L'Afrique va-t-elle subir une nouvelle crise avec la hausse des tarifs douaniers ?
Les perturbations créées par les tarifs douaniers « réciproques » de Trump frapperaient les pays de l'AGOA plus que tous les autres.
L'Afrique est frappée par une série de catastrophes. Encore sous le choc des coupes budgétaires de l'Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), elle doit digérer une hausse des tarifs douaniers invraisemblable, qui ne semble répondre à aucune logique, du président américain Donald Trump.
Ces augmentations pourraient signifier la fin de la Loi sur la croissance et les opportunités de développement en Afrique (AGOA), qui donne un accès non réciproque et sans droits de douane au marché lucratif des États-Unis pour la plupart des exportations de 32 pays subsahariens.
Ce programme, qui durait depuis 25 ans, aurait probablement été supprimé lors de son renouvellement en septembre. Cependant, les tarifs douaniers démesurés, qui devaient entrer en vigueur le 9 avril, auraient annulé les avantages de l'AGOA et l’auraient rendue caduque, comme l’ont déclaré des fonctionnaires américains à ISS Today.
Puis, mercredi en fin de journée, après l’effondrement des marchés en raison de la « crise des tarifs douaniers », Trump a temporairement suspendu les hausses tarifaires pendant 90 jours et ramené les droits de douane à 10 %, à l’exception de ceux de la Chine qui ont été portés à 145 %.
Peu de pays africains ont pleinement profité des avantages de l'AGOA. Ils ont cependant été utiles à des pays comme l'Afrique du Sud, le Lesotho, le Madagascar et l'Eswatini. Ce qui est anormal, c’est que les pays qui en bénéficiaient le plus sont aussi les plus durement touchés, parce que leurs exportations vers les États-Unis dans le cadre de l'AGOA leur ont permis de dégager des excédents commerciaux. Ils sont donc frappés par des tarifs douaniers « réciproques » élevés, censés équilibrer les échanges.
L'exemple le plus extrême est celui du petit Lesotho, touché par les tarifs douaniers les plus élevés au monde (50 %), suivi de Madagascar (47 %), de Maurice (40 %) et de l'Afrique du Sud (31 %).
Les pays de l'AGOA, comme le Lesotho, sont parmi les plus durement touchés
En 2024, le Lesotho a exporté pour 237,3 millions de dollars US de marchandises vers les États-Unis, principalement des textiles, dans le cadre de l'AGOA, et des diamants. Les importations américaines ne s’élèvent qu’à 2,8 millions de dollars, en grande partie parce que la majorité des importations du Lesotho provient de l'Afrique du Sud voisine.
Cela a donc créé un déficit commercial relativement important, de sorte que le Lesotho s’est vu affligé d'un tarif douanier de 50 %. Le Lesotho n'impose pas ou impose très peu de tarifs douaniers sur les importations américaines. Le ministre du Commerce du Lesotho, Mokhethi Shelile, a déclaré que ces augmentations pourraient coûter 12 000 emplois et entraîner la fermeture de 11 usines.
De même, le Madagascar a exporté pour 733,2 millions de dollars de marchandises vers les États-Unis en 2024, dont en grande partie des textiles dans le cadre de l'AGOA, et n'a importé que pour 53,4 millions de dollars de marchandises américaines, ce qui a créé un déficit commercial important. Le Madagascar a donc été frappé d'un tarif douanier de 47 %, ce qui devrait également anéantir son industrie textile qui perdrait 60 000 emplois.
L'Afrique du Sud risque également d'être durement touchée, avec environ 3 567 milliards de dollars d'exportations annuelles dans le cadre de l'AGOA (depuis 2023), en majorité dans les secteurs de l'automobile et de l'agriculture. Les nouveaux tarifs leur porteraient un coup sévère et réduiraient d'environ 0,3 % le produit intérieur brut, qui n'a augmenté que de 0,6 % l'année dernière.
La logique perverse de ces hausses a permis à certains pays, comme le Kenya, de s'en tirer avec le tarif douanier minimal de 10 %.
Décider comment réagir est probablement plus facile pour les pays africains que pour la Chine et l'Union européenne, par exemple, qui ont pris des mesures de rétorsion en imposant des tarifs douaniers importants sur les importations américaines. La puissance économique et les importations des États-Unis des pays africains ne leur permettent pas de riposter. Alors, la seule voie à suivre reste celle de la négociation.
La seule voie que peuvent suivre les pays africains reste celle de la négociation
Le Kenya a envoyé une délégation à Washington le 1er avril et l'Afrique du Sud se préparait à faire de même, avant d’en évaluer les conséquences. D'autres tentent d'obtenir des rendez-vous pour plaider l’annulation ou une réduction des tarifs douaniers. Certains cherchent d'autres marchés pour leurs exportations et prévoient d'acheter davantage de produits américains afin d'équilibrer les échanges.
Shelile a déclaré que le Lesotho discutait avec des producteurs de blé américains pour acheter leurs produits et envisageait de donner aux entreprises américaines une participation dans la construction d’autres générateurs d'électricité envisagée par le pays. Le ministère des Affaires étrangères de Madagascar a déclaré qu'il était déjà en contact avec les autorités américaines.
Le président zimbabwéen Emmerson Mnangagwa — bien que soumis à des sanctions américaines pour violations des droits de l'homme — a pieusement annoncé qu'il suspendait les tarifs douaniers sur les produits américains « pour faciliter l'expansion des importations américaines sur le marché zimbabwéen, tout en favorisant l’augmentation des exportations zimbabwéennes vers les [États-Unis] ».
Trump avait imposé des tarifs douaniers de 18 % au Zimbabwe, dont les échanges commerciaux avec les États-Unis ne représentaient que 111,6 millions de dollars en 2024. La même année, les États-Unis ont exporté des tracteurs et d'autres biens d’une valeur estimée à 43,8 millions de dollars et importé des ferroalliages, du tabac et du sucre pour un montant de 67,8 millions de dollars.
Certains pays africains pourraient ajuster leurs politiques commerciales après que les États-Unis les ont accusés d’avoir des « pratiques commerciales déloyales ». Ces dernières font référence à l'interdiction d'importation imposée depuis longtemps par le Nigeria sur 25 catégories de produits américains, les tarifs douaniers de 50 % fixés par le Kenya et ce que le représentant américain au commerce extérieur a qualifié « d’exigences réglementaires pesantes » sur les importations du maïs américain. Les tarifs douaniers de 30 % imposés à l'Afrique du Sud ont été en partie attribués à des tarifs douaniers injustement élevés sur les importations de volaille et de porc américains.
Il y a quelques signes d'une réponse coordonnée de la part de l'Afrique. Shelile a confirmé, même après le revirement de Trump, que les ministres du commerce de l'Union douanière de l'Afrique australe se réuniraient au début de la semaine prochaine pour tenter de trouver un moyen « de sortir de ce bourbier ». Madagascar a commencé à consulter d'autres pays africains pour coordonner une position commune.
Les pays africains ont le temps de se coordonner et de présenter une réponse commune
Les implications de la crise des tarifs douaniers restent floues, surtout après la volte-face de Trump mercredi. A-t-il suspendu « provisoirement » les hausses pour sauvegarder les apparences ou reviendra-il en force dans trois mois ? Et qu'est-ce que tout cela signifie pour l'AGOA ?
Partageant la plupart des analyses, Stephen Lande, président de Manchester Trade, explique : « L'AGOA est morte pour longtemps. Toutefois, la question reste de savoir si nous pouvons la prolonger pour une courte période, soit par décret administratif, soit par le Congrès, afin d’introduire une approche plus transactionnelle.
» Il ne serait pas bon que l’AGOA laisse un vide sans qu'aucune politique ne prenne sa place. La seule gagnante serait la Chine. Peut-être qu'on pourrait convenir d’une politique alternative au cours de la période de sursis de 90 jours ».
Eckart Naumann, qui collabore avec le Trade Law Centre, estime que, même si les tarifs douaniers « réciproques » sont rétablis, certains bénéficiaires de l'AGOA pourraient encore jouir d'un relatif avantage par rapport à d'autres, étant donné que tous les pays seront confrontés à des tarifs douaniers supplémentaires.
Néanmoins, si des tarifs douaniers élevés sont effectivement imposés aux producteurs de vêtements comme le Lesotho, le Madagascar et l'île Maurice, ces derniers seront fortement désavantagés par rapport au Kenya, par exemple, dont le tarif douanier de base est fixé à 10 %.
Naumann note que les États-Unis ont exempté certains produits de droits de douane, principalement les minéraux et l'énergie. Or, certains de ces produits étant importants pour l'Afrique du Sud, leur exemption maintient en quelque sorte « l'avantage de l'AGOA » pour le pays.
Néanmoins, il précise que « l'environnement politique pour un renouvellement de l'AGOA est actuellement défavorable, bien que cela puisse changer une fois que la situation sera normalisée ». Il suggère aux États africains de forger des alliances commerciales plus solides avec des partenaires fiables dans le cadre d'un système d’échange fondé sur des règles.
Avec ce sursis de 90 jours, les pays africains ont le temps de se coordonner et de présenter une réponse commune à un éventuel rétablissement des hausses des tarifs douaniers. Ils devraient également accélérer la mise en œuvre de l'accord sur la zone de libre-échange continentale africaine, qui offre des alternatives au marché américain.
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