Comment noyer le poisson

Le rôle de la Chine dans la pêche illicite, non déclarée et non réglementée entraîne des effets disproportionnés sur l’Afrique.

L’exploitation de la bauxite (principal minerai qui permet la production d'aluminium) au Ghana a récemment suscité une certaine controverse, le rôle de l’investissement chinois étant au centre des préoccupations. La bauxite promet certes d’injecter beaucoup d’argent dans ce pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, mais le projet soulève de graves préoccupations environnementales.

Bien que le projet représente un investissement de plus de 2 milliards de dollars d’infrastructures, il pourrait également contaminer la principale source d’eau pour environ 5 millions de personnes. Plus largement, il met en évidence le rôle de l’investissement chinois dans les modèles de croissance africains.

C’est en grande partie à cause de la domination de la Chine sur le commerce de biens matériels que l’ampleur de ses investissements globaux en Afrique est souvent exagérée. Selon le Forum économique mondial (FEM), la Chine dispose de moins de la moitié du stock d’investissements directs étrangers (IDE) que le Royaume-Uni, la France ou les États-Unis. Forbes est du même avis, notant dans une analyse des tendances de l’investissement en Afrique que « l’Europe continue à se distinguer comme le plus grand investisseur » sur le continent.

Cependant, les analyses de Forbes et du FEM soulignent également que la croissance des investissements chinois en Afrique dépasse largement celle de tout autre pays. Entre 2010 et 2014, les IDE chinois ont augmenté plus de deux fois plus rapidement que ceux des pays susmentionnés. La Chine est aussi, et de loin, le plus grand investisseur dans les projets d’infrastructures en Afrique : elle s’est engagée à injecter 60 milliards de dollars supplémentaires lors du Forum sur la coopération sino-africaine de 2018.

L’amélioration de la transparence dans l’industrie de la pêche est cruciale pour une meilleure sécurité alimentaire en Afrique

La Chine étant un partenaire qui prend de l’importance, ses politiques nationales attireront davantage l’attention des nombreux pays africains avec qui le géant chinois fait des affaires. Un exemple frappant est celui de « l’exportation » par la Chine de centrales électriques au charbon, alors qu’elle subventionne dynamiquement des projets d’énergie renouvelable en Chine.

En juin 2019, des organisations non gouvernementales kényanes sont parvenues à faire échouer un projet mené par un consortium chinois qui visait à construire une centrale au charbon de 1 050 MW près d’un site inscrit au patrimoine de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture, à Lamu, au Kenya. Le projet n’a été rejeté que de justesse devant les tribunaux, et le consortium a fait appel de la décision de justice.

Il convient de préciser que le Kenya dispose d’institutions solides et de niveaux de participation civique plus élevés que d’autres pays africains. Il y a de bonnes raisons de croire que d’autres États ne sont peut-être pas en mesure d’œuvrer aussi efficacement pour la protection de l’environnement, face à des entreprises et des élites cherchant à réaliser d’importants gains financiers.

Si la polémique du charbon a polarisé une forte attention, d’autres activités économiques qui ont un impact sur l’environnement paraissent rarement dans les colonnes des journaux. L’un des problèmes, en termes d’impact humain potentiel, qui échappe au radar médiatique est celui de la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN).

Les prises des pêcheurs locaux se font de plus en plus maigres et la concurrence a déjà conduit à de violents conflits

En novembre 2019, le Stimson Center a publié un rapport sur la pêche INN dans le monde. Le rapport s’est notamment intéressé aux pays dont les flottes de pêche hauturière pénètrent le plus souvent des eaux territoriales, et a constaté que, sur les 20 pays où ces violations ont occurrent, 10 sont des pays africains.

Toutefois, si l’on pondère ces chiffres en fonction de la population, les pays africains regroupent plus de 90 % des personnes vivant dans ces 20 pays, et la Papouasie-Nouvelle-Guinée représente la majeure partie des 10 % restants. Il est difficile de déterminer l’ampleur des dommages causés aux réserves de poissons et à la durabilité écologique de ces zones. Mais, étant donné qu’on estime que la pêche hauturière emploie jusqu’à 56 millions de personnes, son impact risque d’être important.

Le rapport a également constaté que, sur les cinq ports les plus fréquemment utilisés par les flottes de pêche INN, trois sont africains. Stimson suggère qu’il ne s’agit pas d’une coïncidence, car les flottes en eaux profondes tirent activement profit de la faiblesse des institutions et du manque d’opportunités économiques dans certains pays d’Afrique. Plusieurs participants à une enquête menée au Mozambique ont déclaré qu’ils croyaient que « les décisions politiques déterminent les accords d’accès, sans se préoccuper de l’environnement ou de la conservation des pêcheries ».

Cette croyance s'est avérée exacte lorsqu’un associé d’une société de pêche chinoise a été pris en train de menacer publiquement un haut fonctionnaire du Ministère de la mer, des eaux intérieures et de la pêche du Mozambique. Il n’est peut-être pas surprenant qu’à ce stade, le rapport indique qu’environ 65 % des flottes de pêche en eaux profondes qui pratiquent la pêche INN opèrent soit à partir de la Chine, soit à partir de Taïwan.

Les flottes en eaux profondes profitent des régions où les institutions sont faibles et les possibilités économiques limitées

Non seulement la surexploitation des pêcheries africaines aura des conséquences écologiques à long terme, mais elle a déjà un impact négatif sur les économies. Les prises des pêcheurs locaux se font de plus en plus maigres et la concurrence pour les réserves de poissons limitées a déjà entraîné de violents conflits en Afrique.

Il est essentiel pour l’avenir du continent de relever les défis de la sécurité alimentaire et de gérer ses relations avec la Chine. Il s’agit d’un rare cas où ces intérêts se chevauchent presque directement, ce qui offre l’occasion d’établir un cadre de coopération durable, tant sur le plan économique que sur le plan environnemental.

Le rapport Stimson présente plusieurs recommandations politiques. Celles-ci comprennent l’introduction d’une meilleure traçabilité dans les chaînes d’approvisionnement alimentaire ; l’expansion de la coopération régionale et internationale ; le renforcement de la responsabilisation des États du pavillon ; et la garantie que les dossiers des entreprises des pays hôtes des flottes de pêche hauturière soient rendus publics.

Une industrie de la pêche plus transparente représente un pas important vers une meilleure sécurité alimentaire et vers l’amélioration des moyens de subsistance économiques de millions d’Africains. Elle permettra également de protéger certaines des réserves de poissons les plus abondantes et les plus menacées de la planète.

Zachary Donnenfeld, consultant à l’ISS

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Crédit photo Pierre Gleizes / Greenpeace

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