Gambie: transcender les rivalités communautaires et politiques

La cohésion nationale est essentielle à la stabilité politique et économique.

Deux ans après avoir connu sa première alternance démocratique, la Gambie est confrontée à de nombreux défis dont le maintien de sa cohésion nationale mise à mal durant le régime de Yahya Jammeh. Des fractures sociopolitiques persistantes risquent de compromettre la mise en œuvre des initiatives et des réformes définies dans le Plan national de développement (PND) lancé en février 2018.

Arrivé au pouvoir en 1994 à la suite d’un coup d’État contre le président Dawda Jawara, Jammeh instaure un régime caractérisé par de nombreuses répressions, mais aussi par une instrumentalisation des communautés nationales.

Les privilèges qu’auraient accordés Jammeh à la communauté diola - dont il est membre   au sein de l’appareil étatique et ses déclarations hostiles répétées à l’encontre des Mandingues – communauté de son prédécesseur Jawara et de son principal opposant, Ousainou Darboe – ont progressivement entraîné un repli communautaire.

Le clivage politique sur fond identitaire résulte davantage d’une instrumentalisation que de véritables tensions inter-communautaires

Ses critiques virulentes envers les Mandingues, en juin 2016, ont conduit ces derniers à soutenir majoritairement la candidature d’Adama Barrow lors de la présidentielle de 2016. De cette situation découle un militantisme politique souvent basé sur les identités. Les Diolas sont aujourd’hui considérés comme d’importants soutiens de l’Alliance patriotique pour la réorientation et la construction (APRC) de Jammeh et les Mandingues, ethnie majoritaire, sont perçus comme soutenant le Parti démocratique unifié (UDP) d’Ousainou Darboe, dont est issu Adama Barrow.

Ce clivage politique sur fond identitaire résulte davantage d’une instrumentalisation politique que de véritables tensions inter-communautaires au sein de la population.

Le PND a été lancé en février 2018 après consultations avec des membres du gouvernement, des organisations de la société civile, du secteur privé et plusieurs partenaires internationaux. Il a pour objectif d’assurer la bonne gouvernance, de revitaliser l’économie et de garantir la cohésion sociale et la réconciliation nationale.

Le processus de justice transitionnelle, entamé le 7 janvier avec les auditions de la Commission vérité, réconciliation et réparations (CVRR), n’a pas encore reçu l’adhésion de l’APRC et de la communauté diola car il est perçu comme un instrument permettant aux autorités de lancer une « chasse aux sorcières » à leur encontre. Leur perception de la justice transitionnelle en Gambie et leur manque d'approbation et d'adhésion au processus pourraient compromettre la quête de réconciliation. Officiellement installée en octobre 2018 pour un mandat de deux ans, la Commission a pour mission d’enquêter et d’enregistrer les témoignages de violations des droits humains survenues durant le régime de Jammeh et de formuler des recommandations.

Une large partie de la communauté diola perçoit la justice transitionnelle comme chasse aux sorcières

De même, dans le cadre de la réforme du secteur de la sécurité entreprise en septembre 2017, les militaires de la communauté diola redoutent d’être visés par la réduction de l’effectif de l’armée recommandée par les partenaires engagés.

Les consultations avec les populations effectuées actuellement dans le cadre des travaux de la Commission de révision de la Constitution (CRC) mettent aussi en exergue la question majeure de l’octroi de la nationalité notamment pour les personnes de parents non gambiens. Selon la Constitution de 1997, une personne née sur le territoire ou à l’étranger n’est présumée citoyen gambien que si l’un de ses parents est gambien.

Or, le pays a accueilli pendant plusieurs décennies de nombreux ressortissants étrangers en provenance de régions voisines, dont la Casamance majoritairement diola. Les exigences administratives imposées à des demandeurs de cette communauté pour l’obtention d’une carte nationale d’identité renforcent le sentiment de persécution. Certains d’entre eux seraient contraints de fournir les preuves formelles de la citoyenneté de leurs grands-parents, une exigence supplémentaire qui n’est pas prévue par la loi et qui est dans la pratique difficile à satisfaire. 

Relever le défi de la cohésion nationale est d’autant plus important que les tensions observées au sein de la classe politique entravent également la mise en œuvre effective des initiatives du PND.

Pour calmer les tensions au sein de la classe politique, un consensus sur la durée de la transition doit être trouvé

D’abord, l’Accord de 2016 entre sept partis de l’opposition, prévoyant une période transitionnelle de trois ans, divise les membres de la coalition qui a porté la candidature de Barrow à l’élection présidentielle de 2016. Barrow s’appuie sur la Constitution pour justifier son maintien à la tête de la Gambie jusqu’en 2021, tandis que certains membres de la coalition exigent le respect de l’Accord et l’organisation d’une élection présidentielle en décembre 2019.

Ensuite, la volonté du président Barrow de briguer un second quinquennat serait également à l’origine des tensions avec Ousainou Darboe, vice-président du gouvernement et leader de l’UDP, auquel il est également prêté des ambitions présidentielles. Ces frictions au sein de l'exécutif affectent la coordination nécessaire à la conduite des réformes initiées.

La Gambie se situe à une étape cruciale de son processus de transition. Alors que Barrow entame sa troisième année aux commandes du pays, la cohésion nationale doit demeurer une priorité. L’implication de la société civile et du gouvernement dans la sensibilisation des populations sur les enjeux de la démocratie et sur le dialogue intercommunautaire ainsi que des efforts d’inclusion de toutes les communautés pourraient favoriser une transition efficace et une réconciliation apaisée.

Aussi, pour calmer les tensions au sein de la classe politique, un consensus sur la durée de la transition doit être trouvé. Car c’est seulement dans un contexte politique apaisé et une cohésion nationale renforcée que la Gambie pourra mettre en œuvre les réformes indispensables à sa stabilité et relancer véritablement son économie.

Paulin Maurice Toupane, Chercheur, Adja Khadidiatou Faye, Chercheure boursière et Aïssatou Kanté, Chercheure junior

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