Combattre l’océan de corruption dans le secteur maritime

La faiblesse des mécanismes de contrôle et l’aveuglement de l’Afrique face à la question maritime font de l’industrie une cible pour la corruption.

L’étendue de la corruption dans le secteur maritime africain a provoqué la surpêche, la raréfaction des ressources et une hausse de la criminalité, les communautés côtières étant les plus touchées. Deux procès qui se déroulent actuellement en Afrique australe mettent en lumière le phénomène : l’un dans le cadre du scandale « Fishrot » (« poisson pourri ») en Namibie, et l’autre concernant le scandale dit de la « dette cachée », au Mozambique. Ces deux affaires impliquant des parties au niveau international, leurs répercussions vont bien au-delà des frontières des pays concernés.

Ces procès révèlent l’écheveau complexe que composent la corruption, le blanchiment d’argent, les flux financiers illicites et les comptes extraterritoriaux, associés à la complicité de multinationales et de représentants gouvernementaux. Plus important encore, ces actions en justice montrent que le secteur maritime a désespérément besoin d’améliorer ses structures de gouvernance et ses systèmes de responsabilité et de transparence.

La plupart des pays africains sont peu sensibilisés aux questions maritimes. Ce profond désintérêt pour le secteur en fait une cible idéale pour la corruption, car les mécanismes de contrôle sont inefficaces. Selon l’Indice de sécurité maritime développé par Stable Seas, l’état de droit dans la majorité des pays africains est d’un niveau médiocre en raison de la faiblesse des pouvoirs judiciaire et législatif. S’y ajoutent la mauvaise gouvernance dans les zones côtières reculées et le manque de capacité à surveiller l’ensemble du littoral.

La gouvernance maritime est définie comme la capacité d’un gouvernement à contrôler efficacement son domaine maritime par des interventions et des partenariats avec des acteurs privés, non gouvernementaux et internationaux. Cette pluralité d’acteurs fait des industries maritimes et portuaires des secteurs particulièrement propices à la corruption. Une étude réalisée en 2019 par le Groupe de lutte contre le blanchiment d’argent en Afrique de l’Est et australe a identifié les domaines du transport et du stockage comme étant sans doute les plus exposés à la corruption.

L’intervention d’acteurs privés et publics rend les industries maritimes et portuaires vulnérables aux pots-de-vin

Il existe plusieurs formes de fraude et de corruption dans le secteur maritime. La sous-facturation est un type de fraude courant dans lequel l’importateur demande à l’exportateur de facturer un montant inférieur au prix de vente réel d’une marchandise.

La corruption peut impliquer des paiements de facilitation aux agents des douanes afin de laisser passer des marchandises illégales ou de fermer les yeux sur des exigences procédurales spécifiques. Des pots-de-vin sont également versés pour obtenir des contrats, affecter l’attribution de quotas ou influencer les appels d’offres. Ces formes de grande corruption impliquent souvent des entreprises internationales et des fonctionnaires gouvernementaux et sont très répandues dans le secteur de la pêche.

Selon l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, la plupart des pays n’ont même pas pris l’initiative de procéder à une évaluation de base du risque de corruption dans leur secteur de la pêche, ce qui les rend vulnérables.

C’est ce qui ressort du scandale Fishrot en Namibie, où un ancien ministre du gouvernement a exigé des dessous-de-table en échange d’un contrat de pêche. Des membres du parti au pouvoir en Namibie ont acheminé des millions de dollars en échange de l’attribution de quotas de pêche. En Afrique du Sud, de hauts fonctionnaires du ministère de la Pêche ont été accusés de collusion avec une société privée, pour l’attribution d’appels d’offres pour le traitement et l’exportation d’ormeaux.

Peu de pays ont évalué le risque de corruption dans le secteur de la pêche

Des allégations de corruption ont également été formulées à l’encontre du ministère sud-africain des Ressources minérales et de l’Énergie pour l’attribution de l’appel d’offres du programme d’approvisionnement en producteurs d’électricité indépendants pour l’atténuation des risques, d’une valeur d’environ 225 milliards de rands. Dans sa plainte contre le ministère, DNG Energy a évoqué des pratiques relevant de la corruption grâce auxquelles son rival Karpowership SA a pu être désigné comme soumissionnaire privilégié, obtenant la part majoritaire de ce programme de 2 000 MW. Après le rejet de l’affaire par le tribunal, le comité de portefeuille du Parlement a abandonné son enquête.

Le scandale de la dette cachée au Mozambique – centré sur l’industrie maritime – a dépassé toutes les affaires de corruption précédentes dans le pays par son ampleur et son impact. Il impliquait trois entreprises qui ont obtenu des prêts internationaux en raison de leur rôle dans le secteur maritime. Ces prêts ont coûté au Mozambique des dépenses hors budget d’environ 2,2 milliards de dollars, ce qui a porté sa dette à des niveaux insoutenables.

Selon le ministère américain de la Justice, les commissions occultes et les pots-de-vin versés dans le cadre de projets maritimes en 2018 se sont élevés à plus de 200 millions de dollars US. Parmi les personnes inculpées figuraient deux dirigeants d’une entreprise de construction navale, trois anciens hauts fonctionnaires mozambicains et trois anciens banquiers d’affaires basés à Londres.

Outre les coûts financiers, le scandale a porté atteinte à la réputation du Mozambique en tant que destination d’investissement et a entraîné la dilapidation de fonds qui auraient dû servir à améliorer l’éducation et les moyens de subsistance. Le scandale Fishrot en Namibie a également terni l’image de ce dernier. Les pots-de-vin et les ristournes ont privé les communautés de pêcheurs locales de bénéfices économiques potentiels.

Les contrats maritimes souffrent du manque de transparence du secteur

En raison du manque de transparence du secteur, les contrats maritimes lucratifs sont particulièrement vulnérables. Ce point nécessite une attention particulière qui doit être accompagnée de mesures plus générales de lutte contre la corruption. Les gouvernements africains qui ont signé la Convention des Nations unies contre la corruption doivent passer à l’étape supérieure et la mettre en œuvre. C’est essentiel pour établir des systèmes de passation de marchés fondés sur l’ouverture et la responsabilité.

Il convient d’améliorer les systèmes de déclaration d’actifs financiers afin de faciliter l’examen du patrimoine des agents publics. Les pays doivent également adopter des « cadres de propriété effective » qui permettent d’enquêter sur les actifs détenus par des particuliers ou des entreprises qui font affaire avec l’État. Et bien sûr, les personnes de haut niveau qui sont suspectées doivent être poursuivies pour démanteler les réseaux criminels et avoir un effet dissuasif.  

La sensibilisation à la gouvernance maritime devrait faire partie de la formation des fonctionnaires à la lutte contre la corruption et les pots-de-vin. La communication électronique et le passage au numérique, qui éliminent le facteur humain, peuvent permettre de réduire les possibilités de fraude de manière concrète. Dans le secteur maritime, notamment dans les ports, le passage au numérique pourrait améliorer la gouvernance et l’efficacité, même si celle-ci s’accompagne de nouveaux risques.

Ces affaires qui se déroulent en Afrique australe montrent que le secteur maritime africain est exposé à la corruption et à la fraude à l’échelle transnationale. Les acteurs publics et privés doivent examiner et renforcer leurs structures de gouvernance maritime afin de réduire les possibilités de corruption.

Richard Chelin, chercheur principal, ENACT, ISS, et Denys Reva, chercheur, Enjeux maritimes, ISS

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