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Accélérer, prolonger ou abandonner ? Le dilemme de l’Afrique face aux ODD

Le Sommet de l’avenir des Nations Unies prévu ce mois devra admettre que l’Afrique n’atteindra pas la plupart des objectifs de développement durable.

Alors que le Sommet de l’avenir des Nations Unies approche, l’Afrique se trouve à un tournant décisif. À six ans de l’échéance de 2030, il est peu probable que le continent atteigne les objectifs de développement durable (ODD) fixés par l’ONU.

Doit-elle redoubler d’efforts et accélérer la cadence, essayer d’allonger le calendrier, ou abandonner complètement certains objectifs et canaliser les ressources vers les priorités des différents pays ?

Sur les 144 cibles des ODD, seulement 10 pourraient être atteintes d’ici 2030. Pour 106 d’entre elles, une action plus rapide est indispensable, tandis que 28 sont en régression.

Des progrès notables ont été faits dans les domaines des infrastructures (ODD n° 9, notamment avec l’expansion du réseau mobile) et de l’éducation (ODD n° 4, particulièrement avec la hausse du taux de scolarisation). Cependant, selon les projections, plus de 23 % des Africains vivront encore dans la pauvreté absolue en 2030, un échec pour l’ODD n° 1.

L’Afrique est en voie d’atteindre seulement 10 des 144 cibles des ODD d’ici 2030

À cette date, le reste du monde serait probablement passé sous la barre des 3 % souhaités. Seuls la Tunisie, l’Algérie, l’île Maurice, le Gabon, l’Égypte, les Seychelles et le Maroc ont atteint l’objectif de 3 %, la Libye et le Cap Vert étant en bonne voie pour 2030.

Des pays comme la Côte d’Ivoire, l’Éthiopie, le Sénégal et la Guinée équatoriale peuvent atteindre l’objectif si l’action est accélérée. Toutefois, Madagascar, le Mozambique, le Malawi, la République centrafricaine, le Burundi, le Lesotho et la République démocratique du Congo risquent de voir plus de 50 % de leur population vivre encore dans la pauvreté absolue en 2030 - avec des taux supérieurs à 70 % à Madagascar, au Mozambique et au Malawi.

Ce problème ne concerne pas que l’Afrique. À l’échelle mondiale, seuls 15 % des ODD sont en bonne voie, et près de la moitié accusent un retard. Cependant, les performances du continent sont particulièrement préoccupantes, remettant en question l’échéance de 2030.

Les ODD ont succédé aux objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), qui ont permis de relever des défis mondiaux urgents entre 2000 et 2015. Les OMD ont permis de réduire de moitié l’extrême pauvreté et d’améliorer l’accès à l’eau potable surtout en Chine et en Inde, mais ont échoué sur la santé maternelle et la durabilité environnementale.

Un calendrier aligné sur l’Agenda 2063 offre une vision à long terme mieux adaptée aux réalités de l’Afrique

Les ODD visent à combler ces lacunes, en s’étendant à la réduction des inégalités, à la lutte contre le changement climatique et à la promotion d’une croissance économique durable. Cependant, sans un changement majeur de stratégie, ils n’atteindront pas non plus leurs objectifs ambitieux au niveau mondial.

En Afrique, des voix s’élèvent en faveur d’une accélération des actions. En juillet, le président du Ghana, Nana Akufo-Addo, a appelé à un effort soutenu pour mobiliser les ressources et la volonté politique nécessaires pour réaliser les ODD. ll a insisté sur l’importance des réformes pour débloquer les 1 300 milliards de dollars requis chaque année, en misant sur une meilleure mobilisation des recettes nationales, des partenariats public-privé et des mécanismes financiers novateurs comme le financement mixte.

Cependant, les défis sont énormes. Les lacunes persistantes dans la réalisation des anciens OMD sont particulièrement importantes dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. Ces pays font face à un manque de financement aggravé par la dette, la réduction de l’espace budgétaire et un accès limité aux marchés financiers mondiaux. La volonté politique nécessaire pour mettre en œuvre ces réformes reste également incertaine.

L’équipe du programme « Afriques futures et Innovation » (AFI) de l’Institut d’études de sécurité a modélisé des réformes pour un développement durable en Afrique. Même dans le scénario le plus optimiste, qui combine des améliorations en gouvernance, finance, commerce et production, de nombreuses cibles des ODD pour 2030 demeurent inaccessibles.

 

Le report de la date limite semble une option pragmatique. Un calendrier plus flexible, aligné sur l’Agenda 2063 de l’Afrique et comprenant des objectifs intermédiaires, offrirait une vision à plus long terme, mieux adaptée aux réalités du continent. Cette prolongation pourrait renforcer la pertinence et l’impact des ODD en intégrant des objectifs régionaux adaptés à la diversité de l’Afrique.

Toutefois, une prolongation risque de compromettre les efforts de développement mondiaux. Elle pourrait réduire l’urgence de relever les défis urgents et conduire à l’autosatisfaction. Cette situation pourrait aggraver les inégalités et laisser les populations vulnérables encore plus marginalisées. Un report dans les actions climatiques pourrait également causer des dommages environnementaux irréversibles, éroder la confiance dans les engagements internationaux et créer un précédent dangereux.

Certains ODD, mal alignés sur les aspirations de l’Afrique, pourraient nécessiter une réévaluation

Certains ODD mal alignés sur les priorités africaines pourraient nécessiter une réévaluation. Les défis structurels profonds du continent – comme la dépendance économique à des exportations limitées, des infrastructures insuffisantes et un accès restreint aux services essentiels – rendent certains d’entre eux inatteignables. Ces objectifs hors de portée devraient être redéfinis, voire abandonnés, pour que les pays africains se concentrent sur des priorités réalistes et spécifiques.

Cette situation pourrait fragmenter les efforts mondiaux et affaiblir la lutte contre la pauvreté, les inégalités et le changement climatique. Une approche spécifique à l’Afrique est nécessaire pour accélérer les progrès là où cela est possible, repousser les échéances si nécessaire et abandonner ou redéfinir les cibles des ODD irréalisables.

Par exemple, l’Afrique pourrait se concentrer sur ses avantages stratégiques, comme les énergies renouvelables et l’innovation numérique, pour générer des bénéfices socio-économiques importants.

Les projections de l’AFI semblent indiquer qu’un développement rapide pourrait obliger l’Afrique à dépendre du gaz naturel comme solution énergétique provisoire, en complément des énergies renouvelables et du nucléaire, jusqu’à ce que des alternatives deviennent viables. L’application stricte des lignes directrices du Programme des Nations Unies pour l’environnement en matière de réduction des combustibles fossiles dans toute l’Afrique pourrait entraîner une pénurie d’énergie qui entraverait la croissance.

Les actions entreprises pour développer le traitement local des ressources minières en Afrique risquent d’augmenter les émissions de carbone à court terme, compliquant ainsi les engagements climatiques du continent. Bien que ces progrès puissent stimuler la croissance économique, réduire la pauvreté, améliorer l’accès à l’électricité, créer des emplois et favoriser le développement, il est crucial de peser ces avantages face aux impacts environnementaux et aux objectifs climatiques mondiaux.

La communauté internationale devra sans doute intensifier ses efforts pour atténuer le changement climatique, permettant à l’Afrique une certaine flexibilité pour atteindre une croissance rapide. Il s’agira par exemple d’apporter un soutien financier et technique aux technologies propres, de faciliter le transfert de connaissances et de renforcer la coopération mondiale sur les stratégies d’adaptation au climat et d’atténuation de ses effets.

Lors du Sommet de l’avenir, les dirigeants doivent faire face aux choix cruciaux qui façonneront l’Afrique de demain. S’ils se soustraient à ces compromis difficiles mais nécessaires, ils risquent de perpétuer les approches fragmentées et incohérentes qui ont freiné les progrès par le passé.

Cet article a été publié pour la première fois dans Africa Tomorrow, le blog du programme Afriques futures et innovation de l’ISS.

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