De grands espoirs pour la démocratie au Botswana
Après environ six décennies de règne du BDP, l’UDC doit désormais relever le défi de restaurer une bonne gouvernance.
Publié le 15 novembre 2024 dans
ISS Today
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Les élections du 30 octobre au Botswana marquent un tournant historique, avec la fin du règne du Botswana Democratic Party (BDP), au pouvoir depuis près de six décennies, et une victoire éclatante de l’Umbrella for Democratic Change (UDC), dirigée par Duma Boko.
L’UDC a remporté 36 des 61 sièges parlementaires, contre seulement quatre pour le BDP. Le taux de participation était supérieur à 80 %.
Cependant, au-delà de l’euphorie du changement, la défaite du BDP et ses causes méritent une analyse approfondie.
Le BDP a présenté un programme mal défini, promettant peu de réformes significatives. Au fil du temps, l’image du parti a été ternie par des accusations de corruption et un manque de transparence. Les indicateurs économiques et sociaux du Botswana ont également montré des signes de déclin.
Le chômage, en particulier chez les jeunes, a atteint 34 %. L’économie, trop dépendante des exportations de diamants, a souffert de la baisse des prix sur le marché mondial, sans diversification suffisante vers d’autres secteurs. Les prix des diamants ont chuté avec un impact sur le produit intérieur brut.
Le BDP conserve un large soutien populaire et reste un acteur incontournable de la scène politique
Par ailleurs, les investissements sociaux, notamment dans les soins de santé, ont diminué. Le Botswana affiche un taux de mortalité maternelle élevé (175 décès pour 100 000 naissances), supérieur à celui d’autres pays à revenu intermédiaire. Les inégalités sont également préoccupantes, avec un coefficient de Gini de 0,53, plaçant le Botswana parmi les nations les plus inégalitaires d’Afrique australe, non loin des 0,67 de l’Afrique du Sud, leader mondial.
Enfin, le système électoral uninominal à un tour du Botswana a amplifié les disparités. Bien que le BDP ait obtenu 30,49 % des suffrages contre 37 % pour l’UDC, il ne détient que quatre sièges au Parlement, entraînant une sous-représentation de larges segments de la population votante.
Le scrutin uninominal à un tour repose sur la représentation des circonscriptions plutôt que sur un résultat proportionnel global, comme en Afrique du Sud. Ainsi, des pourcentages significatifs de votes ne se traduisent pas toujours en victoires dans les circonscriptions et en sièges parlementaires. Les pays adoptant ce système devraient envisager une approche hybride qui reflétera davantage le vote populaire dans l’attribution des sièges.
Ces résultats montrent que le BDP conserve une base solide et reste un acteur clé de la vie politique.
Parallèlement, la victoire de l’UDC incarne à la fois une alternative attrayante et un rejet de l’ancien régime. Cette dynamique impose à l’UDC de se démarquer nettement du BDP durant son mandat.
Le principal défi de l’UDC sera de répondre aux attentes élevées suscitées par les promesses de Boko
L’opposition a centré sa campagne sur des promesses de reconstruction économique, de création d’emplois durables et d’éradication de la corruption attribuée au BDP. Elle a mis en avant la nécessité de diversifier l’économie et promis d’élever le salaire minimum à 4 000 BWP (300 USD). Une révision participative et inclusive de la Constitution figure également parmi ses engagements.
Le défi principal pour l’UDC sera de gérer les attentes élevées générées par ces promesses. La nouvelle administration dispose de cinq ans pour moderniser un système de gouvernance façonné par près de six décennies de pouvoir du BDP. Une communication stratégique et habile sera essentielle pour maintenir le soutien populaire.
Toutefois, l’exercice du pouvoir pourrait rapidement révéler des défis inattendus. Avec une expérience limitée en gouvernance, l’UDC devra surmonter une courbe d’apprentissage abrupte pour maîtriser les rouages de l’État et répondre aux attentes élevées des électeurs.
Boko et l’UDC doivent prouver leur engagement envers l’inclusion et la représentation, dans un contexte où seulement deux des 36 parlementaires de l’UDC étaient des femmes. Sur un total de 69 parlementaires, seules six sont des femmes. Toutefois, Boko a déjà nommé de nombreux jeunes et femmes au sein de son cabinet, respectant ainsi les engagements du manifeste de l’UDC.
Le parti doit désormais démanteler les structures institutionnelles qui ont permis au BDP de monopoliser le pouvoir pendant des décennies. Des réformes constitutionnelles et électorales profondes sont nécessaires pour renforcer l’inclusivité et garantir l’indépendance de la commission électorale, uniformisant ainsi les règles du jeu.
La SADC pourrait se scinder entre anciens partis de libération au pouvoir et nouveaux leaders politiques
La victoire du parti pourrait également susciter des émules sur le plan régional. La défaite du BDP témoigne du fait que les anciens partis de libération au pouvoir en Afrique australe perdent leur emprise sur le pouvoir.
Pendant la campagne, l’Union nationale africaine du Zimbabwe-Front patriotique (ZANU-PF) a publiquement soutenu le BDP, soulignant la solidarité traditionnelle des mouvements de libération dans la région et leur influence sur les décisions de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC).
Le ZANU-PF et ses partisans jettent déjà l’opprobre sur Boko, le qualifiant de « projet de la Fondation Brenthurst ». Qu’il s’agisse du discours impérialiste du Zimbabwe ou de l’étiquette « capital monopoliste blanc » de l’Afrique du Sud, l’objectif est le même : délégitimer. Les partis d’opposition qui remportent les élections menacent la domination du parti au pouvoir, une réalité existentielle dans plusieurs pays d’Afrique australe.
Les chefs d’État issus de l’opposition doivent souvent composer avec des attentes régionales d’alignement sur les mouvements de libération. Récemment, le Zimbabwe a tenté d’isoler la Zambie parce que son parti au pouvoir n’est pas membre de ce réseau historique de libération, mettant en lumière les tensions latentes au sein de la SADC.
Au lieu de favoriser une union entre l’ancien et le nouveau pouvoir pour un apprentissage générationnel, la région risque de se diviser entre anciens partis de libération et leaders émergents.
Ces changements de pouvoir, bien que progressistes, offrent à la SADC l’opportunité de s’affranchir des dogmes passés pour adopter des politiques pragmatiques, en phase avec les besoins des États membres et les réalités mondiales.
Alors que le Botswana entame ce nouveau chapitre, il doit se rappeler que la célébration des victoires de l’opposition comme triomphes démocratiques n’est qu’une étape. Le véritable défi réside dans l’instauration de réformes gouvernantes solides, garantes de stabilité, répondant aux attentes populaires et favorisant l’inclusion économique. L’UDC pourra alors prouver sa capacité à transformer le système politique ou, à défaut, risquer un nouvel épisode de désillusion politique.
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