Crise des réfugiés en Afrique : une négligence alarmante
La Journée mondiale des réfugiés rappelle que l'Afrique et le monde ne peuvent pas tenir le rythme actuel des déplacements.
En mai 2024, 120 millions de personnes avaient été déplacées de force dans le monde, contre 35,8 millions en 2012, selon le rapport annuel sur les tendances mondiales de l'Agence des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR). La plupart d’entre elles (75,9 millions) sont des personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays.
Les troubles politiques, la violence, les conflits, le changement climatique et les catastrophes naturelles s'accumulent et déclenchent des crises d'une ampleur et d'une complexité inégalées.
Depuis des années, l'Institut d'études de sécurité avertit que le nombre de réfugiés africains augmente à un rythme insoutenable, alors que les solutions durables et l'aide humanitaire continuent de diminuer. De nombreuses crises africaines durables sont chroniquement sous-déclarées, sous-financées et insuffisamment prises en charge, quelle que soit leur gravité. L'extrémisme, l'instabilité politique, la violence et la souffrance humaine prospèrent dans la négligence. La responsabilité du monde à l'égard des réfugiés africains va au-delà de la bonne volonté humanitaire : la paix et le développement en dépendent.
Environ 37 % (45,9 millions) des personnes déplacées de force se trouvent en Afrique, dont environ 8,9 millions de réfugiés, 1,1 million de demandeurs d'asile, 35 millions de déplacés internes et un million d'apatrides. Le conflit au Soudan, la résurgence de la violence dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC), la violence persistante et les inondations soudaines en Somalie ont été à l'origine de nouveaux déplacements massifs en 2023. De nombreuses autres personnes sont confrontées à des déplacements prolongés en raison de conflits ou d'une instabilité de longue date.
Neuf des dix premières crises de réfugiés les plus négligées sont africaines
Le rapport du HCR met en garde contre « l'apathie et l'inaction » face à la montée en flèche des déplacements. L'augmentation du nombre de réfugiés s'accompagne d'un manque de financement. L'appel global du HCR pour 2024 fait état d'un déficit de 55 %, l’obligeant à réduire ses opérations au strict minimum et à sélectionner les bénéficiaires de l'aide.
Les réfugiés en Afrique sont protégés par la convention de 1951 sur les réfugiés et son protocole de 1967, ainsi que par la convention de 1969 de l'Organisation de l'unité africaine. Cette dernière élargit le champ d'application de la convention de 1951 pour y inclure des événements tels que l'agression extérieure, l'occupation, la domination étrangère et les incidents troublant gravement l'ordre public. Elle permet la reconnaissance de prime abord du statut de réfugié, sans évaluation individuelle préalable. Les deux conventions contiennent le principe de non-refoulement, qui empêche les pays d'expulser des personnes dont l’intégrité physique pourrait être menacée.
Ces dernières années, les pays les plus riches, y compris les pays à l’initiative de la convention sur les réfugiés, ont limité les voies d'accès et réduit les protections et leur soutien aux réponses à la montée des politiques anti-migrants. Nombre de ces mesures visent et affectent gravement les Africains.
L'accord entre le Royaume-Uni et le Rwanda a été largement condamné pour avoir dégradé la convention sur les réfugiés. En avril, le Royaume-Uni a adopté une législation qui lui permet d'envoyer des demandeurs d'asile au Rwanda malgré un arrêt de la Cour suprême en 2023, stipulant que l'accord était illégal en l'absence de garanties sur la sécurité et la protection des demandeurs d'asile.
Le HCR accuse un déficit de financement de 55 %, ce qui réduira d’autant l'aide distribuée
L'adoption de la loi française sur l'immigration de 2024, « le texte le plus répressif depuis 1945 » a été accélérée. Le Conseil constitutionnel français en a censuré près de la moitié des dispositions avant qu'elle ne soit promulguée. Ce mois-ci, le président des États-Unis, Joe Biden, a publié un décret autorisant la fermeture des frontières quand les arrivées quotidiennes de migrants atteignent 2 500 personnes, et à renvoyer ces derniers de l'autre côté de la frontière, y compris les demandeurs d'asile.
De nombreux pays africains limitent également la protection des migrants. La Tunisie, le Maroc et la Mauritanie ont été accusés d'expulser de force des migrants africains, dont des demandeurs d'asile, les abandonnant dans le désert par camions entiers, grâce à des fonds européens. Fin 2023, l'Afrique du Sud a publié un livre blanc visant à remanier son système migratoire, proposant notamment de se retirer de la convention de 1951 sur les réfugiés et émettant des réserves à une nouvelle adhésion.
Le 3 juin, le Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC) a publié la liste annuelle des crises de déplacement les plus négligées. Neuf des dix premières concernent des pays africains avoisinants, situés dans la région du Sahel ou à proximité. Les déplacements se produisent à l'intérieur ou vers d'autres États touchés par la crise. Le rapport souligne que le monde s'est habitué à ignorer les crises de déplacement prolongées. Le classement est basé sur l'attention des médias, le financement, les efforts politiques et diplomatiques par rapport au nombre de personnes dans le besoin.
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Liste des crises de déplacement les plus négligéesSource : NRC 2024
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Le rapport du NRC classe la crise de déplacement du Burkina Faso comme la plus négligée pour la deuxième année, avec deux millions de déplacés et 36 000 réfugiés, dont 707 000 nouveaux déplacements en 2023. Les belligérants créent des blocus qui piègent deux millions de personnes dans 39 villes, sans aide ni information.
Le rapport cite le Soudan comme exemple des conséquences de plusieurs années de négligence. Plus de 10 millions de personnes sont actuellement déplacées, dont 7,26 millions depuis avril 2023, date à laquelle la guerre a éclaté entre l'armée soudanaise et les Forces de soutien rapide. Des atrocités de masse, y compris la torture, la violence sexuelle et le nettoyage ethnique, ont été enregistrées. Plus de 25 % de la population soudanaise a été contrainte de fuir ; plus de la moitié sont des enfants. C’est devenu la pire catastrophe humanitaire de l'histoire récente, avec 18 millions de personnes souffrant de faim aiguë. Environ deux millions de personnes ont fui vers les pays voisins, le Tchad et le Soudan du Sud.
En 2023, moins de 1 % du nombre total de réfugiés a reçu une offre de réinsertion
Le Tchad, classé 189e sur 193 pays selon l'indice de développement humain, a maintenu une politique généreuse d'ouverture des frontières tout en devenant l'une des plus grandes opérations de déplacement. Il accueille 1,3 million de réfugiés, dont 550 000 Soudanais depuis avril 2023, ainsi que des réfugiés du Nigeria, du Cameroun et de la République centrafricaine. Quatre-vingt-dix pour cent d’entre eux sont des femmes ; 77 % arrivent sans enfants.
Le HCR a dû suspendre les vérifications biométriques et les évaluations de protection pour donner la priorité aux nouveaux arrivants en raison d'un manque de financement. En décembre 2023, le Programme alimentaire mondial a réduit les rations des réfugiés et le gouvernement tchadien a déclaré l'état d'urgence alimentaire, suspendant notamment la distribution de l’aide à la frontière avec le Darfour.
En RDC, le sous-financement a entraîné une réduction de 79 % du nombre d'observateurs de la protection des violations des droits de l'homme. L'opération ougandaise a interrompu les services de santé et la distribution des kits sanitaires pour les femmes depuis 2022. Au Soudan du Sud, les kits de protection contre les inondations et la modernisation des systèmes de drainage ont été supprimés.
Les réfugiés ont trois options pour trouver des solutions durables : rentrer chez eux, s'intégrer dans les communautés d'accueil ou se réinstaller dans des pays tiers. Dans de nombreux cas, le retour n'est pas viable et il ne reste que l'intégration ou la réinstallation.
En 2023, 158 700 réfugiés se sont vu proposer une réinstallation dans des pays tiers, ce qui représente une augmentation significative par rapport à 2022, mais moins de 1 % du nombre total des réfugiés. La réinstallation est réservée aux plus vulnérables, c’est-à-dire les personnes âgées, les enfants, les personnes malades ou handicapées, ou les survivants de violences ou d'abus. Le HCR estime que 2,9 millions de réfugiés auront besoin d'être réinstallés en 2025.
Le Kenya accueille actuellement 700 000 réfugiés, dont beaucoup sont arrivés de Somalie en 1991. Après des années de dépendance à l'aide et de frustration croissante de la part des populations locales, le Kenya a promulgué la loi sur les réfugiés de 2021. Cette loi reconnaît la nature prolongée des conflits qui poussent les réfugiés à s'installer au Kenya. Son application contribuera à l'intégration socio-économique des réfugiés en élargissant leurs droits de vivre, de travailler et d'accéder aux services financiers en dehors des camps. D'autres pays accueillant des réfugiés devraient envisager des approches similaires.
La Journée mondiale des réfugiés nous rappelle que l'Afrique et le monde ne peuvent pas maintenir pacifiquement ce rythme de déplacement. Le coût de la négligence des personnes déplacées et des crises qui les provoquent est trop élevé.
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