Ce que veut l’Afrique et ce que doit faire l’Occident

En général, la démocratie suit le développement : les amis de l’Afrique devraient donc viser une croissance rapide en favorisant une meilleure gouvernance.

Si l’Occident souhaite se positionner en Afrique dans une perspective d’avenir – et par rapport à la Chine –, il devrait se concentrer sur la bonne gouvernance au lieu de réclamer la démocratie libérale et les droits de l’homme à cor et à cri comme s’il s’agissait de solutions miracles.

En effet, la démocratie n’est pas en soi la solution aux problèmes de développement de l’Afrique. En réalité, dans les pays peu développés, on remet en cause la contribution de la démocratie à la croissance. Ce dont les pays pauvres ont besoin, c’est d’une gouvernance efficace, axée sur les résultats, et des droits de première génération.

Il ne s’agit pas ici de remettre en question la démocratie. Le respect des droits de l’homme de la première à la quatrième génération et la démocratie sont un bien mondial indéniable. Chacun aspire à l’épanouissement personnel et à la liberté de choix. Mais compenser l’insécurité et l’absence de capacités des gouvernements – les deux étapes initiales de la formation d’un État – par plus de démocratie ne semble pas répondre entièrement au problème.

La démocratie est importante et il ne fait aucun doute que l’Afrique a besoin d’accéder aux droits fondamentaux. Il s’agit de la « première génération » de droits civils et politiques, tels que la tenue d’élections régulières, la limitation du nombre de mandats, l’existence d’une opposition forte et engagée, la liberté d’expression et des institutions fortes pour faire respecter l’état de droit. Mais surtout, nous avons besoin de dirigeants qui se concentrent sur le développement et accordent la priorité aux besoins de leur population.

Plus de démocratie libérale ne compense pas l’absence de stabilité ni les faibles capacités de l’État

L’État africain est une conception imposée de l’extérieur. Il ne repose pas sur des fondements de sécurité stable, c’est-à-dire la capacité à contrôler un espace territorial légalement reconnu, dans lequel dominerait une forme de gouvernement unique.

Au lieu de passer par les trois transitions classiques de la stabilité, puis par le renforcement des capacités pour devenir à terme plus inclusifs ou démocratiques, on dit aux États africains (et beaucoup y croient) que la démocratie résoudra tous leurs maux. Mais en l’absence de stabilité et de capacités étatiques solides, pousser à la démocratie n’est pas une solution et peut produire les effets inverses. D’aucuns, comme Adam Przeworski et Robert Barro, affirment qu’une démocratisation précoce alimente la corruption et le népotisme.

Renforcer la démocratie au sens de la démocratie libérale ne compense pas la stabilité fragile et les capacités limitées de l’État en Afrique. Or, dans ces deux domaines, le continent est à la traîne.

Cela reviendrait à dire que lorsque l’Afrique sera devenue un membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies ou du G20, cela fera pencher la balance du développement en sa faveur. Alors que, par exemple, les réformes des institutions financières internationales et la réduction des risques liés aux investissements du secteur privé feraient une bien plus grande différence.

Si la démocratie mène à la bonne gouvernance, qu’en est-il des 35 % d’Africains qui vivent dans l’extrême pauvreté ?

Ce qui ne signifie pas qu’il faille renoncer aux fondamentaux de la démocratie électorale, en particulier à des élections libres et équitables, à la liberté d’expression et à la séparation des pouvoirs. La question est plutôt de savoir quelle démocratie est la plus appropriée, eu égard au faible développement de nombreux États africains. En outre, les partenaires du développement devraient faire appel à la bonne gouvernance plutôt que de se focaliser sur la démocratie.

La démocratie et la bonne gouvernance se recouvrent en grande partie, la démocratie étant considérée comme le meilleur moyen (ce qui se vérifie souvent) d’assurer la bonne gouvernance à long terme. Mais avant d’y parvenir, l’Afrique doit faire face aux besoins à court et à moyen termes, alors que 35 % des habitants du continent vivent dans l’extrême pauvreté et que les revenus moyens africains ne représentent que 74 % de la moyenne du reste du monde.

Depuis la fin de la Guerre froide, l’Occident fait pression pour l’instauration de la démocratie et des droits de l’homme. L’Afrique a connu un essor démocratique, à la fois en quantité et en qualité, dans les années qui ont suivi la fin de la Guerre froide, et ce, en grande partie grâce aux opportunités qu’offrait la fin de la compétition entre les superpuissances sur le continent, en Afrique australe et dans la Corne de l’Afrique.

Préoccupés par l’écart qui se creuse entre l’Afrique et le reste du monde, les grands pays occidentaux ont fait pression en faveur des Objectifs du Millénaire, puis des Objectifs de développement durable (ODD). Mais les ODD perdent déjà de leur élan alors que, selon les termes du Secrétaire général des Nations unies, António Guterres, nous les voyons disparaître derrière nous.

La croissance a été débloquée grâce aux matières premières, non par la démocratie ou la géopolitique

En fin de compte, ce ne sont ni les niveaux de démocratie ni la géopolitique qui permettent de débloquer la croissance en Afrique. Au cours des premières années de ce siècle, c’est plutôt le supercycle des matières premières qui a amélioré les perspectives de développement de l’Afrique.

Avec la montée en puissance de la Chine, le monde est à nouveau secoué par la compétition entre les grandes puissances, et l’Occident ne figure pas en bonne place. L’aide, les investissements et le soutien de l’Occident s’accompagnent souvent de demandes d’amélioration de certains droits. Or, la Chine propose de commercer, de construire des infrastructures et d’investir – avec, il est vrai, des clauses de confidentialité, des taux d’intérêt élevés et peu d’allègement de la dette. La Chine est déjà le premier partenaire commercial de l’Afrique et devrait voir sa position confortée à l’avenir.

L’Asie est devenue l’épicentre de la future croissance économique mondiale. Une croissance plus rapide en Afrique pourrait suivre, mais la fenêtre d’opportunité est en train de se refermer en raison, principalement, de la rapidité de sa croissance démographique, de l’impact négatif des technologies sur la main-d’œuvre et des effets du changement climatique, dont les pays les plus pauvres souffriront le plus.

Si la démocratie et l’ensemble des droits de l’homme suivent généralement le développement, les amis de l’Afrique doivent se concentrer sur les aspects de la gouvernance qui peuvent accélérer la croissance. Avec le temps, cela se traduira par une démocratie renforcée et généralisée. Faire de la bonne gouvernance une priorité est également une exigence de la Chine et constitue un intérêt commun pour la collaboration en matière de soutien et d’investissement en Afrique.

Jakkie Cilliers, président du Conseil d’administration de l’ISS et responsable du programme Afriques futures et innovation, ISS Pretoria

Cet article a été publié pour la première fois dans Africa Tomorrow.

Image : © Eric Nathan / Alamy Stock Photo

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