La chute du régime Assad en Syrie est une mauvaise nouvelle pour la Libye
La Russie semble accélérer l’implantation d’un centre militaire en Libye, au risque d’intensifier le conflit persistant dans le pays.
Pour la Russie, comme pour l’Iran, la chute de la dynastie Assad en Syrie, vieille de 54 ans, le mois dernier, a constitué un revers géostratégique majeur. La chute soudaine de l’ancien président syrien Bachar al Assad a mis en péril l’importante présence militaire russe en Méditerranée orientale.
Aujourd’hui, Moscou chercherait à négocier le maintien de sa présence avec les nouvelles autorités syriennes. En parallèle, elle transfère des équipements militaires de la Syrie vers la Libye voisine, apparemment pour y établir ou renforcer une présence stratégique pour ses opérations africaines. Cette manœuvre pourrait sérieusement compromettre les efforts visant à résoudre le conflit libyen.
La chute du régime Assad a également des répercussions sur l’expansion russe en Afrique. Les bases navales et aériennes de Moscou en Syrie ont servi de plaques tournantes pour alimenter les opérations russes en Libye, au Mali, au Niger, au Burkina Faso, en République centrafricaine et au Soudan.
Assad avait permis une présence militaire russe significative en Syrie, dont une base navale en eaux chaudes à Tartus, une base aérienne à Khmeimim, près de Lattaquié, et une base d’hélicoptères à Qamishli, dans l’extrême nord-est.
Les accords de paix entre factions libyennes prévoyaient le départ des forces étrangères
« L’effondrement soudain du régime Assad en Syrie, qui était soutenu par le Kremlin depuis 2015, constitue une défaite stratégique majeure pour Moscou. Il a plongé le Kremlin dans une crise, alors que celui-ci cherche à préserver ses bases militaires stratégiques en Syrie, a déclaré l’Institut pour l’étude de la guerre le 9 décembre.
» Poutine […] est intervenu au nom d’Assad en 2015 pour sécuriser les bases militaires russes en Syrie, renforçant ainsi l’influence de Moscou en Méditerranée et en mer Rouge. Cette action visait à accroître l’empreinte globale de la Russie au Moyen-Orient et en Afrique, tout en exerçant une pression sur le flanc sud [de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord].
» La Russie tente de sécuriser ses bases en Syrie alors que les forces d’opposition prennent le pouvoir, mais le maintien de sa présence militaire dans le pays n’est pas garanti. D’autant que les actions de Moscou en faveur d’Assad au cours des neuf dernières années ont probablement compromis sa capacité à établir des relations positives et durables avec les nouveaux groupes d’opposition au pouvoir. »
L’incertitude entourant la composition du nouveau gouvernement complique probablement aussi les négociations. Par précaution, Moscou a entamé un transfert de ses ressources militaires vers la Libye, où elle avait déjà commencé à renforcer sa présence militaire en 2023-2024.
Transformer la Libye en théâtre de rivalités entre grandes puissances aggraverait sa crise interne
« Il y a quatre semaines, la Russie a subi un revers stratégique en Syrie, une situation qu’elle n’avait pas anticipée. La chute d’Assad compromet une plaque tournante logistique clé qui, depuis neuf ans, soutient ses opérations en Libye et en Afrique subsaharienne », a déclaré à ISS Today un analyste de The Sentry, une organisation d’investigation et de politique basée aux États-Unis.
« Pour préserver ses opérations en Afrique, Moscou a renforcé sa présence en Libye afin de compenser la dégradation de sa position en Syrie ces dernières semaines. Jusqu’à présent, aucun élément naval n’a été impliqué dans ces efforts.
Au cours des quatre dernières semaines, la Russie a acheminé par voie aérienne d’importantes ressources militaires vers la Libye, depuis la Syrie, la Russie et le Belarus. »
Plusieurs autres rapports publiés dans les médias grand public et sur des sites de renseignement confirment des transports de matériel militaire par gros avions-cargos de l’armée de l’air russe, depuis la base aérienne de Khmeimim vers la base russe d’al-Khadim près de Benghazi, dans l’est de la Libye.
La capacité de la Russie à soutenir ses alliés sur le plan sécuritaire semble remise en question
Cette semaine, des sources des services de renseignement ukrainiens, qui ont requis l’anonymat, ainsi que d’autres analystes, ont déclaré que plusieurs navires russes étaient attendus à Tartous. Parmi eux, les navires rouliers Sparta et Sparta II auraient pour mission de transporter du matériel militaire vers la Libye, et une partie en Russie.
Le renforcement de la présence militaire russe en Libye risque de prolonger, voire d’aggraver, le conflit dans ce pays. La Russie soutient depuis longtemps le général Khalifa Haftar, homme fort de l’Est libyen, dans sa lutte contre le gouvernement de Tripoli, soutenu par les Nations unies.
En décembre, Abdul Hamid Dabaiba, Premier ministre du gouvernement d’unité nationale à Tripoli, s’est opposé fermement au renforcement des bases russes en Lybie. Il a averti que cette militarisation transformait la Libye en un terrain de rivalité entre grandes puissances, compliquant davantage la crise interne.
Il convient également de noter qu’en vertu des accords de paix conclus entre les factions libyennes, toutes les forces étrangères auraient dû quitter la Libye depuis longtemps.
« La chute soudaine du régime Assad soulève aussi des doutes sur la capacité de la Russie à continuer de fournir un soutien militaire et sécuritaire à ses alliés, déclare Denys Reva, chercheur à l’Institut d’études de sécurité. La Russie semble actuellement débordée, incapable d’allouer des ressources supplémentaires. »
Selon Reva, perdre également son accès à la Libye compromettrait gravement la capacité de Moscou à soutenir et approvisionner efficacement ses forces au Mali, au Burkina Faso et au Niger.
« Les Russes ont clairement vu leur situation se dégrader en Syrie, explique un analyste de The Sentry. Même en supposant qu’ils conservent leur présence à Lattaquié et à Tartous, l’environnement y est devenu plus incertain, moins pratique et plus risqué.
» En renforçant son empreinte en Libye, la Russie pourrait chercher à compenser la détérioration de sa situation en Syrie, au moins en partie. Sans cette stratégie, Moscou risquerait de compromettre ses missions en Afrique subsaharienne. »
Pour l’Afrique, l’impact de la chute d’Assad reste incertain. Un affaiblissement de la présence militaire de la Russie sur le continent serait sans doute positif, compte tenu de ses résultats au Sahel en particulier. Au Mali, au Niger et au Burkina Faso, la Russie soutient des régimes militaires issus de coups d’État, souvent accusés de violations graves des droits humains, sans aboutissements significatifs dans la lutte contre le terrorisme.
Pour la Libye, les conséquences probables apparaissent clairement plus négatives. En déplaçant le centre de ses opérations militaires vers la Libye, la Russie s’est donné une raison supplémentaire de s’y retrancher durablement, contribuant à prolonger le conflit interne, comme l’a averti Dabaiba.
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