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L’Afrique peut-t-elle toujours compter sur l’Occident ?

Alors que les relations entre les États-Unis et l’Europe se distendent, l’Afrique a besoin de partenaires multilatéraux fiables.

La divergence qui s’accroît entre l’Europe et les États-Unis sous la présidence de Donald Trump pourrait rendre obsolète la représentation d’un Occident cohérent et avoir des répercussions considérables pour l’Afrique. Le continent a certes diversifié ses partenariats internationaux, mais il pourrait désormais être confronté à des choix difficiles.

La décision de Trump de négocier un accord de paix pour l’Ukraine directement — et exclusivement — avec la Russie et les invectives du vice-président américain, JD Vance, contre les Européens cette semaine, durant la conférence de Munich sur la sécurité, ont attisé les tensions. Elles remettent en question la pertinence du partenariat transatlantique.

Vance a invité les dirigeants européens à lever les « barrières » qui empêchent les partis d’extrême droite d’accéder au pouvoir exécutif. Le gouvernement Trump partage de nombreuses valeurs avec ces partis, surtout avec l’Alternative pour l’Allemagne. La xénophobie, un nationalisme agressif et une quête de liberté d’expression absolue, voire malveillante, les rapprochent.

Vance a déclaré : « La menace qui m’inquiète le plus pour l’Europe n’est pas la Russie, la Chine, ou un acteur extérieur. Ce qui m’inquiète, c’est une menace qui viendrait de l’intérieur : le recul de l’Europe sur des valeurs fondamentales, des valeurs qu’elle partage avec les États-Unis ».

Ces propos ont offusqué les gouvernements européens en insinuant l’existence d’une forme d’autoritarisme de leur part — au contraire de la Russie.

L'Afrique pourrait faire face à des choix difficiles concernant ses partenariats internationaux

De fait, Trump a engagé des négociations avec la Russie pour mettre fin à la guerre, en excluant l’Ukraine et l’Europe. Il a affirmé que l’Ukraine était à l’origine du conflit et a qualifié son président Volodymyr Zelensky de « dictateur ».

Le secrétaire américain à la défense, Pete Hegseth, a choqué l’Europe en la prévenant de ne pas compter sur le soutien « éternel » des États-Unis.

Ces divergences profondes ont des incidences sur l’Afrique, selon des experts de l’Institut d’études de sécurité (ISS) présents à la conférence de Munich. Priyal Singh, chercheur principal à l’ISS, note « une rupture du partenariat transatlantique » et estime que l’hypothèse d’un « Occident » cohérent « est désormais erronée ».

L’avenir des rapports de l’Afrique avec les États-Unis et l’Europe sera perturbé. Pour Singh, les relations entre l’Afrique et l’Europe suivront probablement la trajectoire habituelle (bonne gouvernance, droits de l’homme, etc.), contrairement de celles avec les États-Unis. On assistera à un revirement de discours motivé par la position antagoniste de Trump sur la diversité, l’équité et l’inclusion.

Singh a salué la vague de solidarité de l’Europe à l’égard de l’Afrique du Sud après les attaques américaines qu’a subies Pretoria. Les déclarations de Vance indiquant que l’Europe devrait désormais assurer sa sécurité, a soulevé des questions sur l’approche américaine de la sécurité en Afrique.

Le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, a soulevé des points que Vance n’avait pas abordés

Le financement américain des opérations de maintien de la paix est désormais remis en question. Certains fonds américains destinés aux opérations des Nations unies en Haïti ont été gelés. Malgré les réserves du gouvernement de Joe Biden sur les mécanismes de financement des missions de paix africaines par les Nations unies, les remarques du président de la commission des affaires étrangères du Sénat américain, Jim Risch, le 11 février, montrent un durcissement général de la position des États-Unis.

Risch estime que « la résolution 2719 du Conseil de sécurité des Nations unies ne devrait pas justifier le financement de l’AUSSOM. Cela condamnerait les États-Unis à un financement perpétuel via leurs cotisations à l’ONU, au détriment du contribuable américain ».

Singh a déclaré qu’on ignorait si l’Europe pourra combler le déficit sécuritaire des États-Unis en Afrique, car elle devrait augmenter ses dépenses de défense pour l’Ukraine afin de pallier la diminution de l’aide militaire américaine.

D’autres pays, comme la Turquie, les Émirats arabes unis et la Chine, pourraient intervenir, tout en poursuivant leur stratégie individuelle.

Jakkie Cilliers, responsable du programme International Futures de l’ISS, estime que ces événements récents constituent « un signal d’alarme pour l’Europe [afin qu’elle] assume la responsabilité de sa sécurité ».

Le retrait de Trump pourrait pousser la Chine à renforcer sa position sur la scène mondiale

Cilliers pense que ces divergences entre les États-Unis et l’Europe auront un impact sur l’Afrique à cause de la décision de Trump de réduire l’aide extérieure et de l’incapacité de l’Europe à la compenser. Par conséquent, on peut s’attendre à une augmentation considérable de la pauvreté, ainsi que sans doute à une diminution de 20 à 30 % du financement américain dans la lutte contre le VIH/SIDA et, plus généralement, de l’aide au développement.

L’image des États-Unis comme celle d’un partenaire fiable sera écornée et le pays considéré comme inconstant et imprévisible.

Concernant la coopération entre l’Afrique et les États-Unis dans le domaine de la sécurité, Hegseth aurait déclaré que le commandement des États-Unis pour l’Afrique (AFRICOM), restait vital pour les États-Unis, alors qu’il en visitait le siège, la semaine dernière, à Stuttgart, en Allemagne. Cilliers explique que cela tient à la position de l’Afrique qui se trouve en première ligne dans les attaques des islamistes contre les populations chrétiennes.

Hegseth a évoqué les frappes aériennes du 1er février contre des militants en Somalie, fruit de la coopération entre l’AFRICOM et le gouvernement fédéral somalien. Il a également déclaré que l’Afrique restait une priorité en raison des intentions « pernicieuses » de la Chine sur le continent.

Pourtant, le retrait de Trump pourrait pousser la Chine à renforcer sa position sur la scène mondiale, particulièrement en Afrique.

Ottilia Anna Maunganidze, responsable des projets spéciaux à l’ISS, précise qu’après le départ de Vance de la conférence de Munich, le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, a parlé de multilatéralisme, de la collaboration pour le développement et de partenariats plus solides, que Vance n’avait pas mentionnés.

« Ce discours a trouvé un écho auprès de nombreuses personnes, un paradoxe car la Chine est traditionnellement en marge de ces discussions. Et il a été largement ovationné, contrairement à celui de Vance. »

Maunganidze estime que la juxtaposition du discours hostile de Vance et de la réaffirmation par Yi d’« un ordre mondial basé sur des règles mutuellement acceptées » signifiait, notamment pour l’Afrique, que si les États-Unis rejettent le rôle de chef de file mondial, la Chine serait ravie de proposer un programme de développement. Elle a ajouté que l’approche chinoise de la sécurité par le développement serait particulièrement attrayante pour l’Afrique.

En l’espace d’un mois, Trump a bouleversé l’ordre mondial et fait souffler un vent d’incertitudes. Il serait judicieux que l’Afrique se rapproche d’amis plus fiables, comme l’Europe, et privilégie le multilatéralisme.

Si Trump a alerté l’Europe, il a également lancé un avertissement à l’Afrique, afin que les deux continents parviennent à l’autonomie dont ils rêvent depuis longtemps.

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