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Urbanisation et trafic d’armes : un cocktail mortel à Bamako et à Lagos

L’augmentation de leur population, les réseaux criminels bien implantés et des gangs florissants font de ces villes un marché idéal pour les trafiquants.

Le développement de l’urbanisation en Afrique entraîne une mondialisation des villes avec une augmentation de la complexité et de l’ampleur de la criminalité. L’immigration, en faisant coexister diverses cultures, rend encore plus difficile leur gestion et provoque des conflits.

La prolifération des armes dans les villes d’Afrique de l’Ouest, surtout depuis le début des conflits en Libye (2011) et au Mali (2012), aggrave la situation. Des villes comme Abidjan, Accra, Bamako, Dakar et Lagos sont connectées aux marchés internationaux, facilitant ainsi la collaboration entre organisations criminelles locales et groupes extérieurs. Les armes illicites deviennent un produit commercialisé important, utilisé pour protéger et contrôler les populations et les routes de contrebande.

Les recherches de l’Institut d’études de sécurité (ISS) montrent que l’économie du trafic d’armes à Bamako et à Lagos implique divers acteurs influencés par des facteurs interdépendants. Il s’agit notamment des groupes criminels transnationaux, de l’extrémisme violent et des gangs prospères qui ont besoin d’armes, ainsi que les pressions  que l’afflux de personnes exerce sur ces espaces.

À Bamako, la montée en puissance de groupes terroristes transnationaux alimente principalement le trafic d’armes. Les groupes dominants tirent parti de leurs réseaux mondiaux pour importer clandestinement des armes au Mali et opèrent dans les environs de Bamako.

La facilité d’accès aux armes légères à Bamako et à Lagos prolonge le terrorisme et la violence ethnique

À Lagos, les kidnappeurs, les voleurs à main armée, les saboteurs d’oléoducs, les milices ethniques, les transporteurs routiers, les motocyclistes et les gangs criminels des différents quartiers constituent un marché facile pour les trafiquants d’armes. Les gangs No Salary Boys, Awawa Boys et One Million Boys terrorisent les habitants avec des armes achetées, entre autres, à des forgerons.

Selon des sources militaires à Bamako, les armes trafiquées le long du fleuve Niger sont principalement de petit calibre. Nombre d’entre elles proviennent du pillage par des insurgés d’armureries appartenant à des services de sécurité ou sont fabriquées dans des ateliers illégaux de la ville. La géographie accidentée de Bamako permet de dissimuler ces entrepôts derrière des collines, dans des grottes et des ravins, d’après les recherches de l’ISS.

À Lagos, les trafiquants d’armes à feu utilisent différentes stratégies de contrebande. Ils falsifient les documents d’importation et les déclarations de marchandises pour faire passer des armes à feu par les ports maritimes. Ainsi, 1 100 fusils ont été saisis au port de Tin Can Island, cachés dans un conteneur de 6 mètres, déclaré comme renfermant des toilettes et des lavabos. Des armes à feu illégales ont aussi été trouvées dans un autre conteneur, à la place de téléviseurs.

L’étude de l’ISS souligne que le manque d’aménagement et d’entretien des villes favorise le trafic d’armes. Les bidonvilles qui parsèment le centre-ville de Bamako sont des lieux critiques pour la concentration et la circulation des armes légères. De même, les nombreux bidonvilles de Lagos servent de lieux stratégiques pour le trafic d’armes et de cachettes pour les criminels.

Les bâtiments inachevés servent de repaires aux criminels et à stocker des armes illicites

Les bâtiments inachevés ou abandonnés de Bamako et de Lagos servent de repaires où les criminels s’organisent, stockent et distribuent des armes à feu illégales. À Bamako, la police de Kalabancoro a saisi des armes à feu chez un syndicat occupant un bâtiment en cours de construction dans la commune V. À Lagos, des armes cachées dans des maisons et des terrains abandonnés ont été récupérées par l’équipe spéciale du commandement de la police de l’État de Lagos, notamment des engins explosifs improvisés, des bombes, des fusils AK47, des cartouches et des poignards.

À Lagos, l’utilisation de motos commerciales comme moyen de transport est répandue et liée à une planification urbaine déficiente. L’Association des opérateurs de motos commerciales fonctionne comme une milice urbaine, utilisant des armes illicites pour semer la violence. Au cours du premier semestre 2021, 320 conducteurs de motos liés à 218 délits ont été arrêtés, et 480 armes de différents calibres ont été saisies par la police.

La complicité du personnel de sécurité dans le vol d’armurerie reste une source majeure d’armes et de munitions illicites à Lagos, en raison notamment de la mauvaise gestion des stocks par la police et l’armée. À Bamako et dans sa périphérie, les insurgés attaquent régulièrement les avant-postes des forces de sécurité, les installations militaires, les convois de sécurité et les postes de contrôle pour s’emparer des armes.

La facilité d’accès aux armes légères et de petit calibre à Bamako et à Lagos prolonge les conflits comme le terrorisme à Bamako et la violence ethnique à Lagos, menace la stabilité des communautés polarisées et expose les civils à des risques de mort ou de blessure.

À Lagos, les mototaxis, devenus une véritable milice urbaine, utilisent les armes illicites

Les données recueillies par le projet Armed Conflict Location & Event Data (ACLED) et l’ISS révèlent que, depuis 2011, Bamako et ses environs ont été les cibles de 34 attaques imputées à des criminels armés (62 %) et à des groupes terroristes (21 %). À Lagos, l’ISS signale 20, 18 et 25 attaques liées à des groupes armés respectivement en 2020, 2021, et de janvier à juin 2022.

D’après l’ACLED, les attaques depuis 2011 impliquent des criminels non identifiés (43 %), le Syndicat national des travailleurs du transport routier (16 %), des personnes s’adonnant à un culte (7 %) et des milices communales (9 %). L’ACLED révèle également que 241 personnes sont mortes dans des attaques à Lagos depuis 2012.

La lutte contre le trafic d’armes et les problèmes sécuritaires dans les villes exige que les autorités nationales, les agences multilatérales, la société civile et les citoyens collaborent. Des approches novatrices sont nécessaires pour élaborer des réponses efficaces.

Les autorités municipales de Bamako devraient enregistrer tous les armuriers afin de recueillir des informations sur leurs activités, en particulier sur l’ampleur, les modèles et l’approvisionnement des agences publiques, telles que les services de police. Les autorités municipales de Bamako et de Lagos doivent adopter des règles d’urbanisme pour limiter la prolifération des bâtiments inachevés et abandonnés, et veiller à ce qu’ils ne se transforment pas en repaires de criminels.

Les gouvernements centraux du Mali et du Nigeria doivent améliorer les infrastructures et les technologies de détection de la contrebande aux points d’entrée. Les systèmes de surveillance électronique permettront d’améliorer les contrôles d’immigration et la sécurité aux frontières sans personnel. Enfin, les organisations de la société civile devraient demander aux gouvernements de rendre compte de leurs plans visant à endiguer les flux d’armes illicites dans les deux villes.

Télécharger le rapport complet.

Partenaires de développement
L’ISS tient à remercier les membres du Forum de partenariat de l’Institut, notamment la Fondation Hanns Seidel, l’Open Society Foundations, l’Union européenne, ainsi que les gouvernements du Danemark, de l’Irlande, de la Norvège, des Pays-Bas et de la Suède.
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