REUTERS/Zohra Bensemra

L'absence de réforme constitutionnelle nuit à la transition en Gambie

Les dissensions politiques sur la limitation du mandat et des pouvoirs du président ont bloqué le processus de transition.

La Gambie s'est engagée dans un processus de transition démocratique ambitieux à la suite de l'élection du président Adama Barrow en 2016, qui a mis fin aux vingt-deux années de pouvoir de l'ancien président Yahya Jammeh. Cependant, des désaccords profonds entre les acteurs politiques empêchent le pays de rompre avec son passé autocratique.

La Gambie aurait pu devenir un modèle de démocratie dans une région affectée par les coups d'État, le recul démocratique et l'instabilité politique. Des efforts ont été pourtant déployés pour élaborer un projet de constitution ancrée, entre autres, dans les droits de l'homme, l'état de droit et l’équilibre des pouvoirs. Des réformes susceptibles de redéfinir la politique et la gouvernance, initialement prévues, tardent également à être achevées.

Le projet de constitution, perçu comme « la mère des réformes » par bon nombre de citoyens et partenaires internationaux est nécessaire pour mettre en œuvre des réformes clefs indispensables à la stabilité à long terme de la Gambie. Il devrait servir de base à la réforme du secteur de la sécurité et de la justice, au processus de justice transitionnelle ainsi qu’à d’autres réformes institutionnelles.

Le texte propose des changements majeurs tels que la limitation des mandats du président et l’encadrement de ses pouvoirs de nomination, le renforcement de l’indépendance de la justice et une commission électorale indépendante.

Le projet de constitution empêcherait Barrow de se représenter en 2026

Toutefois, en septembre 2020, l'Assemblée nationale a rejeté le projet, fruit de deux années de travaux et de consultations des citoyens tant au niveau national que dans la diaspora. Son rejet a eu des conséquences importantes sur l'ensemble du processus de transition.

Le projet introduit la limitation des mandats du président à deux, ce qui aurait empêché le président Barrow de se représenter à l'élection présidentielle de 2026. Candidat de la coalition qui a vaincu Jammeh en 2016, Barrow, qui avait promis de se retirer après une période de transition de trois ans (2017-2020), s’est finalement présenté pour un nouveau mandat en décembre 2021.

Le principal parti d'opposition, le Parti démocratique uni (UDP), avait exprimé son soutien au projet de constitution et s'était engagé à s'opposer à tout amendement. Toutefois, les alliés politiques de Barrow, au sein et en dehors du Parti national du peuple (NPP) au pouvoir, ont refusé que la clause qui limite le nombre de mandats présidentiels soit rétroactive, estimant qu'elle devrait entrer en vigueur à la date d'adoption de la nouvelle constitution.

Le texte introduit également des réformes électorales liées aux conditions d’éligibilité et au mode de scrutin pour l’élection présidentielle. Un candidat à la présidence doit être titulaire d'un diplôme universitaire et obtenir la majorité absolue des votes valablement exprimés. Ce dernier point est particulièrement important car il pourrait nécessiter un second tour. Aussi, pour la première fois, les Gambiens de la diaspora auront le droit de participer aux élections présidentielles et parlementaires. Les propositions visant à créer une circonscription électorale distincte pour la diaspora ont toutefois été rejetées.

En l'absence d’une feuille de route, Barrow reste éligible à un troisième mandat

Pour Barrow et ses alliés, il pourrait s'avérer difficile d'obtenir une majorité absolue lors de la prochaine élection présidentielle. Le NPP, formé en 2020 à la suite de la décision de Barrow de quitter l’UDP, ne semble pas encore disposer d'une assise électorale suffisante pour remporter l’élection au premier tour. En avril 2022, il n'a pas réussi à avoir une majorité convaincante lors des élections à l'Assemblée nationale. Le parti détient actuellement 24 des 58 sièges, dont cinq députés nommés par Barrow.

En outre, le projet de constitution soumet à l'approbation de l'Assemblée nationale les nominations par le président de postes ministériels et de postes clés dans le secteur de la justice et de la sécurité. Le président ne serait plus en mesure de désigner certains membres de l'Assemblée nationale. Au total, 53 membres (sur 69) seraient élus au scrutin uninominal, 14 femmes seraient élues séparément (deux par région administrative) et deux députés seraient nommés par la fédération nationale des personnes en situation de handicap.

Les désaccords sur ces dispositions, et notamment sur celles relatives à la laïcité, font que le pays reste régi par la Constitution de 1997, appelée également « Constitution Jammeh ». Les efforts de médiation de l'ancien président nigérian Goodluck Jonathan à Abuja n'ont pas permis de sortir de l'impasse.

En l'absence d’une stratégie et d’une feuille de route claire pour relancer le processus de réforme, l'absence de limitation des mandats dans la Constitution permet à Barrow d'être légalement éligible à un nouveau mandat. Jusqu'à présent, il ne s'est pas prononcé définitivement sur une éventuelle candidature en 2026, mais la possibilité d'un troisième mandat controversé et déstabilisant n'est pas à exclure.

Une troisième candidature de Barrow pourrait exacerber les tensions politiques

La décision de ne pas se présenter pourrait réduire les tensions et donner une impulsion politique au redémarrage du processus de révision. Une telle décision obligerait Barrow à choisir un successeur, ce qui ne manquerait pas de susciter des divisions au sein du NPP et parmi les alliés qui pourraient avoir des ambitions présidentielles.

En revanche, une nouvelle candidature de Barrow créerait des problèmes politiques qui pourraient nécessiter une intervention de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), comme lors de la crise postélectorale de décembre 2016 et janvier 2017.

La nature de cette crise dépendrait de la position adoptée par l'opposition. Celle-ci pourrait accepter la candidature de Barrow et se mobiliser pour le battre dans les urnes, ou organiser des manifestations de masse susceptibles de compromettre la stabilité du pays.

Après Jammeh, la Gambie a l'occasion de remodeler sa politique, ses institutions et sa gouvernance. Cependant, cela n'est possible que si ses acteurs politiques et les partenaires extérieurs s'emploient d'urgence à mettre fin à l'impasse actuelle. Les acteurs politiques en particulier devraient faire preuve d'une plus grande sincérité, adopter une approche collaborative et consensuelle, et être prêts à faire des compromis sur les questions épineuses.

L'intervention de la CEDEAO en 2017 et le maintien de sa mission en Gambie ont conféré au bloc régional une influence politique et militaire considérable. Cette influence pourrait être mise à profit pour jouer un rôle de médiation plus actif afin de sortir de l'impasse. Plus précisément, elle pourrait dégager un consensus sur les principales dispositions du projet de constitution et contribuer à l'élaboration d'une feuille de route pour l'achèvement du processus de réforme.

Le maintien de la Gambie sous l’empire de la Constitution de 1997 pourrait à terme altérer tous les efforts consentis, non seulement par le peuple gambien, mais aussi les partenaires internationaux. Aussi, une nouvelle instabilité en Gambie, six ans après l’intervention de la CEDEAO, participerait à une nouvelle décrédibilisation de l’organisation régionale qui fait déjà face à des défis majeurs dans la gestion des crises politiques et des changements inconstitutionnels de gouvernement.

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