Catastrophes climatiques dans le monde : l’Afrique peut-elle se démarquer ?

Face à la confluence des crises économique, sécuritaire et climatique mondiales, que fera l’Afrique : subir ou agir pour son avenir ?

Le Forum économique mondial affirme que la « crise du coût de la vie » est la principale menace pour l’économie mondiale en 2023. Dans ce contexte, le positionnement des grandes puissances en réponse à la guerre en Ukraine indique la possibilité d’un nouvel ordre mondial. Mais cette analyse ne tient pas, au vu des réalités.

Le véritable catalyseur de la conjonction de ces crises est l’impact dévastateur du changement climatique sur l’environnement, l’économie, la société et la sécurité. L’Afrique peut-elle résister aux chocs et transformer l’adversité en opportunité pour un nouveau positionnement mondial ?

En décembre 2021, les pays africains membres (les A3) du Conseil de sécurité des Nations unies ont rédigé, avec la collaboration du Niger et de l’Irlande, une résolution historique sur les liens entre le climat et la sécurité. Cette proposition de résolution a reçu un soutien important, mais n’a pas été adoptée suite au veto de la Russie. L’Inde s’y est également opposée et la Chine s’est abstenue. Néanmoins, les A3, à savoir le Gabon, le Ghana et le Mozambique, se sont engagés à poursuivre dans cette voie.

Trois questions cruciales se posent. Quel effet le dialogue mondial sur le climat peut-il avoir sur le développement ? Quelles sont les répercussions de la crise climatique pour l’ordre mondial actuel ? Et comment l’urgence climatique mondiale affectera-t-elle l’architecture de sécurité en Afrique et dans le monde ?

Le lien entre climat et sécurité humaine crée des dilemmes pour le développement de l’Afrique

L’Afrique a développé une façon de marquer de son empreinte la question du changement climatique. Par l’intermédiaire du Maroc, de l’Afrique du Sud et de l’Égypte, le continent a accueilli plusieurs fois la Conférence des parties (COP) de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Plusieurs autres pays africains ont activement participé aux négociations sur le climat, et le Groupe des négociateurs africains a toujours fait partie du paysage des COP.

La gouvernance climatique est, elle aussi, prometteuse. Le chef de l’État kényan William Ruto préside actuellement le Comité des chefs d’État et de gouvernement africains sur le changement climatique. Trois commissions sur le climat (Sahel, États insulaires et Congo) ont été lancées par les dirigeants africains lors de la COP de 2016, et certaines communautés économiques régionales ont mis en place des structures actives qui reflètent leur engagement et leur liberté de ton sur la question.

L’Afrique fait également preuve de leadership face à la menace climatique. Le Conseil de paix et de sécurité de l’UA a organisé une session spéciale en 2021 pour examiner le lien entre le changement climatique et la sécurité. Lors de la COP27 à Charm el-Cheikh, le projet Climate Responses for Sustaining Peace a été lancé, sous l’égide de la présidence égyptienne de la COP27.

Dans le même temps, il a été reconnu de manière tacite que l’Afrique subit démesurément le fardeau du changement climatique. Elle contribue peu aux émissions de gaz à effet de serre en général, et au CO2 en particulier. Pourtant, l’on observe partout en Afrique les effets dévastateurs des catastrophes dues au changement climatique. Les inondations, les sécheresses, les tempêtes, les canicules et les incendies de forêt se sont intensifiés. Ces événements extrêmes, autrefois rares, sont maintenant observés avec une certaine régularité.

Et si le monde dédommageait l’Afrique pour ses ressources fossiles inexploitées ?

Le lien entre le risque climatique et la sécurité humaine, de plus en plus étayé par des données, crée des dilemmes pour la planification du développement de l’Afrique. La question des 10 000 milliards de dollars US d’actifs de combustibles fossiles dont dispose l’Afrique en est un exemple notable. Avec la transition vers une économie à faible émission de carbone, ces actifs ne peuvent plus servir d’appui à une croissance continentale, à moins d’être exportés hors du continent. Cependant, cela ne ferait que délocaliser l’origine des émissions des gaz à effet de serre.

Or, il existe une troisième voie : et si le monde dédommageait l’Afrique pour ses richesses fossiles inexploitées ? Ce « nouveau marché du carbone » paraît logique si l’on considère que l’Afrique subit de plein fouet l’accumulation des gaz à effet de serre émis par les pays du Nord et par les pays en développement rapide comme la Chine et l’Inde. Ces gaz ont entraîné une augmentation de 1,1 oC par rapport aux niveaux préindustriels, ce qui a précipité les catastrophes climatiques dans le monde entier.

La gestion des catastrophes, combinée aux pertes et aux dommages, représente une demande déjà insoutenable pour les maigres finances de l’Afrique. En l’absence de solution rapide, le continent devra se résoudre à exploiter ses ressources en combustibles fossiles et à réinjecter les revenus dans les objectifs de développement durable afin de maintenir la pauvreté et la décroissance à distance.

Le changement climatique souligne la nécessité de répondre à une question essentielle : l’ordre mondial et son système financier sont-ils adaptés ? Le Secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a déclaré, lors de la Conférence annuelle Nelson Mandela 2020, que la véritable pandémie consistait dans les inégalités mondiales, renforcées par une gouvernance et une architecture financières conçues pour maintenir la domination des pays développés.

Proposer des financements abordables pour un développement bas carbone

La Première ministre de la Barbade, Mia Mottley, a adopté la même position lorsque, dans son discours à la COP27, elle a appelé à une restructuration fondamentale du système financier mondial, dont l’initiative de Bridgetown pourrait être le vecteur. Cette initiative a fait sensation lors des réunions de Bretton Woods au printemps de cette année. Un monde à faible émission de carbone et résilient au changement climatique implique un accès à des financements abordables pour l’atténuation du changement climatique et l’adaptation à ses effets. L’absence d’un tel financement entraînera une catastrophe climatique.

La nécessité de réformer le système multilatéral continue de s’imposer à nous. En raison de la structure déséquilibrée du Conseil de sécurité des Nations unies, la plupart des pays en développement sont sous-représentés et, à l’exception de la Chine, ils ne disposent d’aucun siège permanent. À l’instar du système financier mondial, l’ONU doit accélérer sa réforme pour représenter le monde du xxie siècle, tant en ce qui concerne la répartition du pouvoir que les programmes dominants d’aujourd’hui.

Les choix dans les domaines de la justice humaine, le climat et l’environnement doivent apporter la paix et la stabilité, mettre fin aux conflits violents et à l’extrémisme, et reconnaître que nous avons contracté une dette intergénérationnelle massive.

Alors que faire ? L’Afrique a besoin d’une impulsion de la base vers le sommet pour mettre en place un programme mondial plus solide. Au niveau international, il est essentiel de poursuivre des réformes suffisantes pour accélérer un développement durable résilient face au climat. Il faut trouver une convergence entre les aspirations en matière de changement climatique et les objectifs de développement durable. Cela permettra de tracer des voies de développement à faible émission de carbone vers l’accès universel aux besoins fondamentaux, la réduction de la pauvreté et la réduction des inégalités dans le monde.

Dhesigen Naidoo, chercheur senior associé, ISS Pretoria

Image : © Green Energy Africa Summit

Les droits exclusifs de re-publication des articles ISS Today ont été accordés au Daily Maverick en Afrique du Sud et au Premium Times au Nigeria. Les médias basés en dehors de l'Afrique du Sud et du Nigeria qui souhaitent republier des articles et pour toute demande concernant notre politique de publication, veuillez nous envoyer un e-mail.

Partenaires de développement
L'ISS remercie les membres de son Forum de partenariat pour leur précieux soutien, notamment la Fondation Hanns Seidel, l'Union européenne, l’Open Society Foundations, ainsi que les gouvernements du Danemark, de l'Irlande, de la Norvège, des Pays-Bas et de la Suède.
Contenu lié