À Maurice, le reflet terni de la bonne gouvernance

L’État insulaire doit être plus attentif aux signaux d’alerte s’il veut éviter la pente glissante de la corruption.

Une semaine ne s’est pas encore écoulée depuis que l’Union européenne a placé Maurice sur sa liste noire du blanchiment d’argent et du financement du terrorisme, qu’un autre scandale a déjà éclaté. En effet, le 8 juin, la Banque africaine de développement (BAD) a annoncé disposer de preuves dans une affaire de corruption dans la passation d’un marché sur un projet dans le secteur de l’énergie. Financé par la BAD, ce projet a été exécuté à Maurice par l’entreprise de travaux publics Burmeister & Wain Scandinavian Contractor (BWSC).

Un rapport du Groupe anti-blanchiment de l'Afrique orientale et australe datant de 2019 a désigné le secteur de l’énergie comme étant l’un des plus enclins à la corruption dans les passations de marchés ; l’incident qui a eu lieu à Maurice vient confirmer cette conclusion. Ce scandale de corruption vient s’ajouter à d’autres qui ont éclaté au cours des dix dernières années, entamant la confiance des investisseurs et ternissant l’image de Maurice, autrefois considérée comme un modèle de bonne gouvernance.

Tout a commencé en 2014 lorsque l’agence mauricienne de production et de distribution de l’électricité, Central Electricity Board, a publié un avis de marché pour sa centrale électrique de Saint Louis, assortie d’un financement de la BAD. Le soumissionnaire retenu devait concevoir, fournir, installer et mettre en service une centrale électrique diesel d’une capacité de 60 MW +/-10 %.

L’appel d’offres indiquait également que chaque turbine ne devait pas dépasser une puissance 15 MW ; cette clause a par la suite fait polémique. Lors de la clôture de l’appel d’offres, la Commission centrale des marchés n’avait reçu qu’une seule offre, celle de la BWSC.

Un rapport de 2019 identifie le secteur de l’énergie comme l’un des plus enclins à la corruption dans les marchés publics

Quelques semaines plus tard, cet appel d’offres a été annulé ; le Comité d’évaluation des offres a déclaré que la proposition de la BWSC « ne répondait pas aux exigences fixées dans le dossier d’appel d’offres ». En d’autres termes, la candidature contenait des différences importantes par rapport au cahier des charges technique de l’appel d’offres. La BWSC a fait appel de cette décision peu après.

L’appel d’offres a été publié à nouveau en 2015, ce que la BWSC a dûment contesté auprès du Comité d’examen indépendant. Ce comité a décidé que l’appel d’offres avantageait en fait la BWSC et a donc rejeté la demande de la société. Malgré ce revers, la BWSC a remporté le contrat pour un budget estimé à 129,7 millions de dollars.

La société a achevé l’exécution du projet en octobre 2017, après 19 mois de travail (le délai prévu était de 18 mois), pour un coût total d’environ 119,14 millions de dollars. En 2019, le rapport d’achèvement de la BAD relevait que l’exécution du projet par la BWSC était très satisfaisante.

Cependant, après avoir mené sa propre enquête à la suite d’une dénonciation en 2018, la BWSC a conclu en 2019 qu’un « petit groupe d’employés, travaillant sur l’offre de projets en Afrique, avait enfreint la politique de l’entreprise ». L’enquête a révélé que des actes criminels avaient été commis, notamment en termes de corruption. Après avoir licencié cinq employés et dénoncé deux contrevenants à la police, l’entreprise a approché la BAD, qui l’a radiée en 2020.

Les scandales de corruption sapent la confiance des investisseurs et ternissent l’image de Maurice comme modèle de bonne gouvernance

Cette affaire a eu maintes répercussions à Maurice. Après que le Parlement s’est saisi de cette question en juin 2020, le conseil d’administration du Central Electricity Board a démissionné et a été remplacé. Plus haut placé dans le gouvernement, le Premier ministre Pravind Jugnauth a remercié son adjoint, Ivan Collendavelloo, qui occupait également les fonctions de ministre de l’Énergie et des Services publics. Le nom de Collendavelloo était ressorti durant l’enquête.

À Maurice, la corruption dans les marchés publics du secteur de l’énergie n’est pas un phénomène nouveau. En effet, le scandale de cette année reproduit quasi à l’identique un épisode datant de 1994 au cours duquel le ministre de l’Énergie de l’époque avait été contraint de démissionner, à la suite de la découverte d’irrégularités entachant l’achat de turbines destinées à une centrale électrique.

Une simple vérification des antécédents d’exécution de projets de la BWSC aurait pu révéler que cette société avait trempé dans des contrats douteux à travers le monde. Il s’agit notamment de présomptions de corruption aux Philippines, de contrats entachés d’irrégularités à Malte et de scandales aux Bahamas.

Eu égard au fort risque de corruption dans les appels d’offres pour des contrats d’une telle ampleur, il est troublant que les signaux d’alerte aient été ignorés, de manière délibérée ou non. Peut-être est-ce dû au fait que la lutte anticorruption s’intéresse davantage au secteur public qu’au secteur privé.

Étant donné le risque élevé de corruption dans la passation de gros contrats, pourquoi les signaux d’alerte ont-ils été ignorés ?

Les affaires de corruption dans des entreprises interagissant avec l’État érodent la confiance des citoyens dans les institutions publiques et mettent à mal l’égalité d’accès aux ressources. Elles entraînent une inflation des montants des contrats publics et privés qui, à leur tour, engendrent des hausses de prix pour les consommateurs. De plus, ces affaires sont associées à l’évasion fiscale et aux flux financiers illicites sortant du pays.

À l’avenir, les responsables des marchés publics doivent être conscients de l’existence de ces défis et savoir comment les relever. Par exemple, il est nécessaire de faire preuve d’une plus grande transparence dans le processus de passation des marchés. Le public devrait pouvoir consulter les appels d’offres et les documents de soumission, dans la mesure du possible et dans le respect de la légalité. Dans le cas de la centrale électrique de Saint Louis, si les soumissionnaires non retenus n’avaient pas contesté l’attribution du contrat à la BWSC, le public n’aurait jamais eu accès à certaines des informations relatives à cet appel d’offres.

Il faut également renforcer les contrôles dans le processus de passation des marchés. Les fonctionnaires participant aux appels d’offres devraient bénéficier d’une formation et d’un renforcement des capacités. Les organisations de la société civile pourraient jouer un rôle de surveillance par l’intermédiaire d’un comité civil de contrôle. En ce qui concerne les appels d’offres dépassant un certain seuil, un comité ad hoc composé d’acteurs extérieurs pourrait assurer une surveillance supplémentaire.

Il ne fait aucun doute que l’image de bonne gouvernance de Maurice a été écornée par ces scandales de corruption. Si le pays veut éviter la pente glissante de la corruption, il faudra faire en sorte de réduire les risques de corruption et traduire les coupables en justice.

Richard Chelin, chercheur, projet ENACT sur la criminalité organisée, ISS Pretoria

Cet article a été publié pour la première fois dans le cadre du projet ENACT, financé par l'Union européenne (UE). Le contenu de cet article relève de la seule responsabilité de l'auteur et ne peut en aucun cas être considéré comme reflétant la position de l'UE.

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Crédit photo : Economic Development Board Mauritius

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