Crise climatique : l’impératif d’une taxe carbone mondiale

La modélisation de l’ISS suggère que la taxe carbone, avec une contribution par pays basée sur le revenu, pourrait être bénéfique.

Face à la crise climatique mondiale due aux émissions de carbone, il est essentiel que les principaux pollueurs rendent des comptes. Les mécanismes de tarification du carbone, incluant la taxation du carbone, sont efficacement utilisés par plusieurs nations européennes depuis des décennies et constituent une solution prometteuse.

La taxation du carbone limite de manière directe et transparente la pollution en imposant une redevance sur chaque tonne de carbone émise, réduisant ainsi les émissions nocives tout en générant des revenus pour les initiatives d’énergie renouvelable et l’atténuation des effets du changement climatique.

Pourtant, malgré le soutien des institutions financières mondiales et des dirigeants africains, peu de pays - y compris les principaux pollueurs - ont adopté une telle mesure. Cette inaction coûtera cher aux pays développés et en développement.

En 2023, les niveaux atmosphériques de dioxyde de carbone (CO2) ont atteint un record de 424 parties par million (ppm). Selon le sixième rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, pour atteindre l’objectif de 1,5 °C, les concentrations atmosphériques en 2050 devraient être comprises entre 330 et 400 ppm. Cependant, les estimations actuelles prévoient une concentration de 515 ppm d’ici 2050, entraînant un réchauffement de 3 °C d’ici la fin du siècle.

La taxe carbone limite la pollution en imposant une redevance sur chaque tonne de carbone émise

Selon l’Institut international pour l’analyse des systèmes appliqués, le budget carbone mondial restant en 2023 pour maintenir le réchauffement de la planète à 1,5 °C avec une probabilité de 50 % était de 250 gigatonnes de CO2. Avec les émissions mondiales actuelles de 36,1 milliards de tonnes par an, ce budget sera épuisé avant 2030.

L’Afrique produit moins de 5 % des émissions mondiales de combustibles fossiles, mais subit de manière disproportionnée les effets du changement climatique. Cette disparité doit être reconnue et les actions internationales doivent reposer sur le principe des responsabilités communes mais différenciées préconisé par la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques.

L’Afrique a besoin de marge de manœuvre pour atteindre ses objectifs de développement. Selon les modèles de l’équipe Afrique Future et Innovation (AFI) de l’Institut d’études de sécurité (ISS), l’Afrique pourrait contribuer jusqu’à 13 % des émissions mondiales de carbone provenant des combustibles fossiles d’ici 2050, et 22 % d’ici 2063.

À titre de comparaison, les dix principaux émetteurs mondiaux - la Chine, les États-Unis, l’Inde, la Russie, le Japon, l’Indonésie, l’Iran, l’Allemagne, l’Arabie saoudite et la Corée du Sud - sont responsables de 69 % des émissions mondiales de combustibles fossiles et génèrent 60 % du PIB mondial.

Seules 38 initiatives de taxation du carbone existent malgré le soutien international

L’Afrique doit être soutenue par les responsables de la crise. L’instauration d’une taxe sur les émissions de dioxyde de carbone lors de la combustion de combustibles fossiles dans les principaux pays émetteurs pourrait encourager les réductions, promouvoir les pratiques durables et générer des revenus pour les projets d’adaptation et d’atténuation.

La Banque mondiale et le Fonds monétaire international ont soutenu un cadre mondial de taxation du carbone. L’Union africaine, signataire de la déclaration de Nairobi sur le climat l’année dernière, souligne la nécessité de réformes financières multilatérales. Elle propose la création d’un régime mondial de taxation du carbone pour financer les investissements à impact positif pour le climat.

Pourtant, malgré ce soutien, seules 38 initiatives de taxe carbone sont en place dans le monde, couvrant à peine 6 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Parmi les dix principaux émetteurs mondiaux, seul le Japon a adopté une taxe carbone. Les États-Unis, la Russie, l’Inde, l’Iran et l’Arabie saoudite restent prudents. Bien que certains États américains aient des systèmes infranationaux d’échange de quotas d’émission, la Chine a instauré les systèmes les plus étendus au monde.

Cette fragmentation pourrait entraîner des fuites de carbone, les industries délocalisant leur production dans des régions moins réglementées.

Figure 1 : Émissions de CO2 par pays, 2023-2063

Chart 1: CO2 emissions per country, 2023-2063

L’équipe de l’AFI a modélisé quatre scénarios de taxe carbone, chacun offrant des perspectives sur les approches possibles avec des impacts et des stratégies de mise en œuvre variables (figure 2).

Dans le premier scénario (Le riche paie), la responsabilité incombe uniquement aux pays riches, responsables des émissions historiques. Le deuxième scénario (Pollueurs payeurs) transfère la charge financière aux 20 plus gros pollueurs de la planète. Dans le troisième scénario (Tout le monde paie), un prix unique de la tonne de carbone est appliqué à tous les pays. Enfin, le dernier scénario (Paiement différencié) répartit les responsabilités en fonction du revenu des pays et de leur profil d’émission.

Le scénario du paiement différencié est particulièrement prometteur. S’appuyant sur un mécanisme de tarification du carbone de 25 à 100 dollars américains en fonction du revenu et du profil d’émission d’un pays, ce scénario promet de réduire les émissions de 15 % d’ici à 2050 et de 25 % d’ici à 2063, par rapport aux projections actuelles.

Figure 2 : Émissions de CO2 provenant des combustibles fossiles selon différents scénarios de taxe carbone, 2023-2063

Chart 2: CO2 emissions from fossil fuels in different carbon tax scenarios, 2023-2063

Toutefois, selon les prévisions de l’AFI, une taxe sur le carbone seule ne suffira pas, car la concentration de carbone dans l’atmosphère dépassera toujours 500 ppm en 2050. Des processus supplémentaires de séquestration naturelle et artificielle seront nécessaires pour capturer le dioxyde de carbone atmosphérique accumulé.

Bien que la taxe carbone soit une mesure parmi d’autres, sa mise en œuvre à l’échelle mondiale par les pays développés et en développement est essentielle. Les pays africains doivent adopter une approche unifiée, avec une répartition équitable et une responsabilité partagée.

L’instauration d’une taxe mondiale sur le carbone présente plusieurs avantages. Elle offre d’abord un signal économique clair qui intègre le véritable coût des émissions de carbone. Deuxièmement, les recettes générées peuvent être réinvesties dans l’adaptation au climat mondial, l’atténuation de ses effets et le développement durable.

Les pays en développement peuvent utiliser leurs revenus pour répondre à des besoins nationaux urgents, tandis que les pays développés peuvent contribuer à l’action climatique et au développement durable. Cette approche flexible permet à chaque pays d’adapter sa réponse à ses besoins, favorisant ainsi les progrès nationaux et la coopération internationale.

La mise en œuvre d’une taxe mondiale par les pays développés et en développement est primordiale

Le troisième avantage est l’amélioration de la transparence et de la prévisibilité, ce qui facilite la coopération internationale et les systèmes d’échange de quotas d’émission.

La tarification du carbone est un outil essentiel pour lutter contre le changement climatique. Cependant, elle doit faire partie d’une stratégie globale incluant des investissements dans les énergies renouvelables, les infrastructures durables et des mesures d’adaptation pour renforcer la résilience aux impacts du changement climatique.

La mise en œuvre d’un cadre fiscal mondial sur le carbone n’est pas sans défis. Les effets socio-économiques potentiels du passage à une économie à faible émission de carbone sur les communautés vulnérables doivent être pris en compte. Toutefois, en intégrant l’équité et l’efficacité, une taxe mondiale sur le carbone peut devenir la pierre angulaire d’une gouvernance climatique efficace, à condition que l’Afrique soit pleinement impliquée et que les principaux pollueurs de la planète assument leurs responsabilités financières.

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