Mali – Dubaï : l’axe du commerce illégal de l’or en Afrique de l’Ouest
Le régime fiscal malien et la faiblesse des procédures d’importation des Émirats arabes unis alimentent le commerce illicite.
Le commerce lucratif de l’or en Afrique de l’Ouest recèle un aspect particulièrement dévastateur. Les divergences de données entre la production d’or au Mali et sa commercialisation avec Dubaï, aux Émirats arabes unis (EAU), révèlent l’existence d’un commerce illégal de grande ampleur, notamment dans le secteur de l’extraction minière artisanale. Ces transactions illicites privent les pays d’Afrique de l’Ouest de milliards de dollars de revenus et alimentent les conflits en finançant l’extrémisme violent.
La hausse des cours mondiaux de l’or a suscité un intérêt considérable pour son extraction de la part d’investisseurs locaux et internationaux, notamment dans le secteur de l’extraction minière rurale artisanale. Le Mali est le troisième exportateur d’or d’Afrique, et environ un tiers du total de sa production provient de l’extraction artisanale. En 2016, le pays a exporté 67 tonnes d’or pour une valeur totale de 2,2 milliards de dollars US. Sur ce total, 46,9 tonnes ont été extraites par des producteurs industriels et les 20,1 tonnes restantes par des procédés artisanaux.
Or, en 2016, bien que les EAU aient importé 1,52 milliard de dollars d’or malien, Bamako n’enregistrait que 216 millions de dollars d’exportations d’or. De même, en 2014, la production d’or déclarée par le Mali était de 45,8 tonnes alors que les EAU déclaraient 59,9 tonnes d’or en provenance du Mali.
Le Mali ne taxe que les 50 premiers kilos d’or exportés par mois, ce qui incite les trafiquants à expédier l’or à partir du Mali pour bénéficier d’un important allégement fiscal. Ce régime fiscal fait du pays un véritable pôle d’attraction pour le commerce illégal de l’or en Afrique de l’Ouest, la région ne disposant pas d’un cadre fiscal régional coordonné.
Le Mali ne taxe que les 50 premiers kilos d’or exportés par mois
L’on estime que 80 % de l’or artisanal de la chaîne d’approvisionnement malienne provient en fait du Sénégal. La porosité des frontières, la proximité géographique, les affinités ethniques transfrontalières, la plus grande sécurité des voies d’accès illégales et les années d’instabilité au Mali sont autant de facteurs qui facilitent le commerce illégal. Et bien que les autorités douanières sénégalaises exigent que les négociants en or fournissent un certificat officiel d’analyse de pureté de l’or, la plupart des négociants locaux s’appuient sur des transactions informelles et ne produisent que rarement de tels documents.
Le Mali sert également de passerelle entre ses voisins, et même au-delà, et les marchés aurifères des EAU. La Libye et le Venezuela ont récemment utilisé le Mali comme plateforme pour exporter illégalement leur or vers Dubaï. En 2020, le trafic d’or vers le Mali a apparemment rapporté environ un milliard de dollars au gouvernement de Nicolás Maduro au Venezuela.
Les groupes armés et les terroristes africains eux aussi utilisent le commerce illégal de l’or avec Dubaï pour financer leurs activités, a déclaré au projet ENACT, sous couvert de l’anonymat, un expert du commerce de l’or en Afrique. En 2021, deux groupes terroristes se sont combattus avec acharnement pour contrôler des sites d’extraction d’or dans la région de Gourma au Mali. Et la société suisse Valcambi s’est approvisionnée en quantités importantes auprès de Kaloti, une entreprise émiratie spécialisée dans la fonte de l’or, soupçonnée d’avoir été liée à des groupes armés au Soudan en 2012.
L’or commercialisé illégalement entre le Mali et Dubaï est transporté manuellement par des coursiers qui convoient en moyenne 10 kilos par voyage. Les vols entre le Mali et Dubaï coûtent environ 500 dollars US, soit l’équivalent de 10 à 12 g d’or, ce qui rend un seul voyage extrêmement lucratif. Certains trafiquants transportent chaque semaine jusqu’à 40 kilos d’or vers Dubaï. Ce trafic est facilité par la corruption du personnel de l’aéroport, des douaniers et des autorités policières de Bamako.
La Libye et le Venezuela ont récemment utilisé le Mali comme plateforme pour exporter illégalement leur or vers Dubaï
Aux EAU, les vides juridiques, la faiblesse des procédures d’importation et les pratiques douteuses des acheteurs basés aux Émirats et du Dubai Multi Commodities Centre (DMCC) favorisent ce commerce illégal. Ainsi, les passagers arrivant aux EAU sont exemptés de déclaration douanière pour l’or transporté en bagage à main. Les contrebandiers venant du Mali pour vendre leur marchandise au souk de l’or de Dubaï n’ont qu’à présenter aux acheteurs le formulaire des douanes émiraties qui prouve simplement que « l’or a été déclaré légalement aux fonctionnaires des douanes ».
La manière dont le DMCC retrace l’origine et la chaîne d’approvisionnement de l’or importé dans le pays pose également problème. Les douanes des EAU n’exigent pas d’informations sur l’origine de l’or. La majeure partie de l’or commercialisé illégalement est d’abord vendue au souk de l’or de Dubaï, puis acheminée vers les raffineries et les bijoutiers. L’identité des entreprises étrangères qui achètent le métal aux raffineries basées à Dubaï est inconnue.
En outre, le DMCC ne ferait pas l’objet d’audits approfondis. Le cabinet d’audit financier et de conseil Ernst & Young a été accusé de conduite « illégale, non professionnelle et contraire à l’éthique » dans le cadre de sa relation avec le DMCC. Le cabinet aurait aidé un raffineur d’or émirati à réécrire son rapport de conformité pour le DMCC afin de modifier les conclusions de l’audit.
Enfin, de nombreux mineurs artisanaux d’Afrique de l’Ouest peinent à financer leurs activités, ce qui les pousse à contracter des prêts auprès d’Émiratis qu’ils ne peuvent rembourser qu’en exportant leur or vers les EAU. Si cette pratique n’est pas nécessairement illégale, la plus grande partie de cet or est probablement exportée par des canaux illicites.
Les vides juridiques et la faiblesse des procédures d’importation des Émirats arabes unis favorisent le commerce illégal
Le Mali et les EAU doivent renforcer à la fois leurs stratégies et procédures nationales, leur coopération bilatérale et leur collaboration régionale afin de combler les failles qui permettent le commerce illégal de l’or. Les autorités aéroportuaires de Dubaï doivent contrôler et surveiller plus étroitement l’or transporté dans les bagages à main de voyageurs en provenance du Mali et d’Afrique. Ceux-ci doivent fournir des certificats d’authenticité attestant du pays d’origine et des reçus fiscaux délivrés par le pays exportateur.
Les avantages fiscaux offerts par le Mali sont attrayants pour les trafiquants des pays voisins. Les États d’Afrique de l’Ouest devraient harmoniser leurs politiques et réglementations fiscales relatives à l’or, en commençant par une meilleure coordination entre les pays de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest. Les trafiquants auraient alors moins de voies commerciales possibles.
Enfin, le problème de la traçabilité est difficile à résoudre en raison du caractère informel de l’extraction minière artisanale. Une des solutions serait d’identifier tous les acteurs de la chaîne commerciale. Étant donné que la plus grande partie de l’or malien commercialisé illégalement est vendue au souk de l’or de Dubaï, puis acheminée vers des raffineurs et des bijoutiers du monde entier, l’identité des acheteurs devrait être révélée. Les partenaires politiques et économiques internationaux devraient faire pression sur les autorités émiraties pour les inciter à plus de transparence à cet égard.
Abdelkader Abderrahmane, chercheur principal, projet ENACT, Bureau régional de l’ISS pour l’Afrique de l’Ouest, le Sahel et le Bassin du lac Tchad
Cet article a été publié pour la première fois par ENACT. ENACT est un projet financé par l’Union européenne (UE). Le contenu de cet article relève de la seule responsabilité de l’auteur et ne peut en aucun cas être considéré comme reflétant la position de l’UE.
Image: © Sebastien RIEUSSEC / AFP
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