La corruption en Afrique aggrave les blessures de la COVID-19

La pandémie y a été moins meurtrière qu’ailleurs, toutefois les économies africaines ont doublement souffert en raison de la corruption.

Pendant la pandémie, la corruption généralisée a aggravé les effets dévastateurs de la COVID-19 sur l’économie africaine. Depuis le premier cas recensé le 14 février 2020 en Égypte, le virus s’est propagé dans tous les pays du continent.

Le 6 avril 2022, l’Afrique recensait 11,5 millions de cas confirmés et 252 000 décès liés à la COVID-19. Toutefois, selon l’Organisation mondiale de la santé, le nombre d’infections pourrait se révéler 97 fois supérieur à ces chiffres officiels. En Afrique, l’exposition au virus est passée de 3 % en juin 2020 à environ 65 % en septembre 2021. Or, ceci équivaut à plus de 800 millions de cas, soit bien davantage que les 8,2 millions relevés au cours de cette période.

Les risques de la pandémie pour la santé se sont révélés moins graves en Afrique qu’ailleurs dans le monde, le continent enregistrant le niveau le plus élevé de cas asymptomatiques, estimé à 67 %. Ce résultat a été attribué principalement à la très jeune population du continent et aux taux plus faibles d’affections sous-jacentes telles que le diabète, l’hypertension et d’autres maladies chroniques, qui sont des facteurs d’hospitalisation et de décès.

L’Afrique a eu de la chance à cet égard, surtout si l’on considère la fragilité de ses systèmes de santé. Mais la pandémie a révélé les faiblesses structurelles de l’économie du continent, avec des effets dévastateurs. Les restrictions concernant les déplacements et les échanges commerciaux ont permis de juguler les infections, mais elles ont coûté très cher aux économies africaines déjà fragilisées.

Selon l’OMS, les infections en Afrique pourraient être 97 fois plus importantes que les cas signalés

Selon la Banque africaine de développement, le PIB s’est contracté de 2,1 % en 2020, et les pertes de recettes d’exportation prévues pour le seul carburant se sont élevées à environ 101 milliards de dollars cette année-là. La baisse des recettes combinée à la hausse des dépenses a eu pour effet de doubler les déficits budgétaires, qui ont atteint le niveau historiquement élevé de 8,4 % du PIB.

Le coût des plans de relance à eux seuls variait entre 0,02 % du PIB au Soudan du Sud et 10,4 % environ en Afrique du Sud. Par conséquent, la charge de la dette de l’Afrique a augmenté de 10 à 15 points de pourcentage en 2021. De nombreux pays ont été autorisés à suspendre le remboursement de leur dette extérieure, alors que les taux d’intérêt ont été rehaussés dans le but de juguler l’inflation dans les pays avancés.

Le temps productif perdu en 2020 en raison de la COVID-19 a été estimé à environ 112 millions d’emplois. Au Nigeria, 20 % des ménages avaient perdu leur emploi en juin 2021, tandis qu’en Afrique du Sud, trois millions d’emplois ont été perdus pendant le confinement. La pandémie a coûté plus de 700 000 emplois au Kenya et au Ghana. Les enquêtes de la Banque mondiale révèlent que 82 % des ménages au Malawi et 80 % d’entre eux au Nigeria ont signalé des pertes de revenus. De même, 76 % des ménages en Ouganda et 46 % en Éthiopie ont déclaré que leurs revenus avaient baissé.

En outre, environ 30 millions d’Africains supplémentaires sont tombés dans l’extrême pauvreté (vivant avec moins de 1,90 USD par jour) en 2020, et on estime que ce chiffre est passé à 39 millions en 2021. Au total, on estime que 465,3 millions de personnes, soit 34,4 % de la population africaine, étaient en situation d’extrême pauvreté en 2021.

Le matériel nécessaire pour la COVID-19 a été acheté sous le blanc-seing de l’urgence, échappant ainsi à tout examen public

Ces effets économiques ravageurs ont été aggravés par la grande corruption associée aux dépenses de COVID-19, dont certaines ont affecté les fonds d’organisations multilatérales. En réponse à la pandémie, plusieurs organismes bailleurs ont soutenu les gouvernements africains grâce à divers montages financiers. À eux deux, le Fonds monétaire international et la Banque mondiale ont fourni environ 57 milliards de dollars pour aider l’Afrique.

Les mesures de redevabilité visant à contrôler l’utilisation de ces fonds ont été assouplies pour accélérer l’achat d’équipements de protection individuelle, de biens et services essentiels et de vaccins. La plupart de ces dépenses ont été faites sous le blanc-seing de l’urgence, échappant ainsi à tout examen public et à toute obligation de rendre des comptes.

Dans toute l’Afrique ont été signalées des affaires de corruption liée à la COVID-19, principalement au niveau des achats et de l’approvisionnement. Au Cameroun, un audit réalisé en 2021 a révélé le détournement d’environ 333 millions de dollars destinés à réagir à la pandémie en 2020. Le ministre sud-africain de la Santé de l’époque a été temporairement mis en congé pendant la durée de l’enquête sur des contrats irréguliers pour un montant de 10 millions de dollars. L’opinion publique sud-africaine s’est également emportée contre le gonflement présumé de contrats publics pour l’achat de fournitures médicales d’une valeur de 900 millions de dollars.

Le gouvernement du Malawi a révélé que certains de ses fonctionnaires s’étaient entendus avec le secteur privé pour détourner 1,3 million de dollars de fonds COVID-19 par le biais d’irrégularités en matière d’achats et d’indemnités. L’Autorité kenyane des fournitures médicales aurait dérobé environ 400 millions de dollars destinés à l’achat de matériel médical, et la Commission d’éthique et de lutte contre la corruption du pays a révélé d’autres dépenses irrégulières s’élevant à environ 71,96 millions de dollars. Le rapport du Vérificateur général sur les dépenses liées à la COVID-19 a révélé le détournement de plus de 69 millions de dollars.

La corruption signalée pourrait que la partie émergée de l’iceberg, car la plupart des dépenses à la COVID-19 n’ont pas encore fait l’objet d’audits

Au Nigeria, le ministère fédéral de la Santé aurait acheté 1 808 masques de protection pour un montant de 96 000 dollars. En Ouganda, quatre hauts fonctionnaires ont été arrêtés pour avoir surfacturé des produits destinés à l’aide alimentaire dans le cadre de la COVID-19, ce qui a entraîné une perte de 528 000 dollars. Le ministre de la Santé du Zimbabwe a été démis de ses fonctions pour avoir gonflé le coût d’équipements médicaux en attribuant illégalement un contrat de plusieurs millions de dollars. On a découvert que son homologue ghanéen avait acheté le vaccin russe Sputnik V au prix unitaire de 19 dollars au lieu du prix d’usine de 10 dollars la dose.

Il ne s’agit peut-être que de la partie émergée de l’iceberg, car la plupart des dépenses engagées pendant la pandémie de COVID-19 en Afrique n’ont pas encore fait l’objet d’audits.

L’Afrique a fait de grands progrès dans la lutte contre la pandémie, mais pour atteindre l’objectif de vacciner 70 % de sa population d’ici le mois de juin, il faut renforcer la sensibilisation et l’éducation. Jusqu’à présent, seuls les Seychelles et Maurice ont atteint cet objectif, probablement en raison de leur faible population et de leur niveau de développement plus élevé par rapport au reste de l’Afrique.

Malgré l’achat de plus de 714 millions de doses de vaccin, seuls 15 % des adultes en Afrique étaient entièrement vaccinés en mars, et 15 pays n’ayant pas encore atteint l’objectif de vacciner entièrement 10 % de leur population.

Pour relancer l’économie africaine, les restrictions liées à la COVID-19 ont été assouplies et des programmes de relance économique ont été lancés. Mais le continent n’a pas fait de réel progrès en matière de lutte contre la corruption par le biais d’audits appropriés des dépenses publiques et parapubliques relatives à la COVID-19. Or, ces audits sont essentiels et doivent impérativement être suivis d’enquêtes et de poursuites afin de permettre aux États concernés de récupérer l’argent public.

Enoch Randy Aikins, chercheur, African Futures and Innovation, ISS Pretoria

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