Ghana : un scrutin partiel riche en enseignements pour la présidentielle de 2024

De l’absence de violence à l’achat massif de votes, les résultats des deux récentes élections ne peuvent être ignorés.

Cette année, deux élections partielles ont été très disputées par les principaux partis politiques du Ghana : le parti au pouvoir, le Nouveau parti patriotique (NPP), et le plus grand parti d’opposition, le Congrès démocratique national (NDC). Tous deux se trouvant au coude-à-coude à l’Assemblée nationale, avec 137 sièges chacun, ces élections ont constitué un test crucial avant les élections générales de 2024. 

L’élection partielle du 23 mai s’est déroulée à Kumawu dans la région d’Ashanti, un bastion du NPP. La seconde a eu lieu le 27 juin à Assin Nord, une circonscription charnière située dans le centre du pays. Le déroulement et les résultats de ces deux scrutins ont apporté de précieux enseignements aux partis politiques, à la Commission électorale et aux services de sécurité.

Le premier est le climat globalement pacifique qui a caractérisé le vote, contrairement aux élections partielles précédentes dans des régions telles qu’Ayawaso Wuogon Ouest, Talensi et Akwatia. Certaines tensions initiales, en particulier à Assin Nord, ont été apaisées après que l’inspecteur général de la police a rencontré les partis politiques. Cet entretien a suscité la confiance de l’élite politique dans le dispositif de sécurité, ce qui a donné aux groupes d’autodéfense (groupes de sécurité privés au sein des partis politiques) qui avaient perturbé les élections partielles précédentes peu de raisons d’intervenir.

Si la police parvient à instaurer la confiance entre les deux partis avant les élections de 2024, les violences causées par ces groupes d’autodéfense, qui ont entaché les précédentes élections nationales, seront alors limitées. Selon le rapport de la police sur les élections présidentielles et législatives de 2020, 21 incidents violents et six cas de coups de feu ont fait 19 blessés et cinq morts.

L’achat de votes commence à avoir des effets négatifs, surtout dans les circonscriptions décisives

Un deuxième enseignement plus inquiétant tiré des scrutins de Kumawu et d’Assin Nord est l’achat massif de votes avant et pendant les élections, une pratique en hausse au Ghana depuis 2008. Selon les médias, le NPP et le NDC ont donné de l’argent et procédé à d’autres incitations pour convaincre les gens de voter pour leurs candidats préférés.

La politique au Ghana est devenue une affaire coûteuse. Selon une enquête du Center for Democratic Development Ghana (CDD-Ghana), il faudra dépenser au moins 100 millions de dollars américains pour remporter les élections présidentielles. La majorité de cette somme sera consacrée à la campagne électorale et aux incitations. De fait, l’électorat semble désormais s’attendre à recevoir des paiements avant de voter.

Selon une enquête post-électorale de Global InfoAnalytics, 96 % des électeurs d’Assin Nord ont été témoins d’achats de votes, tandis que 92 % ont confirmé avoir reçu des incitations telles que de l’argent liquide, des outils agricoles, des motos ou des vélos pour voter d’une certaine manière.

Néanmoins, les électeurs sont de plus en plus cyniques et les politiciens ne peuvent plus les considérer comme acquis. Les données de Global InfoAnalytics montrent que les incitations financières ne garantissent pas un vote. À Assin Nord, 29 % des électeurs ayant reçu des incitations de la part du NDC ont voté contre son candidat et 42 % de ceux ayant reçu des incitations de la part du NPP ont voté contre lui.

Placer des cadres expérimentés des partis dans les centres de vote et de dépouillement est payant

De même, les projets lancés précipitamment avant les élections, considérés par beaucoup d’analystes comme visant à influencer le scrutin, ont incité 46 % des électeurs d’Assin Nord à voter contre le gouvernement. L’achat de votes commence à avoir des effets négatifs, en particulier dans les circonscriptions électorales dont le vote est décisif.

Un autre enseignement est qu’il est payant de placer des cadres expérimentés des partis politiques dans les centres de vote et de dépouillement. Lors des deux élections partielles, des membres du Parlement, des ministres, des chefs de district et des hauts fonctionnaires ont servi d’agents des partis. Cela a permis de réduire les fraudes et les irrégularités qui se produisent généralement lors des scrutins. Parce qu’ils comprennent parfaitement le processus, ils ont pu contrôler efficacement le vote et s’assurer que le décompte, la compilation et le rapport des agents de la Commission électorale ont été effectués conformément à la loi.

Il s’agit d’un aspect important si l’on considère que la plupart des demandes d’invalidation précédentes, qu’elles portent sur des élections législatives ou présidentielles, ont généré une multitude d’incidents liés à des allégations d’irrégularités et de fraudes électorales. Ces heurts seront minimisés si les partis politiques délèguent des agents de qualité le jour du scrutin.

Le dernier enseignement, et le plus important, concerne les résultats des élections. Ceux-ci confirment une désaffection nationale pour le parti au pouvoir, de nombreux Ghanéens estimant que le pays est sur la mauvaise voie. Bien que le NPP ait remporté les élections à Kumawu, son score n’a augmenté que de 304 voix par rapport aux 14 960 voix obtenues en 2020. Le candidat indépendant, un ancien membre du parti qui avait remporté 11 698 voix en 2020, n’a obtenu que 2 478 voix cette année.

Dans le bastion du parti au pouvoir, le taux de participation est passé de 84 % en 2020 à 63 % cette année

Ces scores témoignent d’une apathie dans ce bastion du parti, avec un taux de participation qui est passé de plus de 84 % en 2020 à 63 % en 2023. De plus, le nombre total de votes valides lors de l’élection partielle de Kumawu a diminué de près de 7 632 par rapport à 2020. Avec 1 563 voix de moins cette année qu’en 2020, le NPP n’a pas réussi non plus à améliorer sa performance à Assin Nord. Ces résultats confirment que le parti est en perte de popularité.

Il y a également des leçons à tirer pour le parti d’opposition, le NDC. Bien que le NPP soit confronté à l’apathie dans sa base et à une perte de volonté parmi les électeurs indécis, cela ne se traduit pas nécessairement par un soutien au NDC. Le parti a certes réussi à obtenir plus de voix à Kumawu qu’en 2020, mais pas assez pour remporter cette élection.

Le NDC a remporté Assin Nord, mais avec une baisse de 253 voix. Cela signifie que le parti a perdu du terrain par rapport à 2020 et n’a pas réussi à attirer plus d’électeurs indécis dans une circonscription charnière telle que celle-ci.

En 2024, le NPP pourrait se trouver confronté à une apathie massive dans ses bastions et au désenchantement des Ghanéens. Toutefois, cela ne se traduira pas automatiquement par un report des votes sur le NDC. Les deux partis devront déployer d’importants efforts pour remporter les élections l’année prochaine.

La Commission électorale doit instaurer la confiance entre les partis politiques et sortir de l’impasse dans laquelle elle se trouve avec le NDC, qui continue de boycotter les réunions du Conseil consultatif interpartis en raison de la méfiance qu’il éprouve à l’égard de la Commission.

Les services de sécurité doivent rassurer les partis sur les dispositions prises avant les élections de 2024. La police et le bureau du procureur spécial doivent également appliquer la législation existante sur les pots-de-vin et les incitations pendant les élections.

Enoch Randy Aikins, chercheur, Afriques futures et innovation, ISS Pretoria

Image : © Luc Gnago/Reuters

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