Créer les conditions propices à la stabilisation de la Guinée-Bissau

L’organisation d’élections ne garantira pas une sortie durable de cette crise politique.

Les conclusions du 52e sommet ordinaire de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), prévu ce week-end, seront décisives dans la résolution de l’impasse politique en Guinée-Bissau.

Malgré le délai de trois mois accordé aux autorités bissau-guinéennes lors du Sommet de Monrovia en juin 2017 pour mettre en œuvre l’Accord de Conakry, la crise politique persiste. C’est ce qu’a constaté une mission de la CEDEAO après consultation avec les acteurs politiques, lors de son séjour du 1er au 2 décembre à Bissau.

La principale raison de la non-application de l’Accord est la nomination d’Umaro Sissoco Embaló au poste de Premier ministre et non d’Augusto Olivais comme convenu. Dans un entretien accordé à Radio France internationale le 16 novembre 2017, le médiateur de la CEDEAO – le président guinéen Alpha Condé – a confirmé qu’un consensus avait été trouvé sur le choix de l’une des personnalités proposées par le président José Mário Vaz.

Les principales faiblesses institutionnelles n’ont jusque-là pas été corrigées

Le maintien du gouvernement de Sissoco, malgré l’expiration du délai constitutionnel prévu pour l’adoption de son programme – à cause du blocage de l’Assemblée nationale populaire (ANP) – et les appels de la communauté internationale pour l’application de l’Accord de Conakry, a accentué les tensions politiques.

Alors que l’impasse persiste et que l’échéance électorale des législatives attendues en 2018 approche, il apparaît urgent de mettre les acteurs responsables du blocage devant leurs responsabilités. Le cycle de consultations entamé à Bissau puis à Conakry doit se poursuivre afin de trouver une solution de sortie de crise consensuelle permettant la mise en œuvre des réformes dont la Guinée-Bissau a besoin.

L’organisation d’élections ne saurait être considérée comme étant à même de garantir une sortie durable à cette crise qui doit être analysée dans le contexte des crises politiques récurrentes connues par ce pays depuis des décennies.

En théorie, les élections législatives pourraient clarifier le jeu politique en favorisant la constitution d’une majorité parlementaire et la formation d’un gouvernement légitime. Elles permettraient aussi d’éviter que le mandat de l’ANP n’expire et que le président Vaz ne devienne le seul acteur doté d’une légitimité démocratique, son mandat prenant fin en 2019.

Dans la pratique, une élection organisée sans un dénouement préalable de la crise risque de diviser davantage une scène politique déjà fortement polarisée et de créer les conditions d’une contestation des résultats.

Les autorités ne sont pas parvenues à trouver une solution consensuelle malgré le délai de trois mois accordé par la CEDEAO

Le Collectif des partis démocratiques de l’opposition, qui organise depuis des mois des marches pour demander l’application de l’Accord de Conakry, a en effet précisé qu’aucune élection ne serait organisée par le gouvernement de Sissoco, qu’il juge illégitime. Ce refus s’explique aussi par le rôle que joue le ministère de l’Administration territoriale dans le processus électoral à travers le Bureau technique d’appui au processus électoral (GTAPE). Cet organe est chargé du recensement des électeurs et de la constitution du fichier électoral,  d’où la méfiance de l’opposition.

Par ailleurs, le blocage de l’ANP pourrait porter atteinte au fonctionnement normal de la Commission nationale des élections (CNE). La CNE dépend de l’ANP en ce qui concerne la gestion de son budget ainsi que la nomination de son président et des membres du secrétariat exécutif.

Même dans un scénario optimiste qui verrait les élections législatives se dérouler sans dénouement de la crise institutionnelle et aboutir à une clarification du jeu politique, le risque que le pays se retrouve dans une situation de crise resterait élevé dans la mesure où les faiblesses et insuffisances majeures de l’architecture institutionnelle n’auront pas été corrigées.

Si la crise actuelle a pu impacter à ce point le fonctionnement normal des institutions de la république, c’est en partie en raison des insuffisances de certaines dispositions constitutionnelles qui régissent le fonctionnement du système semi-présidentiel de la Guinée-Bissau. Elle renseigne donc sur la nécessité de mettre en œuvre des réformes envisagées depuis plusieurs années, dont la révision de la Constitution et du cadre électoral. 

Il existe en effet un large consensus sur la nécessité d’apporter des clarifications sur des aspects importants de la Constitution portant notamment sur l’organisation, le fonctionnement du pouvoir politique et les relations entre les différents pouvoirs ainsi que des changements dans les lois électorales. Nombreux aussi sont les acteurs au sein de la classe politique et de la société civile qui préconisent des modifications dans les lois électorales suivant les prescriptions du rapport de la CNE rédigé à l’issue des élections générales de 2014. 

Un cycle de consultations de suivi est nécessaire

Pour trouver une solution à cette impasse, il est nécessaire d’ouvrir un cycle de consultations de suivi des pourparlers de 2016. Celui-ci devra s’inscrire dans l’esprit qui a guidé le processus de Conakry, c’est-à-dire être inclusif et consensuel, et mettre de l’avant l’importance de mettre en œuvre les réformes majeures dont le pays a besoin.

Dans la conduite de cette consultation, la CEDEAO, soutenue par les autres membres du groupe des cinq organisations internationales impliquées dans le processus de consolidation de la paix en Guinée Bissau (Union africaine, Organisation des Nations unies, Union européenne et Communauté des pays de langue portugaise), devrait adopter une position plus directive et ferme. La persistance de la crise, malgré les efforts d’acteurs nationaux et internationaux, montre clairement le peu d’intérêt qu’accordent certains acteurs clés à la stabilisation du pays.

Les autorités ne sont en effet pas parvenues, malgré les trois mois accordés par la CEDEAO et les menaces de sanctions individuelles, à trouver une solution consensuelle. Il ne faut donc pas fonder beaucoup d’espoir sur la bonne volonté et la capacité de dépassement des acteurs politiques de leurs propres intérêts. L'absence de réaction de la CEDEAO après l’expiration du délai annoncé pour l'application de l'Accord n’est pas non plus de nature à encourager les acteurs à respecter leurs engagements.

Le 52e sommet de la CEDEAO constitue à cet effet une occasion pour l’organisation régionale de raffermir  sa position. Il en va de sa crédibilité.

Cette consultation de suivi – qui ne placerait  pas  le président au-dessus des autres parties prenantes dans la mesure où il est un protagoniste de la crise – devrait aboutir à la mise en place d’un gouvernement de mission qui aurait le soutien des principales forces politiques du pays et qui ferait une large place à des technocrates peu politisés et compétents.

Ce processus donnerait la possibilité, enfin, de définir, sur la base d’un consensus, un calendrier électoral permettant l’adoption des réformes prioritaires avant les législatives. Le couplage des législatives et de la présidentielle en 2019, une option qui donnerait plus de temps pour opérer les réformes nécessaires, devrait être envisagé.

En définitive, un tel processus devrait être guidé non pas uniquement par l’urgence de mettre fin à la crise politique actuelle, mais aussi par la volonté de créer les conditions politiques économiques et sociales à même d’apporter des réponses structurelles durables à l’instabilité chronique qui caractérise la Guinée-Bissau depuis son indépendance.

Paulin Maurice Toupane, Chercheur et Adja Khadidiatou Faye Chercheur stagiaire, ISS Dakar

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