L’Afrique a enfin l’occasion de diriger le Commonwealth
L’Afrique prend les rênes pour la première fois depuis vingt ans. Le nouveau secrétaire général sera-t-il moins transigeant ?
Le sommet bisannuel du Commonwealth – la réunion des chefs de gouvernement du Commonwealth (CHOGM) – se tient à Samoa la semaine prochaine, alors que l’on s’interroge toujours, en 2024, sur sa pertinence.
Il s’agit d’une réunion importante puisque les 56 États membres vont élire un nouveau secrétaire général pour succéder à la Britannique Patricia Scotland. Et, pour la première fois depuis vingt ans, c’est au tour de l’Afrique d’occuper ce poste.
Trois candidats africains sont en lice : Shirley Ayorkor Botchwey, ministre des Affaires étrangères du Ghana, Joshua Phoho Setipa, ancien ministre du Commerce et de l’Industrie du Lesotho, et Mamadou Tangara, ministre des Affaires étrangères de la Gambie.
Lors du débat où ils se sont confrontés à Chatham House, à Londres, le mois dernier, Anne Gallagher, directrice générale de la Commonwealth Foundation, a déclaré : « Pour certains, il est tentant de considérer le Commonwealth comme une relique, l’écho affaibli d’un passé compliqué et problématique. »
Elle a précisé que la réunion des chefs d’État et l’élection d’un nouveau secrétaire général offraient l’occasion de discréditer les sceptiques. En effet, selon elle, les 2,7 milliards d’habitants du Commonwealth souhaitaient que le prochain dirigeant fasse du Commonwealth une force puissante en faveur de la justice, de la dignité et de la prospérité pour tous. Elle a souligné que le Commonwealth était une organisation fondée sur des valeurs de démocratie, de droits de l’homme et de bonne gouvernance.
Il reste à savoir si elle-même a défendu ces valeurs. La vigueur avec laquelle l’organe a combattu l’apartheid en Afrique du Sud et la minorité blanche en Rhodésie dans les années 1970 et 1980 est invariablement citée comme un exemple de respect des valeurs.
La saga du Gabon illustre l’ambivalence du Commonwealth quant à ses valeurs
Depuis lors, les résultats du Commonwealth sont discutables. La suspension du dictateur nigérian Sani Abacha pour l’exécution notamment de Ken Saro-Wiwa en 1995 et les sanctions contre le Zimbabwe de Robert Mugabe ont semé la discorde. Ces décisions ont souvent opposé les membres des pays du Nord global à ceux du Sud.
Ces affrontements semblent avoir inauguré une période de leadership très modeste de la part du Commonwealth. Cela va-t-il changer ?
Lors du débat de Chatham House, les trois candidats africains n’ont pas inspiré une grande confiance dans un Commonwealth plus affirmé. Ils ont indiqué qu’ils poursuivraient une diplomatie discrète concernant les violations des valeurs du Commonwealth par les États membres.
Pour sa part, Botchwey pense que le secrétaire général doit travailler en coulisse pour défendre la démocratie et les valeurs de la charte du Commonwealth. En cas d’échec, la question doit être soumise au Groupe d’action ministériel du Commonwealth (CMAG) en vue d’une éventuelle action, y compris des sanctions, qu’il se chargerait d’annoncer publiquement.
Lors de sa réunion de septembre, le CMAG a rapporté les progrès réalisés pour ramener le Gabon à la démocratie après le coup d’État de 2023. Il a également soutenu la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’État membre le Guyana, menacé par la revendication manifeste du Venezuela voisin sur une partie de son territoire.
La saga du Gabon illustre toutefois les conséquences de l’ambivalence du Commonwealth quant au respect de ses valeurs. Voulant montrer qu’il n’était pas qu’un club d’anciennes colonies britanniques, le Commonwealth a admis parmi ses membres le Gabon et le Togo, deux anciennes colonies françaises, en 2022. Pourtant, ni le Gabon ni le Togo n’étaient des démocraties exemplaires.
De tout temps, les États développés du Commonwealth appartenant au Nord global se sont davantage préoccupés de la démocratie et des droits de l’homme que les États en développement du Sud. Et ces derniers ont mis davantage l’accent sur les valeurs d’égalité économique et de développement que leurs homologues du Nord.
Dans un récent essai destiné à Chatham House, Funmi Olonisakin, professeur à l’African Leadership Centre du King’s College de Londres, a déclaré qu’un secrétaire général africain pourrait redonner du lustre au Commonwealth. Cela permettrait de mobiliser le libre-arbitre collectif de l’Afrique et de mettre l’accent sur son programme en matière de paix, de développement et de commerce. Jusqu’à présent, le Commonwealth n’a pas réussi à « faire entendre la voix du Sud global et des pays qu’il représente le plus », a-t-elle déclaré.
Olonisakin a conseillé au nouveau secrétaire général de se concentrer sur trois priorités africaines : les efforts de paix, notamment au Soudan et en République démocratique du Congo ; la stimulation du commerce, en particulier par le biais de l’accord sur la zone de libre-échange continentale africaine ; la lutte contre le changement climatique en corrigeant les faibles investissements dans les énergies vertes.
Elle n’a fait qu’une brève allusion aux déficits démocratiques de l’Afrique : « Certains des engagements historiques de l’Union africaine – sur le rejet des gouvernements inconstitutionnels et le droit d’ingérence dans un État membre dans des circonstances telles que le génocide ou les crimes de guerre – semblent aujourd’hui irrécupérables ».
Pourtant, il est certain que ces déficits démocratiques alimentent des conflits qui, à leur tour, mettent à mal la prospérité économique et le développement. Ainsi, la défense des valeurs de la Charte du Commonwealth que sont la démocratie, les droits de l’homme, l’état de droit et la bonne gouvernance devrait donc être au cœur de la réussite des États membres.
« La manière dont le Commonwealth traitera la demande de réadmission du Zimbabwe à Samoa et ce qui s’ensuivra constitueront un critère très important du respect de la charte – ou de la soumission à la pression collective de l’Afrique. Il en va de même pour l’actuelle suspension partielle du Gabon », déclare Sue Onslow, professeure invitée en économie politique au King’s College de Londres.
La réadmission du Zimbabwe représenterait une trahison importante des valeurs du Commonwealth
Il n’est pas certain que la demande du Zimbabwe soit examinée à Samoa. Cela pourrait dépendre de deux rapports qui n’ont pas été rendus publics : le rapport final de la mission d’observation électorale du Commonwealth au Zimbabwe de l’année dernière et le rapport de réadmission de 2022. La secrétaire générale Scotland pourrait tenter d’esquiver la question, source potentielle de discorde.
La réadmission du Zimbabwe représenterait une trahison importante des valeurs du Commonwealth, même si d’autres membres ne sont pas non plus des modèles de démocratie. On pense notamment au Rwanda, au Cameroun et à l’Eswatini, tous classés par Freedom House dans la catégorie « non libres ».
À l’issue du débat de Chatham House, Botchwey semblait être la meilleure candidate, forte de ses huit années d’expérience en tant que ministre des Affaires étrangères et de sa présidence du Conseil des ministres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, au cours de laquelle elle a négocié des transitions vers la démocratie à la suite de prises de pouvoir inconstitutionnelles.
Setipa est le candidat de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC). Cependant, certains observateurs au Lesotho se demandent s’il devrait être à la tête d’une organisation qui s’est engagée à faire respecter la démocratie, alors qu’il a servi dans le gouvernement de l’ancien Premier ministre Pakalitha Mosisili, accusé de nuire à la démocratie.
Onslow a déclaré à ISS Today que le Commonwealth avait enregistré quelques succès, comme l’obtention d’une compensation pour les pertes et dommages causés par le changement climatique. Toutefois, la capacité du Commonwealth à renouer ou non avec ses valeurs dépendra du candidat qui sera élu.
Elle a reconnu que Botchwey avait les meilleures références. « Mais je ne m’attends pas à ce que le prochain secrétaire général soit commissaire aux droits de l’homme », a-t-elle déclaré, faisant référence à la recommandation du Groupe de personnalités éminentes de 2012.
« Le CMAG n’est plus que l’ombre de ce qu’il était à la fin des années 1990 et au début des années 2000. Sous la direction de Patricia Scotland, il s’est réduit à peau de chagrin, devenant davantage un forum consultatif qu’un organe de supervision doté d’un certain pouvoir. »
Dans l’ensemble, il semble donc peu probable que le Commonwealth, sous une nouvelle direction, réponde à la demande constante d’une défense plus forte de ses valeurs.
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