Empêcher la violence au Soudan de se propager dans la région
Alors que la guerre civile menace, les nombreux médiateurs de paix doivent bâtir un consensus pour éviter toute contagion dans la région.
Publié le 03 mai 2023 dans
ISS Today
Par
Maram Mahdi
chercheuse, Gouvernance africaine de la paix et de la sécurité, ISS
Selon l’Organisation des Nations unies (ONU), le conflit sanglant qui sévit au Soudan pourrait bientôt dépasser les frontières et se propager hors du pays. Son secrétaire général António Guterres a déclaré que la situation risquait de provoquer une « conflagration catastrophique [...] qui pourrait embraser toute la région et au-delà ».
Le nombre de Soudanais déplacés à l’intérieur du pays ou cherchant refuge en Égypte, en République centrafricaine (RCA), au Tchad et en Éthiopie porte déjà les prémices d’une crise humanitaire. Dans une région qui se remet encore de la guerre en Éthiopie et d’une longue période d’instabilité en Somalie, ces affrontements ont des conséquences désastreuses.
Le conflit actuel a éclaté le 15 avril entre les Forces armées soudanaises (FAS) dirigées par le général Abdel Fattah al-Burhan et les Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohamed Hamdan Dagalo (dit « Hemetti »). Ces affrontements urbains entre des camps aussi bien armés et préparés au combat l’un que l’autre, avec deux seigneurs de guerre à leur tête, ont fait plus de 500 morts. La volonté de remporter une « victoire totale », affirmée avec insistance par les deux généraux, laisse peu de marge pour éviter une véritable guerre civile.
Le Soudan et ses pays voisins Source: ISS(Cliquez sur la carte pour l'image en taille réelle)
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Les initiatives régionales et internationales visant à mettre fin aux combats ont été rapides à se mettre en place, mais en grande partie inefficaces. Dès le 16 avril, le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine (UA) a condamné les affrontements et appelé à la cessation des hostilités. Faisant preuve d’une réaction similaire, l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) en Afrique de l’Est a chargé les dirigeants de Djibouti, du Soudan du Sud et du Kenya de conduire un processus de paix au niveau régional.
Les pressions exercées par les États-Unis et les Émirats arabes unis (EAU) se sont ajoutées à la demande ferme de cessez-le-feu formulée par l’ONU. Si ces premières mesures ont été rapides et louables, elles mettent en évidence deux défis majeurs qu’il faudra relever pour contenir la situation et éviter un débordement dans la région.
En premier lieu, il est essentiel que les différents processus de paix soient sur la même ligne. Bien que la transition avortée et la situation actuelle au Soudan soient dues à plusieurs facteurs, la multiplication des acteurs et des processus de paix au cours des dernières années a eu un effet catalyseur majeur. Le mécanisme ONU-UA-IGAD, le groupe formé par les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ou encore la Ligue arabe et le « groupe des amis » du Soudan comptent parmi ces intervenants.
La volonté de remporter une « victoire totale » laisse peu de marge pour éviter une guerre civile
Chacun d’entre eux fait valoir des intérêts stratégiques, des approches et des idées pour résoudre la crise liée à la transition. Si tous aspirent à enrayer l’escalade humanitaire, il est urgent que ces acteurs se mettent au diapason et fassent coïncider leurs engagements afin d’éviter la duplication des efforts et d’aider véritablement le Soudan à se stabiliser.
Abbas Kamel, le directeur des renseignements généraux égyptiens, a tenté en février dernier une médiation entre Burhan, le Conseil central des Forces pour la liberté et le changement (FLC), le Bloc démocratique des FLC et certains signataires de l’accord de paix de Juba de 2020. Cette « voie du Caire » a donné naissance à un processus de paix distinct qui a eu des conséquences meurtrières.
Créée en dehors du mécanisme ONU-UA-IGAD, elle a favorisé les militaires soudanais et écarté les FSR des pourparlers. Cette configuration a renforcé la méfiance entre les deux généraux et intensifié le risque de confrontation. En définitive, les processus parallèles prolongent les crises et sapent les efforts déployés pour trouver des solutions durables.
Pour aller de l’avant, il apparaît nécessaire d’évaluer les interventions menées depuis 2019 par différents acteurs internationaux et régionaux. Les initiatives mondiales, continentales et régionales doivent également s’entendre collectivement afin de mettre en évidence l’avantage comparatif de chaque acteur.
La multiplication des acteurs et des processus de paix a eu un effet catalyseur sur la situation au Soudan
Le deuxième défi à relever pour stabiliser le Soudan est de faire émerger un consensus au niveau régional. Depuis que les combats ont éclaté, il a été reproché à certains pays de s’immiscer dans le conflit. L’armée affirme que deux des voisins du Soudan soutiennent les FSR et ont livré des munitions et du matériel à leurs troupes.
Des forces séparatistes éthiopiennes auraient profité du défaut de surveillance pour tenter de reprendre le contrôle de la zone contestée d’al-Fashaga, à la frontière entre le Soudan et l’Éthiopie. L’Éthiopie réfute ces accusations. Toujours est-il que des belligérants ont habilement profité de l’absence de consensus et d’objectifs communs pour placer les différents processus politiques en opposition. Ils se procurent également des armes par l’intermédiaire de territoires voisins ou d’amis dans la région, ou gagnent du temps pour se réorganiser.
Depuis la chute du président Omar al-Bashir en 2019, les voisins du Soudan ont favorisé différentes factions et différents acteurs à des moments cruciaux de la transition. Au vu de leurs visites diplomatiques, ce n’est un secret pour personne que Burhan et Hemetti sont proches de certains États. Outre leurs déplacements dans des pays du Golfe, notamment les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite, les généraux ont été reçus dans des pays d’Afrique tels que l’Égypte, l’Érythrée, l’Éthiopie, l’Ouganda, le Soudan du Sud et le Tchad.
Si ces voyages ne constituent pas une preuve de soutien, ils montrent que les deux hommes ont des relations au niveau régional qui pourraient leur servir en cas de besoin. Dans une guerre de longue haleine susceptible d’émousser la bonne volonté internationale, on ne peut écarter le risque que ces États penchent vers l’un ou l’autre camp.
Des belligérants ont profité de l’absence de consensus régional pour placer les processus politiques en opposition
Compte tenu de l’histoire complexe des relations entre le Soudan et ses voisins immédiats, les choix de ces derniers seront inévitablement marqués par leurs préférences et alliances géopolitiques. Par le passé, les influences indirectes ont prolongé certaines crises soudanaises et entravé les efforts des citoyens pour résoudre les problèmes par eux-mêmes.
En évitant ces luttes de pouvoir et ces soutiens aux factions belligérantes, l’on pourrait empêcher la situation de dégénérer en une véritable guerre civile. Il est indispensable de contenir les engagements risquant de conforter les belligérants dans leur position dure et d’exacerber le conflit.
La paix et la stabilité au Soudan et dans la région se renforcent mutuellement. Sans effort pour prévenir une nouvelle fragmentation des initiatives de paix et empêcher les acteurs régionaux de faire pencher la balance, toute tentative de construire une paix durable risque de dérailler. La priorité est de bâtir un consensus à l’échelle régionale.
Andrews Atta-Asamoah, chef de programme, et Maram Mahdi, chercheuse, Gouvernance de la paix et de la sécurité en Afrique, ISS Addis Abeba
Image : © Amelia Broodryk/ISS
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