G5 Sahel : une région prometteuse ?
Outre les interventions militaires, des actions de développement de fond sont indispensables pour améliorer les perspectives à long terme de la région.
Publié le 15 janvier 2020 dans
ISS Today
Par
Jakkie Cilliers
président du Conseil d’administration de l’ISS responsable de programme, Afriques futures et innovation
Depuis 2011, de nombreuses stratégies pour le Sahel ont été adoptées en collaboration avec divers partenaires, dans le but de pallier les défis de la région. Malgré ces efforts, les pays du Sahel restent confrontés non seulement à des menaces sécuritaires permanentes, mais également à un cercle vicieux de faibles niveaux de développement et de fragilité des systèmes de gouvernance qui menacent la sécurité et les perspectives de développement à long terme de la région.
En 2014, le Burkina, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad ont créé le Groupe de cinq pays du Sahel (G5 Sahel), dans le but de favoriser la coopération en vue de relever les défis en matière de sécurité et de développement auxquels ils sont confrontés. Les préoccupations croissantes en matière de sécurité régionale comprennent notamment l’occupation du nord du Mali par des groupes rebelles et autres mouvements affiliés à Al-Qaïda au Maghreb islamique.
Le programme Futurs africains et Innovation de l’Institut d’études de sécurité (ISS) a mené de nouvelles recherches qui analysent la trajectoire de développement actuelle du G5 Sahel à l’horizon 2040. Sans améliorations structurelles significatives, notamment dans le domaine de la gouvernance, les perspectives évoquées par l’étude de l’ISS s’annoncent sombres. Les conclusions mettent en évidence les problèmes multidimensionnels, complexes et urgents que connaît la région.
Les pays du G5 Sahel souffrent de niveaux de développement économique très faibles, même par rapport aux chiffres du continent. En 2018, les revenus par habitant étaient nettement inférieurs aux moyennes des autres pays d’Afrique à faible revenu et à revenu intermédiaire de la tranche inférieure. Cela est en partie dû à l’augmentation rapide de la population de ces pays. Elle devrait en effet presque doubler d’ici 2040, passant d’environ 81 millions de personnes en 2018 à 152 millions de personnes (figure 1).
Figure 1 : Population en millions d’habitants Source : IF version 7.36, données historiques de la Division de la population des Nations Unies(cliquez sur l'image pour l'agrandir)
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Les jeunes représentent la part la plus importante de la population. En 2018, l’âge médian des cinq pays était de 16 ans, et il devrait croître à environ 19,7 ans en 2040. Or, pour cette même année, la projection de l’âge médian continental est d’environ 23,4 ans.
Les investissements adéquats permettraient aux jeunes adultes de devenir économiquement productifs. Cependant, en l’absence de services de qualité et d’opportunités d’emploi, une population aussi jeune peut se révéler être un facteur de déstabilisation, et représenter un risque d’agitation sociale.
Les pays ont également de mauvais résultats en ce qui concerne les indicateurs de développement humain. En 2018, on estimait que plus de 40 % des 81 millions d’habitants (soit 33 millions de personnes) vivaient sous le seuil d’extrême pauvreté de 1,90 dollar (en dollars constants de 2011) par personne et par jour, tel qu’établi par la Banque mondiale.
Plus de 30 % de cette population n’a pas accès à l’eau potable et près de 80 % n’a pas accès à des installations sanitaires améliorées. De plus, compte non tenu de la qualité de l’éducation, le nombre moyen d’années d’études pour les personnes âgées de 15 ans et plus demeure très faible, à 3,6 ans. Cela représente moins de la moitié de la moyenne continentale et seulement un tiers de la moyenne mondiale.
Les rendements agricoles de la région sont également très faibles, estimés à 1,2 tonne par hectare, par rapport à la moyenne continentale de 3,6 tonnes par hectare. En effet, les rendements actuels dans les pays du G5 Sahel sont comparables à ceux des moyennes, fort modestes par ailleurs, de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord dans les années 1970. Le changement climatique perpétue des rendements faibles, crée de nouveaux défis et engendre des conflits autour de ressources telles que l’eau, notamment entre agriculteurs et éleveurs.
La principale cause des problèmes complexes que connaît la région est la mauvaise gouvernance. Les pays du G5 Sahel sont confrontés à des difficultés dans le renforcement de l’État, héritées de la colonisation. Cette situation est aggravée par le vaste espace géographique que représentent ces pays, ainsi que les ressources limitées qui amenuisent la capacité des gouvernements, à mesure que le fossé entre le centre et la périphérie se creuse. Des décennies de mauvaise gouvernance, accentuées par de mauvais mécanismes de responsabilisation, ont également perpétué les difficultés économiques et accru le sentiment de marginalisation ressenti par certaines communautés.
Alors que le G5 Sahel a reconnu l’existence d’un lien entre développement, sécurité et gouvernance à travers son Programme d’investissements prioritaires (PIP), les réponses apportées aux multiples défis de la région mettent l’accent sur une approche hautement militarisée.
Bien que la sécurité constitue une préoccupation majeure pour les populations, il serait judicieux d’adopter une approche plus équilibrée entre sécurité et développement. La présence souvent non coordonnée d’une myriade d’acteurs internationaux a également mis à mal les chances de réussite des diverses stratégies.
L’étude menée par l’ISS a conçu un scénario positif, nommé « Fleur du désert », qui met en évidence l’impact des politiques visant à promouvoir la planification familiale, l’éducation, les infrastructures de base, la productivité agricole et la bonne gouvernance. C’est l’amélioration de la productivité agricole qui entraîne les plus grandes répercussions sur la réduction de la pauvreté, tandis qu’une meilleure gouvernance améliore significativement les indicateurs de développement humain.
Les effets combinés du scénario Fleur du désert se traduisent par une augmentation cumulative de la croissance économique de 416 milliards d’euros (soit 460 milliards de dollars) d’ici 2040, ainsi qu’une diminution de plus de 29 millions de personnes vivant dans l’extrême pauvreté. En outre, pour la même période, la dépendance envers les importations de produits agricoles baisse à 29 %, contre 45 % dans le scénario de la Trajectoire actuelle. Le scénario Fleur du désert voit également le nombre moyen d’années d’études augmenter de plus de six mois, en passant de 5,3 à 5,9 ans.
L’espérance de vie s’améliore de 1,5 an et le dividende démographique s’avère plus favorable d’ici 2040, avec 150 travailleurs pour 100 personnes à charge, contre 130 dans le scénario de la Trajectoire actuelle. Dans le scénario Fleur du désert, le PIB par habitant de la plupart des pays est légèrement supérieur à celui des autres pays d’Afrique à faible revenu et donne l’impulsion nécessaire pour procéder à d’autres améliorations dans la région (figure 2).
Figure 2 : Comparaison du PIB par habitant en 2040 entre les scénarios de la Trajectoire actuelle et Fleur du désert Source : IF version 7.36, données historiques issues de l’Indicateur du développement dans le monde(cliquez sur l'image pour l'agrandir)
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À court et à moyen termes, il est important d’améliorer la sécurité dans la région pour atteindre un niveau de développement considérable. Toutefois, les défis du G5 Sahel ne se limitent pas aux menaces sécuritaires. Il faut procéder le plus tôt possible à des investissements pour un changement structurel. Comme le montre la simulation du scénario Fleur du désert, ce sont des interventions fondamentales qui peuvent jeter les bases d’un développement durable et inclusif.
Il s’agit notamment de mettre en place des systèmes éducatifs de qualité – adaptés aux besoins de la région –, d’élaborer des initiatives de planification familiale qui garantissent que la croissance démographique ne surpasse pas la croissance économique, et de promouvoir des systèmes agricoles intelligents sur le plan climatique qui améliorent la productivité et la durabilité. Rien de tout cela ne peut se faire sans une gouvernance responsable qui favorise la transparence, l’état de droit et le respect des droits humains, et qui offre des services de base à l’ensemble de la population.
Enfin, la communauté internationale, les organisations régionales et les pays du G5 Sahel eux-mêmes doivent travailler de concert pour éviter que toute une multiplicité d’acteurs ne profite des difficultés auxquelles la région fait face.
Stellah Kwasi, Jakkie Cilliers, Lily Welborn, Programme Futurs africains et Innovation, ISS Pretoria et Ibrahim Maïga, Bureau régional de l’Institut d’études de sécurité pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le bassin du lac Tchad
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