L’accord UE-Seychelles pourrait freiner le trafic de drogue dans l’océan Indien
Les accords bilatéraux combattent le trafic de drogue en mer et protègent les droits des auteurs présumés.
En octobre 2023, les Seychelles et l’Union européenne (UE) ont convenu d’autoriser la Force navale de l’UE à transférer aux Seychelles, pour y être poursuivis, les trafiquants de drogue et d’armes présumés appréhendés dans les eaux seychelloises et en haute mer. Des accords similaires permettent aux forces navales de l’UE de transférer aux Seychelles les auteurs présumés de piraterie pour les juger.
Ces accords bilatéraux permettent aux pays de relever les défis juridiques et pratiques spécifiques à la lutte contre le trafic de drogue en mer. Ils prévoient généralement l’autorisation préalable d’arraisonner les navires mutuellement en haute mer et d’agir au nom de l’autre partie en cas de trafic de stupéfiants. Les accords conclus entre les États européens et ceux conclus entre les États-Unis et les États d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud en constituent des exemples.
Circulation indicative du trafic d’héroïne par la route du sud Source : ONUDC, Analyse des timbres d’opiacés saisis dans l’océan Indien, 2017-2021
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Les marines déployées en haute mer dans l’océan Indien occidental et dans les eaux territoriales des pays de l’Afrique de l’Est interceptent régulièrement des navires de trafic de stupéfiants, notamment d’héroïne et de méthamphétamines, sur la route sud du trafic de drogue (voir la carte). Souvent, leurs équipages sont incapables de fournir des preuves de l’État du pavillon de leur vaisseau, parce que les armateurs dissimulent l’origine du navire. Lorsque l’on découvre de la drogue sur des navires, sans pavillon visible, en haute mer (une zone qui échappe à la juridiction de tout État), les marines saisissent et rejettent généralement la cargaison sans procéder à aucune arrestation.
Bien que les pouvoirs répressifs à l’encontre de ces navires apatrides soient contestés, la plupart des pays reconnaissent que leur pouvoir de police à leur égard est limité. Même lorsque des bateaux naviguent dans les eaux territoriales de l’Afrique de l’Est où des gouvernements ont compétence pour agir, ces derniers n’ont pas les moyens de les surveiller ni de les intercepter. Le trafic de drogue se poursuit alors sans interruption, et le même navire peut revenir avec un nouveau chargement, en espérant éviter les patrouilles navales.
Quelques pays, comme les Seychelles, les États-Unis et les États membres du Conseil de l’Europe, revendiquent toutefois leur compétence à l’égard des navires apatrides impliqués dans le trafic de drogue en haute mer. Ils affirment que ces navires n’étant soumis au contrôle d’aucun État, peuvent être placés sous la juridiction de l’État d’arraisonnement.
Alors que les États côtiers d’Afrique de l’Est se concentrent sur les saisies dans leurs eaux nationales, les marines internationales, généralement originaires du Nord global, œuvrent en haute mer. Ces marines sont mieux équipées que leurs homologues de la région et peuvent parcourir de plus longues distances.
Ces accords permettent de relever les défis juridiques et pratiques liés à la lutte contre le trafic de drogue en mer
La CTF-150 ou Force opérationnelle combinée, une coalition navale internationale, est la principale entité responsable de la lutte contre le trafic de drogue au large de la côte Est de l’Afrique. La France, l’Australie, les États-Unis, le Kenya, les Seychelles et Djibouti figurent parmi les pays contributeurs. Les forces navales combinées coordonnent également leurs patrouilles avec l’opération Atalanta de la force navale de l’UE, dont le mandat de lutte contre la piraterie a été élargi en 2022 pour inclure des crimes tels que le trafic de stupéfiants.
Le caractère limité des moyens navals et de la juridiction en haute mer ne sont pas les seules préoccupations. Les marines craignent d’éventuelles violations des droits humains si les auteurs présumés d’infractions sont renvoyés dans leur pays. Trente-cinq pays appliquent encore la peine de mort pour les infractions liées à la drogue, notamment l’Iran et le Pakistan, d’où partent de nombreux navires à destination de l’Afrique de l’Est. Bien que certains de ces pays soient abolitionnistes dans la pratique, le fait de renvoyer des criminels présumés dans un pays où ils risquent d’être condamnés à mort constituerait une violation du droit international.
Compte tenu des violations historiques résultant de la guerre contre la drogue, la protection des droits humains devrait être la priorité de toute action répressive car cela permet aussi de garantir l’intégrité de la procédure.
L’augmentation du trafic de drogue dans l’océan Indien pousse les États limitrophes à ne pas cibler uniquement les réseaux criminels, mais à s’attaquer également à l’impact de l’augmentation du trafic de drogue dans la région. Ces initiatives sont illustrées par des réformes politiques axées non plus sur la répression mais sur les droits humains et les dommages causés par le trafic de drogue, comme à Maurice. Mais l’inverse se produit également. Le Sri Lanka, par exemple, a rétabli la peine de mort pour les délits liés à la drogue.
Certains accords bilatéraux interdisent de livrer des suspects aux pays appliquant la peine de mort
En matière de trafic de drogue transnational, les politiques nationales punitives ont des répercussions mondiales. Elles ne parviennent pas à réduire le trafic de drogue à l’échelle locale, mais elles influencent la manière dont le problème est traité à l’échelle internationale. Les préoccupations en matière de droits humains sont souvent prioritaires par rapport aux arrestations lorsque des réseaux criminels étrangers sont pris en flagrant délit de transport de drogue à bord de navires apatrides en haute mer.
Toutefois, cette lacune juridique ne doit pas mettre les États concernés entre le marteau et l’enclume. Les accords bilatéraux servent à surmonter les difficultés juridictionnelles, mais aussi à répondre aux préoccupations en matière de droits humains. À l’instar de l’accord conclu entre les Seychelles et l’Union européenne, certains accords interdisent de livrer des prévenus à des pays qui appliquent la peine de mort.
Mais dans quelle mesure ces accords sont-ils adaptés aux enjeux concrets qui se posent ? Un capitaine de la marine européenne ayant requis l’anonymat a déclaré au projet ENACT que, bien que l’accord entre l’UE et les Seychelles soit une avancée, il doit s’inscrire dans le cadre d’une stratégie plus large. Il anticipe de nombreux défis auxquels le modèle de poursuite des actes de piraterie est confronté, notamment les moyens navals limités, la collecte de preuves à des fins de poursuites et les difficultés logistiques lors du transfert des auteurs présumés. Les navires de guerre peuvent mettre des jours à livrer les suspects aux pays et à retourner dans leur zone de patrouille, au détriment des missions en cours.
Les États devraient également se garder d’utiliser ces accords pour entériner les obligations en matière de droits de l’homme et procéder à des saisies. L’offre mondiale massive de stupéfiants illustre l’impact limité des saisies sur le modèle commercial du trafic, qui peut s’adapter aux contre-mesures.
Ces accords ne devraient pas servir à entériner des obligations liées aux droits humains
Pour le capitaine de la marine européenne, ces accords auront peu d’impact s’ils ne visent que les membres d’équipage. Ils devraient accorder la priorité à des enquêtes approfondies afin d’identifier les réseaux criminels auteurs du trafic et de retirer ces navires de la circulation. Cela permettrait d’améliorer la réponse de la justice pénale au trafic de drogue en mer, mais aussi de prévenir d’autres violations des droits humains liées au trafic de drogue.
Si l’accord UE-Seychelles aboutit, il pourrait inspirer des accords similaires entre les marines internationales et les États africains pour lutter contre la criminalité transnationale en mer.
Cet article a été publié pour la première fois par ENACT.
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