REUTERS/Thomas Mukoya

Démocratie en Afrique : une responsabilité des citoyens, pas des militaires

Les récentes manifestations démontrent que les citoyens peuvent demander des comptes à leurs dirigeants sans attendre des coups d’État.

Malgré des décennies de démocratie, de nombreux pays africains n’ont pas encore tiré les dividendes escomptés. La responsabilité, élément clé de la démocratie représentative, est largement absente de la politique du continent où l’impunité et l’abus de pouvoir semblent être la norme.

En Guinée équatoriale, au Cameroun, en Érythrée et en Ouganda, les dirigeants manipulent la constitution pour prolonger leur mandat, et il n’existe aucun moyen légitime de les destituer, peu importe leurs résultats.

La plupart des citoyens africains doivent attendre les élections pour demander des comptes par la voie des urnes. Cependant, en raison de leurs lacunes, les élections reflètent rarement la volonté des citoyens ; ces scrutins sont généralement conçus pour maintenir le pouvoir en place.

Les citoyens peuvent exiger des comptes des dirigeants incompétents sans attendre les élections

Même lorsque des dirigeants corrompus sont renversés, leurs successeurs ne font pas mieux, comme en témoignent le Ghana et le Nigeria. De nombreux citoyens sont désillusionnés face à la gouvernance médiocre en termes de représentation, de responsabilité et de développement.

Selon le rapport African Insights 2024 d’Afrobarometer, bien que la majorité des citoyens considèrent les élections comme le meilleur moyen de choisir leurs dirigeants (voir graphique), seuls 37 % sont satisfaits du fonctionnement de la démocratie dans leur pays. Même dans des démocraties établies comme l’île Maurice, le Botswana et l’Afrique du Sud, la satisfaction est en forte baisse. Si la mauvaise gouvernance et le sous-développement persistent la stabilité de l’Afrique sera mise en danger.

 

L’enquête d’Afrobarometer révèle une tendance préoccupante celle de l’augmentation de la tolérance envers les interventions militaires. Plus de 53 % des personnes interrogées, surtout les jeunes, toléreraient des coups d’État en cas d’abus de pouvoir. L’opposition au régime militaire a chuté de 11 points de pourcentage dans 30 pays. Le Mali, le Niger, le Gabon et le Burkina Faso, qui ont connu des coups d’État, sont les plus favorables à l’intervention militaire.

Ce soutien croissant à l’armée menace la stabilité et le développement du continent. Si la gouvernance démocratique n’a pas répondu aux attentes, l’histoire des gouvernements militaires depuis les années 1960 montre que la plupart d’entre eux n’ont pas fait mieux.

Plutôt que d’attendre l’intervention militaire pour corriger les tares des gouvernements, les citoyens doivent exiger des comptes de leurs dirigeants. Les événements récents démontrent que c’est possible.

Au Sénégal, les manifestations massives portées par la société civile, les partis d’opposition, les syndicats et le monde universitaire ont contraint Macky Sall à renoncer à un troisième mandat. D’autres manifestations ont également conduit la Cour constitutionnelle à déclarer inconstitutionnelles certaines actions du président, permettant une élection réussie et une transition pacifique du pouvoir.

Au Kenya, un projet de loi visant à augmenter les impôts pour collecter 2,69 milliards de dollars afin de rembourser la dette a déclenché des protestations, notamment des jeunes. Trente-neuf personnes sont mortes et 360 ont été blessées. Face à la pression, le gouvernement a retiré le projet, réduit les dépenses de 1,39 milliard de dollars et adopté plusieurs réformes demandées par les manifestants.

 

Au Ghana, les protestations contre la vente de 60 % des parts de quatre hôtels appartenant au Social Security and National Insurance Trust (SSNIT) à une société détenue par le ministre de l’Agriculture ont également porté leurs fruits. Après l’échec de plusieurs manifestations, les syndicats ont lancé une grève nationale qui a poussé la société du ministre à retirer son offre ainsi que le gouvernement et le conseil d’administration de la SSNIT à annuler la vente.

Peu après, un projet de loi introduit par le Parlement pour modifier certaines parties du Code de la route de 2012 a été largement critiqué. Ce projet aurait permis aux parlementaires, ministres et juges de la Cour suprême d’équiper leurs voitures de sirènes, habituellement réservées aux véhicules d’urgence. La réaction sur les réseaux sociaux a été vive, entraînant le retrait du projet de loi et des excuses publiques du président du Parlement.

Au Nigeria, les citoyens ont entamé le 1er août une manifestation nationale de 10 jours sous le titre #EndBadGovernanceInNigeria. Ils ont exigé la fin de la mauvaise gouvernance, de la corruption et de l’augmentation du coût de la vie. Dix-sept personnes sont mortes et plus de 681 personnes ont été arrêtées. En réponse, le président Bola Tinubu a appelé à la fin des manifestations pour permettre le dialogue.

Ces événements montrent le pouvoir des citoyens à exiger des comptes de leurs gouvernements, et fournissent trois leçons aux présidents, décideurs et au public, face à la désaffection croissante pour la démocratie et le sous-développement.

Premièrement, seuls les citoyens peuvent contrôler leur démocratie et garantir la responsabilité des dirigeants. Si le peuple réalise son pouvoir de formuler des demandes raisonnables, l’armée cessera d’intervenir contre les gouvernements défaillants.

Les dirigeants africains doivent comprendre que le pouvoir et la souveraineté appartiennent au peuple

Deuxièmement, le peuple ne doit pas attendre des élections ou un changement de régime pour exiger des dirigeants incompétents des résultats. L’Afrique a besoin de citoyens organisés, unis et prêts à défendre leur démocratie sans partisanerie ni ethnocentrisme.

Troisièmement, les dirigeants africains doivent comprendre que le pouvoir et la souveraineté ultimes appartiennent au peuple. Le temps où l’on considérait les électeurs comme acquis est révolu. Avec une population nombreuse, jeune, mécontente et mobilisée grâce aux réseaux sociaux, il est désormais plus facile de demander des comptes via des manifestations.

Si les conditions de vie ne s’améliorent pas et que les abus de pouvoir continuent, les manifestations du Kenya et du Nigeria pourraient se reproduire en Afrique. Une nouvelle ère s’ouvre, où un simple message sur les réseaux sociaux peut rassembler des milliers de citoyens qui feront entendre leur voix.

Cet article a été publié pour la première fois dans Africa Tomorrow, le blog du programme Afriques futures et innovation de l’ISS.

Les droits exclusifs de re-publication des articles ISS Today ont été accordés au Daily Maverick en Afrique du Sud et au Premium Times au Nigéria. Les médias basés en dehors de l'Afrique du Sud et du Nigéria qui souhaitent republier des articles ou faire une demande concernant notre politique de publication sont invités à nous écrire.

Partenaires de développement
L’ISS tient à remercier les membres du Forum de partenariat de l’Institut, notamment la Fondation Hanns Seidel, l’Open Society Foundations, l’Union européenne, ainsi que les gouvernements du Danemark, de l’Irlande, de la Norvège, des Pays-Bas et de la Suède.
Contenu lié