Ce monde en détresse peut-il venir en aide à l’Afrique ?

L’abandon du continent au COVID-19 aura des répercussions dans le monde entier.

L’ennemi est invisible mais mortel. À cause de lui, cette année, l'économie mondiale devrait se contracter de 1,8 %, l'économie américaine de 6,2 % et celle de l'Europe de 9 %, selon Goldman Sachs. La Chine ne connaîtra qu’une faible croissance de 3 %, (contre 6,1 % en 2019) et l'économie sud-africaine devrait se contracter de 4 %. L'économie de l’Afrique subsaharienne dans son ensemble devrait modestement croître de 1,5 %.

D’après l'économiste Ricardo Hausmann de Kennedy School de l'Université de Harvard, en ce qui concerne les pays africains et les autres pays en développement, « un malheur n’arrive jamais seul ». Ces pays ont été frappés par des chocs simultanés : la pandémie du COVID-19, évidemment, mais aussi l’effondrement de l'accès aux revenus étrangers en raison de la chute des prix des matières premières, des revenus du tourisme et probablement des transferts de fonds, ainsi que l’effondrement de l'accès aux marchés des capitaux.

En plus de ces difficultés, des responsables ont déclaré à ISS Today qu’il semble aujourd’hui peu probable que les échanges commerciaux de la Zone de libre-échange continentale africaine débutent le 1er juillet, comme prévu.

En Afrique, la pandémie ne s’est pas encore pleinement propagée. Les chiffres les plus récents dénombrent près de 6 400 infections et 236 décès sur le continent. Mais les répercussions sur l’Afrique s’annoncent plus sérieuses que partout ailleurs, en raison du manque de tests de dépistage disponibles. Le philanthrope chinois Jack Ma a toutefois fait don de 1,5 million de ces tests à l'Union africaine (UA) la semaine dernière, ainsi que de 100 tonnes de matériel de prévention et de contrôle des infections.

La principale crainte des épidémiologistes est que le virus, jusqu'à présent largement confiné aux personnes de retour d'Europe, de Chine et d'autres régions durement touchées, ne s'échappe de ce foyer d’infection et se propager rapidement dans les habitats informels surpeuplés, submergeant rapidement des centres de santé sous-équipés.

Il est peu probable que les échanges commerciaux de la Zone de libre-échange continentale africaine débutent le 1er juillet

Cependant, les projections demeurent imprécises. La semaine dernière, l'Imperial College de Londres a publié des scénarios prévisionnels pour l'Afrique subsaharienne, projetant entre 2,4 millions de décès, en cas d’inaction des gouvernements, et 298 000 décès, dans l’hypothèse où tous les gouvernements adopteraient suffisamment en avance des mesures radicales, notamment le confinement total. En raison de la jeunesse de sa population et des indications selon lesquelles les personnes âgées sont plus susceptibles de décéder du virus du COVID-19, l’Afrique présente la projection de taux de mortalité la plus optimiste par rapport aux autres régions du monde,

Bien entendu, les prévisions d’Imperial College pourraient se révéler surestimées. Ses chercheurs reconnaissent que leurs prévisions restent d’ordre général, car on ignore encore beaucoup sur le comportement du coronavirus dans différents environnements.

Néanmoins, les économies africaines sont déjà durement touchées, directement du fait des coûts médicaux et indirectement du fait de l'impact économique du virus aux échelles nationale et internationale. Comment l'Afrique affrontera-t-elle cette situation ? Dans les pays plus riches, des philanthropes ont déjà offert leur soutien. En Afrique du Sud par exemple, Patrice Motsepe, Johann Rupert et Nicky Oppenheimer ont promis 1 milliard de rands chacun (soit un peu plus de 50 millions de dollars) tandis que Naspers s’est engagé à verser 1,5 milliard de rands (soit près de 80 millions de dollars). Au Nigeria, Aliko Dangote et Femi Otedola ont respectivement promis 200 millions et 1 milliard de nairas (soit plus de 550 000 dollars et 2 700 000 dollars).

Les pays les plus prospères ont également introduit de solides mesures de soutien à l’économie. C’est notamment le cas du Botswana, qui a garanti les prêts des banques commerciales et promis de verser des subventions salariales aux entreprises les plus touchées. Mais la plupart des autres pays d'Afrique se trouveront dans l’obligation de recourir à l'aide de la communauté internationale.

Ricardo Hausmann, d’ordinaire plutôt conservateur sur le plan budgétaire, a conseillé aux pays africains de renoncer à court terme aux concepts de prudence budgétaire, leur a suggéré de suspendre toutes leurs dépenses d'investissement et d'emprunter ce qu'ils pouvaient pour sauver leurs populations et leurs économies.

Les prévisions démographiques concernant la pandémie en Afrique restent un mystère

La Nouvelle banque de développement des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) applique d’ores et déjà ce principe. En effet, elle a temporairement suspendu la règle qu’elle appliquait d’ordinaire, consistant à octroyer des prêts uniquement pour le développement d’infrastructures. Elle vient d'accorder le plus gros prêt de son histoire (1 milliard de dollars) à la Chine pour l’achat d’équipements et de services médicaux, et s’apprête à faire de même pour l'Afrique du Sud.

Sur le continent, les Centres Africains de Contrôle et de Prévention des Maladies sont en première ligne. Ils fournissent une formation et des équipements complets aux pays les plus nécessiteux. La semaine dernière, les ministres africains des Finances ont lancé un appel au Fonds monétaire international, à la Banque mondiale, à l'Union européenne, à la Banque africaine de développement, à la Banque africaine d'import-export et aux banques régionales de développement, leur demandant de diriger la réponse de la communauté internationale, qui devrait fournir une enveloppe financière d’un montant de 100 milliards de dollars pour venir en aide au continent.

Il s’agirait d’un soutien budgétaire, d’une extension des facilités de crédit et d’une exonération immédiate de tout versement d'intérêts sur l'ensemble de la dette, estimée à 44 milliards de dollars pour 2020, suivi d’une éventuelle prorogation de ces mesures.

Les ministres ont également demandé une aide pour le secteur privé, incluant notamment la suppression immédiate de tout versement d'intérêts et l'injection de liquidités par les banques centrales afin d’éviter les fermetures d’entreprise et les pertes d’emplois. Ils ont par ailleurs réclamé une aide financière pour soutenir les systèmes de santé, ainsi que l'assouplissement des fermetures des frontières et des restrictions à l'exportation afin de maintenir les livraisons de médicaments et de produits alimentaires essentiels.

Jeudi dernier, le président sud-africain Cyril Ramaphosa, en sa qualité de président de l'UA, a présidé un sommet virtuel du Bureau de l'UA qui a convenu de former cinq groupes de travail régionaux visant à coordonner la réponse de l'Afrique au COVID-19, et a également soutenu l'appel des ministres des Finances. Les cinq pays présents (l'Afrique du Sud, l'Égypte, le Mali, le Kenya et la République démocratique du Congo) ont établi un fonds africain de lutte contre le coronavirus qu’ils ont immédiatement doté de 20 millions de dollars.

Le COVID-19 n'a pas encore pleinement frappé l'Afrique, mais ses économies sont déjà très touchées

Lors d'un sommet virtuel du G20 sur la réponse au coronavirus, plus tard le même jour, M. Ramaphosa a lancé un appel à l'aide directement à ses pairs, en réclamant un « plan de relance économique solide » pour les économies africaines. Il a déclaré aux journalistes que bien qu'aucune décision « concrète » n'avait été prise pour étayer cet appel de l'Afrique, un certain nombre de pays partageaient « ce sentiment, ces opinions et cette position », en particulier l'Allemagne, le Canada, la France et la Russie.

John Kirton et Brittaney Warren, du Centre de recherche sur le G20, ont critiqué cette plateforme multilatérale, qui représente les plus grandes économies du monde, pour son incapacité à « s’engager concrètement à alléger la dette des plus pauvres, de manière à octroyer aux plus démunis les fonds nécessaires pour les soins de santé dont ils ont cruellement besoin ».

Les conséquences du coronavirus pourraient être aggravées par certains dirigeants à tendance autocratique qui pourraient utiliser la pandémie comme prétexte pour reporter des élections. De manière plus positive, d'autres pays (comme l'Afrique du Sud et le Botswana) semblent profiter de la crise pour mettre en œuvre des réformes économiques structurelles nécessaires mais politiquement impopulaires.

Mobiliser l'aide de la communauté internationale en temps de crise peut résonner comme une rengaine bien connue sur le continent africain. Pourtant, il s'agit d'une véritable urgence à laquelle chacun doit participer, et rapidement.

En laissant l’Afrique succomber au coronavirus, le monde entier en paiera le prix, comme l'a déclaré cette semaine à Foreign Policy Colin Coleman, chercheur principal au Jackson Institute for Global Affairs de l'Université de Yale. L'effondrement des économies pourrait déclencher ou aggraver les risques d'instabilité sociale et politique, y compris le terrorisme. Cela se répercuterait au-delà des frontières de l'Afrique, notamment par le biais d'une émigration galopante.

La question est de savoir si un monde en crise, luttant déjà contre une implosion économique causée par le COVID-19, mettra également des ressources à disposition pour sauver l'Afrique.

Peter Fabricius, consultant ISS

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Crédit photo : Peter Kováč/Alamy Stock Photo

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