Guinée équatoriale : comment ne pas truquer ni observer une élection
Alors que le président Obiang s’oriente vers une nouvelle victoire avec un score invraisemblable supérieur à 90 %, quelle valeur accorder aux rapports insipides des observateurs électoraux ?
Publié le 25 novembre 2022 dans
ISS Today
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Le président de la Guinée équatoriale, Teodoro Obiang Nguema, n’a manifestement pas lu le livre de Nic Cheeseman et Brian Klaas, How to Rig an Election [ce qui signifie « Comment truquer une élection »], qui « conseille » aux dirigeants de ne pas trop gonfler les résultats de leur élection.
À l’opposé, les résultats provisoires des élections présidentielles, législatives et municipales du 20 novembre montrent que la coalition du Parti démocratique de Guinée équatoriale d’Obiang a obtenu bien plus de 90 % des voix dans cet État d’Afrique centrale riche en pétrole. Le parti Convergence pour la démocratie sociale d’Andrés Esono Ondo est à la traîne, avec seulement 152 voix. Sur une population de moins de deux millions d’habitants, environ 400 000 électeurs inscrits ont déposé leur bulletin de vote dans les urnes.
Le livre de Cheeseman et Klaas, malgré son titre ironique, examine sérieusement la question de la fraude dans les démocraties du monde entier, un problème très répandu en Afrique. Les auteurs notent ainsi que « s’il est souhaitable d’obtenir une victoire confortable […] celle-ci peut démoraliser les adversaires politiques tout en persuadant les observateurs électoraux qu’il n’y a rien à examiner – une victoire écrasante éveillant souvent les soupçons ».
Les auteurs citent aussi le président biélorusse Alexandre Loukachenko – l’allié le plus proche du président russe Vladimir Poutine, au pouvoir depuis 1994 – évoquant avec une candeur étonnante sa victoire électorale de 2006 : « J’ai admis que nous avions truqué les élections […] J’ai donné l’ordre de passer de 93 % à environ 80 % [...] parce que plus de 90 %, psychologiquement, ce n’est pas bien reçu ». Obiang cherche-t-il à éliminer ses rivaux politiques pour garantir une succession dynastique à son fils Teodorin ?
Cheeseman a, en outre, déclaré à ISS Today cette semaine : « Comme nous l’ont dit les dictateurs et leurs conseillers lorsque nous faisions des recherches pour notre livre […] gagner avec plus de 95 % des voix relève de la manipulation du type ‟république bananière” ». Si vous voulez faire en sorte que ce soit crédible, vous devez maintenir votre score entre 60 et 80 %. S’octroyer 96 % des voix revient à dire que vous ne vous souciez pas de ce que pensent les gens, que ce soit au niveau national ou international. »
Cheeseman a également indiqué que, dans ces circonstances, ce n’était peut-être pas une bonne idée pour l’Union africaine (UA) d’envoyer une mission d’observation électorale en Guinée équatoriale. « Lorsqu’un régime fonctionne ainsi, les observateurs électoraux internationaux ont peu de chances d’avoir un effet positif ; alors, le mieux qu’ils puissent faire est peut-être d’éviter de légitimer un tel processus par leur présence. »
Obiang est le président dont la durée d’exercice est la plus longue en Afrique et dans le monde. Il dirige le pays d’une main de fer depuis 43 ans, après avoir renversé son oncle lors d’un coup d’État en 1979. Sa victoire écrasante semble relever d’un mépris total de ce que les gens peuvent penser.
Assez paradoxalement, il tente depuis plusieurs années de se faire passer pour un démocrate qui se soucie de son peuple. En réalité, la population reste enlisée dans une pauvreté extrême, alors que le pays affiche un PIB par habitant de 11 264 dollars US en 2022, ce qui le place au 70e rang mondial, devant des pays comme le Mexique, la Turquie et l’Afrique du Sud. L’UA a mandaté une importante mission d’observation de plus de 50 membres venant de 37 pays d’Afrique
Il faut noter que c’est le président Obiang lui-même qui a demandé à l’UA d’envoyer la mission d’observation. En 2014, il avait proposé la candidature de la Guinée équatoriale pour un examen par les pairs dans le cadre du Mécanisme africain d’évaluation par les pairs, un organe qui évalue la gouvernance dans les États membres de l’UA. Le fait qu’il n’ait jamais eu lieu est cependant révélateur.
À l’instar de feu le dictateur libyen Mouammar Kadhafi, Obiang s’est mis dans les bonnes grâces de l’UA en accueillant plusieurs de ses sommets et, semble-t-il, en soutenant financièrement de nombreuses délégations pour qu’elles y participent, exploitant ainsi les immenses richesses pétrolières du pays. Il s’est également proposé d’accueillir la Coupe d’Afrique des Nations de football de 2015 à la suite du retrait du Maroc à cause du virus Ebola. Il est évident qu’Obiang essaie de « blanchir » son mauvais bilan en matière de gouvernance.
Les résultats qui filtrent de la commission électorale jusqu’à présent pourraient se révéler exacts parce que Obiang a fait en sorte d’éliminer ou de placer sous son contrôle l’opposition. En 2018, par exemple, les tribunaux ont ordonné la dissolution du principal parti d’opposition, Citoyens pour l’innovation, pour « atteinte à la sécurité de l’État », et ont condamné 21 de ses 147 partisans accusés de « rébellion » à plus de 30 ans de prison.
Le président Obiang a un goût certain pour les victoires électorales invraisemblables. Son score en 2016 était de 93,7 %, celui de 2009 de 95,8 % et celui de 2002 de 97,1 %. Cette nouvelle victoire écrasante a-t-elle pour but cette fois-ci de répondre à un enjeu politique ? À 80 ans, tente-t-il d’éliminer tout rival politique pour garantir une succession dynastique à son fils Teodorin, l’actuel vice-président ?
À l’heure où la démocratie est menacée, l’Afrique a besoin de plus de rigueur dans l’observation des élections
Compte tenu de ses importantes réserves de pétrole et de sa faible population, il est étonnant que le pays ait reçu deux prêts du FMI, en 2019 et en 2021. Toutefois, des pressions ont été exercées en faveur d’une meilleure répartition des revenus issus du pétrole.
Mais l’UA ne doit-elle pas éviter à tout prix de se laisser prendre à la ruse d’Obiang ? Elle a mandaté une importante mission d’observation composée de plus de 50 membres venant de 37 pays africains. L’UA a déclaré qu’elle se situait « dans le cadre du mandat et de l’engagement de la Commission de l’UA à soutenir des processus électoraux crédibles, transparents et inclusifs dans ses États membres ».
Dans son rapport préliminaire sur les élections, la mission d’observation conclut de façon plutôt insipide, quoique positive, que « les élections générales se sont déroulées conformément aux règles internationales et au cadre juridique national régissant ces élections ». Toutefois, le rapport mentionne brièvement que les résultats « n’ont pas été systématiquement affichés » dans chaque bureau de vote comme cela aurait dû être le cas.
La mission d’observation de la Communauté des pays de langue portugaise l’a également constaté. Or, l’affichage des résultats des élections dans chaque bureau de vote constitue une exigence de base largement acceptée dans le but d’empêcher la fraude, car il rend plus difficile la falsification des résultats lors de la remontée des résultats.
Était-il judicieux pour l’UA d’envoyer des observateurs couvrir cette élection ? La mission a-t-elle fait progresser la démocratie en Afrique, ou au contraire l’a-t-elle mise à mal ? Dans l’ensemble, on peut répondre que cela a plutôt été néfaste. C’est une bonne chose que l’UA essaie de prendre les élections plus au sérieux. Mais la publication d’un rapport sans intérêt, centré sur le jour du scrutin et dépourvu de perspective contextuelle donne carte blanche à Obiang en lui conférant une crédibilité démocratique que le pays ne mérite pas.
L’ONG Freedom House classe la Guinée équatoriale dans la catégorie la plus basse, celle de pays « non libre ». L’indice Ibrahim de la gouvernance africaine ne lui accorde que 28,7 sur 100 pour la gouvernance globale, la plaçant ainsi à la 51e place, sur les 53 pays d’Afrique étudiés. En ce qui concerne la démocratie, elle n’obtient qu’une note de 17 sur 100 pour la participation, les droits et l’inclusion.
À l’heure où la démocratie est menacée par des coups d’État et des prétentions présidentielles à un troisième mandat, l’observation des élections par l’UA doit faire preuve de plus de rigueur, non seulement pour les Équato-guinéens qui souffrent depuis longtemps, mais aussi pour le continent dans son ensemble.
Peter Fabricius, consultant, ISS Pretoria
Image : © Samuel Obiang / AFP
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