le plus important jamais alloué par le gouvernement fédéral à cette question
Le 14e plan quinquennal (2021-2025) prévoit la fourniture de 33 % de l’énergie chinoise par des sources autres que fossiles, et 18 % par le solaire et l’éolien. Par ailleurs, la Chine investit actuellement 22 milliards de dollars US dans la transmission à ultra-haute tension pour améliorer l’efficacité de son réseau.
Pendant plus de 20 ans, grâce à ces mesures, la Chine s’est dotée d’une redoutable capacité de fabrication dans le domaine des énergies renouvelables, offrant désormais les trois quarts des systèmes d’énergie solaire à l’échelle mondiale.
Les États-Unis quant à eux, principalement en raison de la position des administrations républicaines sur le changement climatique, arrivent à la deuxième place. Il s’agit pourtant de la plus importante économie du monde, dont les sources d’énergies renouvelables, notamment l’énergie hydro-électrique et celle issue de la biomasse, ont couvert plus de 21 % de ses besoins énergétiques totaux en 2021.
La présidence Joe Biden-Kamala Harris a fait campagne pour que le changement climatique soit sérieusement considéré. Elle a également facilité le leadership à l’échelle mondiale dans ce domaine en organisant un sommet sur le climat qui s’est tenu avant la COP26. Toutefois, cette administration est longtemps restée silencieuse. Tout a changé désormais. Ce mois-ci, les États-Unis ont adopté un projet de loi économique majeur qui prévoit l’affectation de 369 milliards de dollars US à la lutte contre le changement climatique. Ce qui est le plus important budget jamais alloué par le gouvernement fédéral à cette question.
Pour l’Afrique, cette course pourrait aboutir à des aides et à des facilités de prêt moins coûteuses pour le développement lié aux énergies propres
La loi prévoit une série de mesures incitatives pour passer aux énergies renouvelables et aux véhicules électriques, un soutien à la recherche, un financement pour faciliter la transition de l’industrie pétrolière et gazière, ainsi qu’une aide à l’adaptation pour les secteurs particulièrement impactés. Des milliards sont prévus pour accélérer la production d’énergie propre, comme les panneaux solaires et les éoliennes. Et 60 milliards de dollars US seront versés aux communautés les plus touchées par la pollution engendrée par les combustibles fossiles. Les porteurs de ce projet de loi affirment qu’il permettra de réduire les émissions de carbone de 40 % d’ici 2030.
Une longue pause politique aux États-Unis, ainsi que les préoccupations sur la sécurité énergétique liées à la crise ukrainienne ont nui à la dynamique mondiale pour la transition climatique. Cette décision américaine représente une immense victoire politique et un investissement considérable en faveur d’une transition conséquente vers une économie à faibles émissions de carbone. Elle s’inscrit également dans le sillage de réalisations majeures faites par la Chine dans les domaines des énergies renouvelables et des véhicules électriques.
Une course entre les deux principaux émetteurs mondiaux pourrait être le prélude à l’accélération vers un avenir moins carboné et représenter le plus sûr moyen d’atteindre l’objectif de +1,5 °C. Ce qui suppose un développement plus rapide de technologies associées à de nouvelles connaissances, pour soutenir la transition mondiale des combustibles fossiles vers les énergies renouvelables comme première source d’énergie.
L’accès au financement alloué à la lutte contre le changement climatique pourrait être facilité par des capitaux privés. Pour l’Afrique et une grande partie des pays en développement, cette course pourrait aboutir à de nouvelles aides et à des facilités de prêt moins coûteuses pour le développement socio-économique lié aux énergies propres, du moins peut-on l’espérer.
L’Afrique accéderait ainsi plus aisément à des solutions sobres en carbone et en même temps adaptées à ses besoins pour l’aider à atteindre ses objectifs fixés dans l’Agenda 2063. En appliquant la bonne stratégie, le continent africain pourrait tirer parti de la course à laquelle se livrent les deux superpuissances pour devenir le principal fournisseur mondial de solutions énergétiques et d’infrastructures à faibles émissions de carbone. D’autres scénarios sont possibles. Toutefois, à la lumière d’une série d’actions courageuses menées par les superpuissances économiques mondiales, il est permis d’être optimiste.
Dhesigen Naidoo, chercheur principal associé, Institut d’études de sécurité, Pretoria.
Image : © Amelia Broodryk/ISS
Les droits exclusifs de re-publication des articles ISS Today ont été accordés au Daily Maverick en Afrique du Sud et au Premium Times au Nigeria. Les médias basés en dehors de l'Afrique du Sud et du Nigeria qui souhaitent republier des articles et pour toute demande concernant notre politique de publication, veuillez nous envoyer un e-mail.
Partenaires de développement
L’ISS exprime sa reconnaissance aux membres suivants du Forum de Partenariat de l’ISS : la Fondation Hanns Seidel, Open Society Foundation, l’Union européenne et les gouvernements du Danemark, de l’Irlande, de la Norvège, des Pays-Bas et de la Suède.