Les « réformes électorales » étouffent la démocratie en Afrique de l’Ouest

Les partis au pouvoir ont recours à des obstacles financiers et politiques pour empêcher leurs opposants de se présenter aux élections.

Ces deux dernières années, plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest ont adopté des lois et des règlements électoraux qui rendent les candidatures à des fonctions politiques plus difficiles. Les gouvernements du Bénin, du Burkina, de la Guinée, du Niger et du Sénégal ont soit augmenté le montant des droits d’inscription à valoir par les aspirants candidats, soit instauré des lois exigeant que les candidats obtiennent le parrainage d’autres acteurs politiques.

À première vue, ces réformes semblent motivées par la volonté d’améliorer les processus électoraux et la démocratie. Dans certains pays, le passage du système de parti unique au multipartisme entraîne une multiplication de partis politiques. Dans ces pays, les gouvernements affirment que les nouveaux changements servent de filtres nécessaires pour améliorer l’offre politique lors des élections présidentielles et législatives.

Le fait de restreindre la participation politique est cependant contraire à l’esprit de la démocratie et limite les possibilités de renouvellement des dirigeants d’un pays. Ces obstacles entrent en outre en contradiction avec le principe de l’égalité d’accès des citoyens aux fonctions électives.

La nouvelle exigence du parrainage par des élus implique que les nouveaux venus en politique ne peuvent pas se présenter à moins d’obtenir l’aval de leurs adversaires. Ces deux séries de mesures profitent à l’establishment politique au détriment des nouvelles générations et des aspirants candidats ayant un accès limité au pouvoir et aux ressources, tels que les femmes et les jeunes.

Compte tenu des tendances récentes que l’on observe en Afrique de l’Ouest et ailleurs sur le continent, où les gouvernements modifient la constitution pour s’accrocher au pouvoir, la sincérité de ces réformes électorales paraît douteuse.

Le fait d’exiger que les candidats soient parrainés par des élus implique que les nouveaux venus doivent obtenir l’aval de leurs adversaires

Au Burkina, la révision de la loi électorale de janvier 2020 exige que les candidats obtiennent le parrainage d’au moins 50 élus. Lorsqu’il s’agit d’obtenir l’aval de conseillers municipaux, ces derniers doivent être établis dans au moins sept des 13 régions du pays.

Au Sénégal, la loi électorale modifiée de 2019 a multiplié par plus de cinq le nombre de soutiens citoyens nécessaires, passant de 10 000 à 52 000. Les personnes apportant leur soutien doivent résider dans au moins sept régions différentes du pays. Cette condition a conduit au rejet de 75 % des candidats par le Conseil constitutionnel, qui n’a validé que sept des 27 candidatures reçues. L’absence de consensus quant à la réforme proposée a entraîné des manifestations de la part des forces d’opposition.

Au Bénin, l’article 132 du code électoral de 2019 exige que les candidatures soient validées par 10 % des parlementaires ou des maires du pays. Si ce pourcentage semble faible, il convient de noter que depuis les élections controversées de 2019 qui avaient exclu les partis d’opposition, le parti au pouvoir domine l’Assemblée nationale et les conseils municipaux.

Ces développements soulèvent de graves inquiétudes quant à la capacité des partis d’opposition à participer librement aux élections présidentielles d’avril 2021. Certains dirigeants de l’opposition ont déclaré à ISS Today qu’ils n’étaient pas d’accord avec un système qui les obligeait à « négocier » avec le parti au pouvoir ou à le « supplier » pour obtenir le droit de participer à l’élection.

Ces réglementations augmentent le risque de corruption en politique et normalisent l’importance de l’argent par rapport aux politiques bénéfiques pour la société

En Guinée, l’article 42 de la Constitution adoptée en avril 2020 obligeait les candidats à la présidence à solliciter des parrainages. Cependant, la loi n’ayant pas défini de mesures d’application claires, elle a été suspendue par la Cour constitutionnelle pour les élections présidentielles de 2020. Les prétendants doivent également s’acquitter de frais de dossier élevés, ce qui crée un obstacle financier au dépôt de candidature, un droit civique et politique fondamental.

Au Niger, la loi n’exige de parrainages que pour les candidats indépendants, qui doivent obtenir l’aval de 20 000 citoyens résidant dans au moins cinq régions sur huit. Tous les candidats à la présidence doivent s’acquitter de la somme de 25 000 000 CFA (38 000 €) pour entrer en lice. Ce coût représente près de 1 000 fois le salaire moyen, le Niger figure parmi les pays les plus pauvres du monde.

La question n’est toutefois pas nouvelle au Niger, où le seuil financier pour se porter candidat a changé plusieurs fois au fil des ans. Un montant initial de 20 000 000 CFA (30 000 €) exigé par la loi électorale de 2010 avait été réduit de moitié en 2014 pour soutenir le droit des citoyens à l’éligibilité. Cependant, en amont des élections de 2020-2021, le gouvernement a relevé ce seuil à 25 000 000 CFA, un montant plus élevé que jamais. Sur 30 prétendants, 10 n’ont pas pu s’acquitter des frais et leurs candidatures ont été rejetées.

Au Burkina et au Mali, les frais sont fixés à 25 000 000 CFA. Les candidats guinéens doivent payer 65 000 000 CFA (100 000 €). Le Bénin semble être le pays le plus cher pour les candidats à la présidence, les frais de dépôt de dossier s’élevant à 250 000 000 CFA (380 000 €). Il s’agit d’une augmentation considérable par rapport aux 6 000 000 CFA (10 000 €) exigés par le passé.

Dans tous ces pays, les partis d’opposition et les acteurs de la société civile critiquent ces mesures comme autant de tentatives des gouvernements et des partis au pouvoir de restreindre l’espace démocratique et de se maintenir au pouvoir.

Les gouvernements doivent revoir les règles qui régissent l’espace politique au-delà des périodes électorales

Dans certains des pays les plus pauvres du monde, ces exigences relèvent davantage de ploutocraties que de régimes démocratiques. Ces réglementations augmentent également le risque de corruption en politique et normalisent l’importance de l’argent par rapport aux politiques bénéfiques pour la société lors des élections.

Pour consolider la démocratie, il est nécessaire de procéder à des réformes substantielles des institutions. Les pays d’Afrique de l’Ouest ont besoin de politiques qui orientent la création et les activités des partis politiques et qui précisent des conditions de fonctionnement interne, de financement et d’adhésion qui soient démocratiques et efficaces.

L’amélioration de la gouvernance des partis politiques pourrait contribuer à garantir la crédibilité des personnes qui déposent des candidatures au moment des élections. Il s’agit d’une alternative plus démocratique et durable que de les empêcher, en fin de compte, de se porter candidats. Les gouvernements doivent également s’abstenir de façonner des règles à leur avantage.

Il est impératif de protéger et de préserver la crédibilité, l’indépendance et l’impartialité des organes électoraux. Il est également crucial d’éduquer les électeurs de manière cohérente. Ce type d’initiatives permet de mettre en place des filtres sociaux et politiques pour choisir les dirigeants sans recourir à la manipulation des élections.

Plutôt que d’imposer des restrictions de dernière minute en voulant déstabiliser le terrain de jeu en amont des élections, les gouvernements doivent revoir les règles qui régissent l’espace politique au-delà des périodes électorales.

David Zounmenou, chercheur principal consultant, ISS Dakar et Nadia Adam, chargée de recherche, ISS Bamako

Cet article a été rédigé avec le soutien du Fonds britannique pour les conflits, la stabilité et la sécurité, de la Fondation Hanns Seidel et du ministère des Affaires étrangères des Pays-Bas.

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