Changement climatique et violence en Afrique : pas de temps à perdre

L’UA est la première instance internationale à s’attaquer de front au problème, et elle a besoin d’un soutien à l’échelle mondiale.

Le changement climatique fait peser de graves menaces sur la sécurité en Afrique. Les organisations mondiales, les communautés régionales et les pays le reconnaissent de plus en plus, mais cela ne suffit pas : il faut agir de toute urgence.

En mars 2021, le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’Union africaine (UA) a publié un communiqué sans précédent consacré aux effets du changement climatique sur la paix, la sécurité et la stabilité en Afrique. C’était le premier du genre à aborder spécifiquement les menaces que le changement climatique fait peser sur la sécurité et à en appeler à des actions spécifiques, notamment la création d’un Fonds spécial de l’UA pour le changement climatique.

En avril, le président des États-Unis, Joe Biden, a convoqué un Sommet des dirigeants sur le climat auquel ont participé 40 chefs d’État du monde entier, notamment ceux du Nigeria, de l’Afrique du Sud, de la République démocratique du Congo, du Gabon et du Kenya. La réunion portait sur la réponse aux défis de sécurité mondiale que pose le changement climatique.

Début mai, le Forum de Stockholm sur la paix et le développement de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI) a inclus une session sur le changement climatique. Des dirigeants, des chercheurs et des professionnels du monde entier ont débattu de l’importance de réduire les risques liés à la sécurité climatique dans le maintien et la consolidation de la paix et de tenir compte de la perspective climatique dans la lutte contre l’extrémisme violent.

Des études ont établi un lien entre un réchauffement de 0,5 °C et une augmentation de 10 à 20 % du risque de conflit meurtrier

Il n’existe pas de lien de causalité direct et facile à définir entre le changement climatique et les conflits. Néanmoins, on constate qu’il exacerbe les risques pour la sécurité, y compris les conflits violents. En ce sens, le changement climatique est un « multiplicateur de risques », un « amplificateur de fragilité » ou un « catalyseur de conflits ». En Afrique, où il existe déjà une confluence de risques, il peut déclencher l’insécurité et la violence.

Des études ont établi un lien entre une hausse de la température mondiale de 0,5 °C et une augmentation de 10 à 20 % du risque de conflit meurtrier. En tant que multiplicateur de menaces, le changement climatique expose et exploite les vulnérabilités existantes. Il aggrave les tensions préexistantes, la mauvaise gouvernance et d’autres facteurs socioéconomiques. Ce phénomène est évident dans certaines parties du Sahel, du bassin du lac Tchad, de la Corne de l’Afrique et d'Afrique australe.

Cependant, les menaces climatiques qui vont accroître la violence dans une région peuvent ne pas avoir le même effet dans une autre. Le Zimbabwe, par exemple, est extrêmement vulnérable aux effets du changement climatique mais ne présente pas de risque élevé de conflit armé.

Quatre-vingt pour cent des opérations de paix actuelles menées par les Nations unies sont déployées dans les pays classés comme les plus exposés au changement climatique. Toutes les missions africaines les plus importantes sont déployées dans des zones sensibles au changement climatique, notamment le Soudan du Sud, le Mali, la République démocratique du Congo, la République centrafricaine, le Soudan et la Somalie.

Un rapport récent du SIPRI explique en détail les conséquences des changements environnementaux sur la violence et l’insécurité au Mali. Le Mali accueille la plus grande mission de maintien de la paix des Nations unies au monde. La présence de groupes extrémistes armés et de milices ethniques, la corruption du gouvernement, le coup d’État militaire et les violences intercommunautaires sont autant de facteurs qui contribuent à la détérioration de la situation.

Au Mali, les groupes extrémistes violents recrutent plus facilement pendant et après les périodes de faibles précipitations

Le Mali est l’un des pays les plus pauvres du monde. La plupart des Malien(ne)s dépendent des ressources naturelles pour leur subsistance. L’agriculture, la pêche, la sylviculture et le pastoralisme emploient près de 80 % de la population active nationale. Tous ces secteurs dépendent des précipitations, qui deviennent de plus en plus irrégulières.

L’irrégularité des précipitations et la dégradation des sols réduisent fortement les rendements agricoles. Avec un taux de croissance démographique annuelle de 3 %, la concurrence pour des ressources de plus en plus rares s’intensifie et contribue aux conflits intra-communautaires. En raison de conflits endémiques entre agriculteurs et éleveurs au Mali et dans tout le Sahel, le risque d’aggravation est élevé. Par ailleurs, les systèmes traditionnels de gestion des conflits se sont effondrés.

La gouvernance et l’état de droit sont faibles au Mali, et les communautés se sentent économiquement marginalisées. Les groupes extrémistes exploitent cette situation en proposant des alternatives à la justice et un accès aux ressources naturelles afin de recruter parmi les communautés. Il a été prouvé que ces extrémistes recrutent plus facilement pendant et après les périodes de faibles précipitations.

Des schémas similaires sont apparus en Somalie, où une mission d’assistance mandatée par les Nations unies et dotée d’un conseiller en matière de climat et une mission de maintien de la paix de l’UA s’efforcent toutes deux de stabiliser le pays. La concurrence pour le pouvoir politique et économique converge avec les luttes pour le contrôle des terres et de l’eau. L’élevage et les cultures représentent environ 75 % du PIB du pays et 93 % du total des exportations. Ces deux secteurs se retrouvent fragilisés par des cycles de sécheresse et d’inondations toujours plus fréquents et plus graves.

Cette concurrence accrue exacerbe les tensions existantes. Des groupes extrémistes tels qu’Al-Shabaab utilisent l’eau et les ressources naturelles comme outils de contrôle. Al-Shabaab est accusé de détériorer des berges de fleuves, d’imposer des taxes sur le charbon de bois et d’empoisonner des puits.

Au Mali, les groupes extrémistes violents recrutent plus facilement pendant et après les périodes de faibles précipitations

Historiquement, les conflits violents étaient le principal moteur des déplacements forcés en Somalie et dans toute la région. En 2020, cependant, 79 % des personnes déplacées en Somalie ont cité la sécheresse ou les inondations comme étant la principale cause de leur déplacement. Les déplacements à grande échelle alimentent les tensions communautaires et ethniques existantes.

Bien qu’elles ne produisent que très peu d’émissions de carbone, plusieurs régions d’Afrique subissent les impacts du changement climatique parmi les pires qui soient. Les stratégies de résilience climatique sont cruciales. Cependant, la faiblesse des gouvernements et le manque d’infrastructures se conjuguent pour entraver ces plans, ce qui implique que les effets du changement climatique frappent plus durement encore.

Dans ce vide, les acteurs humanitaires et les missions de maintien de la paix peuvent apporter leur aide. Toutefois, les menaces climatiques leur compliquent également la tâche. De plus en plus, les phénomènes météorologiques extrêmes affectent leur mobilité et entravent leur capacité de réaction.

Certains développements sont néanmoins prometteurs : l’engagement du CPS et du Conseil de sécurité des Nations unies, les récentes déclarations des dirigeants du monde entier lors du Sommet sur le climat et la nomination d’un conseiller en matière de climat pour la Mission d’assistance des Nations unies en Somalie. Ces évolutions doivent s’accompagner d’actions. À mesure que l’attention s’accroît, les États et institutions africains doivent saisir l’occasion pour élaborer des stratégies axées sur des solutions locales.

La mesure dans laquelle les menaces climatiques, les conflits et les déplacements se traduisent par de la violence dépend du contexte, ce qui signifie qu’il est vital d’avoir des réponses localisées. Lorsque des solutions sont élaborées et mises en œuvre, les personnes dont la vie et les moyens de subsistance sont perturbés doivent impérativement être impliquées. Le processus doit commencer par la sensibilisation des populations locales et le recours au leadership communautaire.

Au niveau international, plusieurs engagements financiers en faveur de l’atténuation des effets du changement climatique et l’adaptation ne sont pas tenus. Il convient d’agir et de passer de la théorie à la pratique, de la rhétorique à l’action concrète.

Aimée-Noël Mbiyozo, chercheuse principale consultante, Migration, ISS Pretoria, et Ottilia Anna Maunganidze, cheffe de projets spéciaux, ISS

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