Élection présidentielle en Côte d’Ivoire : au-delà de la victoire de Alassane Ouattara
Le président Ouattara vient de commencer son deuxième et dernier mandat, mais les élections de 2015 ont montré que la quête de la réconciliation de la Côte d'Ivoire est encore loin d'être terminée.
Publié le 06 novembre 2015 dans
ISS Today
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Alassane Ouattara, élu dès le premier tour lors de la présidentielle du 25 octobre 2015, a prêté serment le 3 novembre dernier devant le Conseil constitutionnel. Malgré le déroulement et l’issue pacifiques des élections, les résultats ont mis en évidence plusieurs constats.
Le premier constat est lié au taux de participation qui s’élève à 52,86 %. Ce chiffre est significativement en baisse par rapport à celui de la présidentielle de 2010 qui était au-delà de 80 % pour les deux tours. Deux éléments peuvent expliquer cette diminution.
D’abord, les contextes et les enjeux des deux scrutins étaient totalement différents. L’élection de 2010 était considérée comme un tournant important pour le pays qui peinait à sortir de la crise politico-militaire dans laquelle il était embourbé depuis presque dix ans. En outre, trois adversaires à la stature politique relativement comparable, Laurent Gbagbo, Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara, se disputaient le pouvoir suprême. Ainsi, l’absence d’un compétiteur avec une base électorale en mesure de faire concurrence à Ouattara a ôté tout suspens au scrutin.
L’absence d’un compétiteur en mesure de faire concurrence à Ouattara a enlevé tout suspens au scrutin
Ensuite, ce désintérêt s’explique par la fragmentation de l’opposition en deux camps, l’un favorable à une participation au jeu politique et l’autre partisan du boycott du processus électoral. Par conséquent, le sentiment pour beaucoup d’Ivoiriens que les jeux étaient déjà faits, a fait chuter le taux de participation.
Le deuxième constat porte sur la réélection dès le premier tour du président sortant qui a recueilli 83,66 % des suffrages exprimés. Outre l’absence d’un challenger, d’autres éléments peuvent être mis en avant pour expliquer ce résultat.
Tout d’abord, Ouattara, qui pouvait se prévaloir d’un bilan appréciable notamment sur le plan économique, a bénéficié dès le premier tour du soutien d’une large coalition, le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), dont il a été le candidat unique.
Ensuite, face au président sortant, l’opposition regroupée autour de l'Alliance des forces démocratiques (AFD) et de la Coalition nationale pour le changement (CNC) était divisée. L’émiettement de son électorat a facilité la victoire du président sortant.
Enfin, le retrait quelques jours avant l’élection des trois candidats les plus connus de l’opposition (l'ancien ministre des Affaires étrangères Essy Amara, l'ancien président de l'Assemblée nationale Mamadou Koulibaly, et l’ancien Premier ministre Charles Konan Banny) a également laissé le champ libre à une réélection de Ouattara.
Affi N’Guessan semble n’avoir pas réussi à faire échec à l’appel au boycott
Le troisième constat concerne la régression du Front populaire ivoirien (FPI) qui a totalisé 9,29 % des suffrages contre 45, 9% au second tour de la présidentielle de 2010. Ce recul s’explique par la division profonde que vit le parti, liée à l’absence de son fondateur, Laurent Gbagbo, dont l’ouverture du procès devant la Cour pénale internationale est prévue le 28 janvier 2016.
La rupture au sein du FPI est intervenue en décembre 2014, lorsqu’Affi N’Guessan a fait invalider par la justice la candidature de Gbagbo à la tête du parti, avant d’être reconnu en avril 2015 comme son président légal.
La tendance dirigée par Affi N’Guessan plaidait pour la participation du FPI aux élections. Cette posture lui a valu de l’aile opposée, menée par Aboudramane Sangaré, d’être soupçonnée d’avoir pactisé avec le pouvoir en place. Elle avait officiellement appelé, début août 2015, au boycott des élections dont elle jugeait les conditions inéquitables, et revendiquait comme préalable à toute participation la libération de tous les prisonniers politiques, y compris celle de Gbagbo.
La diminution du taux de participation a également été enregistrée dans la plupart des fiefs du FPI. Pour preuve, dans les localités d’Agneby-Tiassa, de Gôh, de Cavally et du district autonome d’Abidjan réputées comme des bastions du FPI, la moyenne de la participation a été de 44,84 % en 2015 contre 84,09 % en 2010. Cette baisse représente toutefois une tendance globale observée à l’échelle nationale et ne peut donc pas être évaluée seulement à l’aune de l’appel au boycott d’une aile du FPI.
L’élection de 2015 démontre que la société ivoirienne reste profondément divisée
Les résultats du scrutin de même que le taux de participation permettent d’apprécier le rapport de forces entre les deux tendances du FPI et le poids politique d’Affi N’Guessan. En effet, excepté dans la région de Moronou, où celui-ci est sorti premier des élections avec 54,06 % des voix, il semble n’avoir pas réussi à faire échec à l’appel au boycott.
Ce recul pourrait traduire le manque d’adhésion d’une partie des militants du FPI à la personnalité d’Affi N’Guessan et l’échec de la stratégie qu’il a adoptée. Le fait qu’une partie de l’électorat, qui a soutenu Gbagbo en 2010, se soit rangée derrière le candidat du RHDP en 2015 n’est enfin pas à exclure, bien que l’ampleur de ce mouvement paraisse difficile à mesurer.
Enfin, la présidentielle de 2015 illustre bien que la réconciliation demeure un défi. Le taux de participation et le comportement de l’électorat sur l’ensemble du territoire au cours de cette élection démontrent que la société ivoirienne reste profondément divisée.
Alors que Ouattara a obtenu les scores les plus importants dans les régions du Nord qui lui sont traditionnellement favorables, celles du Sud, considérées comme les fiefs de Gbagbo et par extension du FPI, enregistrent un taux d'abstention élevé avoisinant les 50 %. La participation à Abidjan, capitale économique et ville la plus cosmopolite du pays, a été de 43,58 %. Ces chiffres soulèvent la question de la cohésion nationale, avec en toile de fond le chantier de la réconciliation qui demeure inachevé.
Dans un contexte encore marqué par des clivages sociopolitiques, il est difficile de dissocier la question de la justice, de la croissance économique inclusive et des réformes constitutionnelles, de celle de la réconciliation. Des efforts doivent être fournis dans le domaine de la justice afin de changer la perception de partialité dont elle pâtit. La croissance économique dont la moyenne depuis 2012 dépasse les 7 %, devra dans le prochain quinquennat être plus inclusive. Enfin, la question des réformes dont la première annoncée est la révision prochaine de la Constitution, devrait contribuer à résoudre l’épineuse question de l’article 35 portant sur les critères d’éligibilité à l’élection présidentielle.
Tel qu’indiqué dans le Rapport sur l’Afrique de l’Ouest de l’ISS d’octobre 2015, ces constats démontrent que l’issue pacifique de cette élection ne suffit pas à faire de la Côte d’Ivoire un exemple de démocratie. Ils illustrent aussi que la stabilité à moyen et long terme demeure un défi. Alors que le président Ouattara entame son second et dernier mandat, il doit saisir l’occasion pour réconcilier la classe politique et mener les réformes structurelles nécessaires à la consolidation de la paix en Côte d’Ivoire.
Ibrahim Maïga, Chercher junior, Ella Abatan, Chercheure boursière et Armande Jeanine Kobi, Chercheure boursière, Division Prévention des Conflits et Analyse des Risques, ISS Dakar