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Impliquer davantage la société civile dans la RSS au Mali

La réforme du secteur de la sécurité, malgré des débuts antérieurs aux deux coups d'État, peine à intégrer pleinement la société civile.

Depuis les coups d'État militaires de 2020 et 2021, le Mali connaît une transition politique prolongée. L'insécurité reste élevée, avec les attaques djihadistes et des affrontements avec les groupes armés. Malgré le soutien des paramilitaires russes, l'armée malienne a du mal à imposer le contrôle total de la situation.

Cela soulève des questions sur le processus de réforme du secteur de la sécurité (RSS) engagé depuis 2013. La réforme a été initiée à la suite de la crise multidimensionnelle née de la rébellion touarègue inspirée par des revendications indépendantistes au nord du Mali.

Après l'Accord de paix d'Alger signé en 2015, qui a mis fin à l'insurrection rebelle, la RSS avait été adaptée aux nouvelles dispositions. L'accord prévoyait une réorganisation des forces armées et de sécurité en créant des institutions capables de répondre aux besoins de sécurité nationale et de contribuer à la stabilité régionale.

Dix ans plus tard, la mise en œuvre de la RSS demeure entravée par plusieurs facteurs, notamment le manque de priorisation politique, la corruption, une implication insuffisante des parties prenantes – y compris de la société civile - les ressources limitées et le refus des anciens rebelles de désarmer et d'être cantonnés. Ces obstacles ont empêché les forces armées maliennes de se reconstituer et se renforcer pour contrer les menaces terroristes et rétablir la sécurité.

La société civile joue un rôle clé contre la corruption, les détournements, l’injustice et l’impunité

Malgré ces défis, la réforme se poursuit, avec plusieurs initiatives en cours, notamment la finalisation de la politique de sécurité nationale, la réglementation du secteur de la sécurité, le renforcement des capacités des forces de défense et de sécurité en matière d'infrastructures et d'équipements, d'éthique, de déontologie et de responsabilité, le renforcement des capacités opérationnelles des services de justice et l'intégration du concept de genre dans toutes les activités du secteur de la sécurité.

Toutefois, les autorités de transition privilégient les dépenses urgentes en équipements et en services militaires pour contrer les groupes djihadistes. En janvier 2024, elles ont mis fin à l'accord d'Alger, jugé inapplicable, excluant ainsi de fait les groupes rebelles du processus de réforme du secteur de la sécurité.

Une évaluation à mi-parcours de la réforme, publiée en février 2024 par l'Alliance citoyenne pour la réforme du secteur de la sécurité, insiste sur la nécessité d'une collaboration accrue entre tous les acteurs, d'une meilleure communication et d'une attention particulière aux systèmes judiciaires.

Conçue comme inclusive et participative, la RSS au Mali vise à mettre en place des institutions de sécurité et de justice efficaces, responsables et respectueuses des droits de l'homme et de l'État de droit. Elle a pour but d’améliorer la gouvernance du secteur de la sécurité en établissant un contrôle démocratique exercé par divers acteurs, y compris la société civile.

Secret militaire, contrôle étatique et moyens limités entravent le rôle des OSC dans la réforme sécuritaire

La mise en œuvre de la RSS est gérée par un comité de pilotage appuyé par un organe exécutif, le commissariat à la RSS, et des comités consultatifs régionaux et locaux de sécurité. Le cadre institutionnel prévoit la participation active des organisations de la société civile (OSC) à la supervision et au suivi. Cela signifie que des représentants de la société civile devraient être inclus dans les cellules du commissariat et les comités consultatifs des régions et des communes.

Le rôle des OSC dans le contrôle démocratique du secteur de la sécurité est essentiel, car elles peuvent contribuer à prévenir un environnement propice à la corruption, au détournement de fonds, à l'injustice et à l'impunité.

Pourtant, les OSC ont été exclues du commissariat à la RSS. Ce n'est qu’à la création des comités consultatifs de sécurité en 2019 que la société civile a été incluse. À partir de 2020, des ateliers et des forums financés par la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), la Mission de l'Union africaine pour le Mali et le Sahel (MISAHEL) et l'Union européenne ont été organisés pour sensibiliser la société civile à son rôle dans la RSS.

Au sein des comités consultatifs régionaux et locaux, les OSC assurent le suivi de la situation sécuritaire et formulent des recommandations à l'exécutif et aux acteurs locaux. Cependant, elles déplorent que les autorités régionales prennent rarement compte de leurs contributions.

Les autorités doivent impliquer des OSC indépendantes et leur donner les moyens d’agir dans la réforme

Plusieurs facteurs empêchent les OSC maliennes de s'imposer comme des acteurs clés de ce processus. Tout d'abord, comme dans de nombreux pays qui implémentent des RSS, les autorités politiques et sécuritaires sont réticentes à impliquer les OSC dans les questions de sécurité dans un pays en crise, où une tradition de secret entoure les questions de défense et où la lutte contre l'insécurité est une priorité absolue.

Deuxièmement, la plupart des OSC au Mali n'ont pas la capacité de collaborer ou de se mobiliser sur des activités liées au contrôle du secteur de la sécurité. Troisièmement, elles souffrent d'un manque d'autonomie en raison de leur dépendance vis-à-vis de partenaires techniques et financiers extérieurs ou d'autorités étatiques susceptibles de les influencer.

Quatrièmement, la suspension en 2022 des activités des OSC soutenues par la France et l'adoption d'une nouvelle réglementation qui renforce le contrôle gouvernemental sur les OSC ont étouffé de nombreuses organisations et exacerbé la fragmentation de la société civile.

Les autorités militaires n'ont sélectionné que quelques OSC avec lesquelles elles sont prêtes à travailler. Les consultations relatives à la RSS ont été limitées aux organisations soutenues par l'État, telles que le Conseil national de la société civile, le Conseil national de la jeunesse avant sa dissolution et la Coordination des associations féminines du Mali.

L'exclusion de toutes les autres OSC a été critiquée par des organisations et des parties prenantes de la société civile qui aspirent à être activement impliquées dans le processus de RSS en cours et les discussions sur la sécurité nationale.

Pour relever ce défi, les autorités doivent s'engager dans un partenariat avec des OSC indépendantes, crédibles et compétentes en renforçant leurs capacités et en leur permettant de jouer un rôle significatif dans le processus. Cela passera par la création d'un cadre de discussion et la représentation de la société civile à tous les niveaux de l'architecture institutionnelle mise en place pour la RSS.

Les dirigeants de la transition ont inclus la RSS parmi les réformes majeures pour la construction d'un Mali nouveau. En consacrant l'attention et les ressources nécessaires pour assurer le succès de cette réforme, ils pourront revendiquer une contribution décisive à la sécurisation et à la stabilisation du pays.

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Les recherches pour cet article ont été soutenues par le Bureau des affaires africaines du Département d'État américain. L’ISS tient à remercier les membres du Forum de partenariat de l’Institut, notamment la Fondation Hanns Seidel, l’Open Society Foundations, l’Union européenne, ainsi que les gouvernements du Danemark, de l’Irlande, de la Norvège, des Pays-Bas et de la Suède.
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