Enlèvements au Sahel, une arme de guerre privilégiée
Les insurgés utilisent les enlèvements pour recruter, espionner et se développer dans la région déjà instable du Sahel.
Plus de 180 enlèvements ont été enregistrés dans les pays en guerre que sont le Mali et le Burkina Faso au cours du premier semestre 2023, soit une moyenne d’un par jour. Ce chiffre correspond à la tendance de ces dernières années, où l’industrie du kidnapping a connu une croissance depuis 2019, faisant environ 400 victimes dans chacun des deux pays chaque année. La plupart des victimes proviennent de la région du Sahel, prise en étau entre les forces en conflit.
Les enlèvements sont avant tout une arme de guerre, utilisée stratégiquement par les adversaires pour atteindre leurs objectifs. Bien que la prise d’otages étrangers contre rançon persiste, les communautés locales sahéliennes sont de plus en plus visées, en raison des ambitions expansionnistes des insurgés.
Divers acteurs, tels que des groupes rebelles, des extrémistes violents, des milices locales d'autodéfense (qu'elles soient affiliées à l'État ou non) et les forces de sécurité et de défense, sont impliqués dans ces enlèvements. Les extrémistes violents, en particulier le Jama’at Nasr al-Islam wal Muslimin (JNIM) en sont les principaux auteurs. Les forces de sécurité et leurs auxiliaires procèdent à des enlèvements à des fins anti-insurrectionnelles, tandis que les extrémistes s’en servent comme stratégie d’expansion et de consolidation de leurs positions. Le profit tiré des rançons passe au second plan.
À travers les enlèvements, JNIM intimide les populations, s’informe et réduit les menaces envers lui
Cette situation contraste fortement avec celle qui prévalait au début des années 2000, lorsque les enlèvements étaient essentiellement motivés par des raisons financières. À cette époque, des groupes affiliés à Al-Qaïda et opérant depuis le sud de l’Algérie étaient venus s’installer dans le nord du Mali et du Niger. Entre 2003 et 2012, près d’une centaine d’Occidentaux (principalement des touristes, qui constituaient alors la majorité des victimes) avaient été enlevés dans le Sahel.
Au cours de cette période, on a estimé le montant total des rançons à environ 90 millions de dollars pour la seule organisation Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Les enlèvements étaient un secteur extrêmement lucratif et constituaient sans doute la première source de financement des affiliés d’Al-Qaïda au Sahel. L’argent aidait les insurgés à s’étendre et à se consolider dans la région.
Régions du Mali Source: ISS (cliquez sur la carte pour l'image en taille réelle)
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Lorsque le conflit malien a éclaté en 2012, les enlèvements d’Occidentaux ont fortement diminué, en grande partie du fait de la rareté des cibles. La présence occidentale au Sahel est devenue réglementée et sécurisée en réponse à la menace d’enlèvement. Cependant, les attaques n’ont pas cessé. Au contraire, elles ont évolué avec le conflit, qui s’est étendu du nord au centre du Mali en 2015, puis au nord du Burkina Faso en 2016, à l’est du Burkina Faso en 2018 et à la côte de l’Afrique de l’Ouest depuis 2020.
Le groupe JNIM a été le principal moteur de cette expansion vers le sud et le principal auteur d’enlèvements dans le Sahel. Bien que le groupe continue de prendre des otages contre rançon et reçoive donc d’importantes sommes d’argent provenant de la capture d’étrangers et de riches Sahéliens, le financement n’est plus sa motivation première. Actuellement, le recours aux enlèvements dépend de l’influence territoriale de JNIM sur une zone donnée.
Lorsque JNIM commence à infiltrer une communauté, les enlèvements se multiplient. Le groupe s’en prend à toute personne associée aux autorités ou les représentants, ainsi qu’aux personnalités locales influentes. Ces attaques visent à intimider les habitants, à recueillir des données et à réduire la menace pour son implantation dans la région, soit en forçant les personnes à partir ou en en les ralliant à sa cause. Une fois l’influence de JNIM établie, le nombre d’enlèvements diminue.
Bien que des incidents puissent encore se produire pour les raisons susmentionnées, les groupes ont deux motivations supplémentaires, à savoir le recrutement de jeunes et la conscription de spécialistes (tels que des médecins et des infirmières) en cas de besoin. Le groupe JNIM kidnappe également toute personne se déplaçant sur son territoire, principalement pour un contrôle temporaire afin de surveiller les activités dans les zones sous son contrôle et les personnes associées.
Malgré les enlèvements incessants, les motivations de JNIM ne sont plus essentiellement financières
Cette dynamique est illustrée par deux districts de la région de Mopti, au centre du Mali. Les données de l’Armed Conflict Location & Event Data Project pour la période du 1er janvier au 26 juillet 2023 indiquent qu’à Youwarou, l’un des principaux bastions de JNIM, un seul enlèvement a eu lieu cette année. Le 5 juillet, le groupe a enlevé quatre professionnels de santé, probablement pour soigner des membres du groupe ou pour fournir des soins médicaux dans les hôpitaux des villages sous l’influence de JNIM.
Dans le district de Mopti, qui reste très contesté en raison de la présence des forces de sécurité et de milices locales affiliées à l’État, 11 enlèvements ont eu lieu au cours du premier semestre de cette année. Le groupe JNIM a pris pour cible des collaborateurs présumés, des personnes qui ne respectaient pas les règles imposées par le groupe, ainsi que des chefs de village ou leur famille.
Les enlèvements ciblent les habitants pris dans l'étau des groupes rebelles qui cherchent à étendre leur influence
Le changement de dynamique – du ciblage d’Occidentaux contre rançon au ciblage de Sahéliens pour des objectifs d’expansion – est significatif. Bien que les prises d’otages aient fourni des ressources financières importantes aux groupes extrémistes violents, elles avaient moins d’impact sur les communautés. Le modèle actuel d’enlèvement cible les populations locales prises en étau entre des groupes d’insurgés cherchant à étendre leur influence.
L’industrie de l’enlèvement est au cœur du conflit sahélien. Ses liens avec l’instabilité doivent être reconnus comme étant bien plus complexes qu’une simple source de financement.
Flore Berger, analyste principale pour le Sahel, Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée
Cet article a été publié pour la première fois par ENACT.
Image : © Alamy Stock Photo
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