Les Pandora Papers et le poids des données à code source ouvert

Les formes alternatives de données permettent de forcer la responsabilisation, en particulier dans les pays où l'espace démocratique est érodé.

Le 3 octobre, le Consortium international des journalistes d'investigation a publié les « Pandora Papers », une véritable mine de documents exposant les tentatives d’élites fortunées de dissimuler des avoirs et des larges sommes d’argent dans des paradis fiscaux offshore.

Trente-cinq chefs d'État anciens et actuels ont été désignés après que 2,9 téraoctets de données divulguées ont été traités, analysés, compilés et publiés par une équipe mondiale de centaines de journalistes. Il s'agit d'un rappel puissant du pouvoir des données et de leur capacité à révéler les flux financiers illicites et les transactions commerciales douteuses qui privent le fisc de recettes pourtant indispensables.

Pandora Papers

En Afrique, où de nombreux piliers de la démocratie restent fragiles, notamment des médias libres, l'utilisation de données pour forcer la responsabilisation constitue l'une des propriétés transformatrices des technologies émergentes. Bien qu'il faille être prudent à l'ère des « infox » et des campagnes délibérées de désinformation, il convient de ne pas sous-estimer le pouvoir des données pour renforcer la responsabilisation des élus et des fonctionnaires au service du public.

Les Pandora Papers et leur prédécesseur de 2016, les Panama Papers, se sont appuyés sur des fuites de données. Cependant, la constitution de bases de données d'investigation permettant de tenir pour responsables des organismes publics, tels que les autorités municipales ou les services de police, et le renseignement d'origine source ouverte (ROSO) permettent aux enquêteurs de suivre plus facilement les indices électroniques.

Les experts qualifient souvent ce phénomène d'« échappement numérique », qui consiste à retracer chacune de nos interactions en ligne. L'apprentissage automatique et de puissants algorithmes ont permis d'organiser méthodiquement et de traiter rapidement de vastes quantités de données, ce qui n'était pas possible auparavant. Les données peuvent être traitées et analysées en temps opportun, afin d'inciter à l'action.

L'utilisation des données pour forcer la responsabilité est l'une des caractéristiques transformatrices des nouvelles technologies

Il est important de faire la distinction entre les données ayant fait l'objet de fuites, telles que celles à l'origine des Pandora Papers et des Panama Papers, et les données de source ouverte, auxquelles tout le monde peut accéder sur Internet grâce aux outils ROSO. Ces derniers comprennent des applications telles que Google Dork, qui permettent aux opérateurs de recherche d'identifier les détails spécifiques d'une personne, d'une société ou d'une autre entité enfouis dans des sites web.

En revanche, les données ayant fait l'objet de fuites ne sont pas toujours rendues publiques. Certaines peuvent être expurgées par des journalistes ou des organisations non gouvernementales (ONG) avant que les détails ne soient diffusés dans le domaine public. Ils jouent essentiellement le rôle de « gardiens », et l'une de leurs fonctions principales est de contextualiser les données divulguées.

Il est primordial que les données ayant fait l'objet de fuites entrent dans le domaine public, car cela permet aux forces de l'ordre d'enquêter sur les flux illicites, la corruption et d'autres délits financiers. Il s'agit d'une question d'éthique dans la mesure où les journalistes et les ONG se considèrent comme des pourvoyeurs d'informations, et non pas comme des détectives virtuels ou des agents de renseignement agissant au nom de l'État.

Les bases de données et les outils à code source ouvert permettent aux enquêteurs de suivre les indices électroniques

En Afrique du Sud, les organisations de la société civile utilisent des outils de données à code source ouvert pour encourager les citoyens à réclamer une responsabilité aux agences gouvernementales. « Nous ne disposons pas des compétences et des ressources nécessaires pour utiliser la technologie criminalistique, mais nous utilisons des technologies contemporaines pour nous aider sur le terrain » explique David Lewis, directeur exécutif de Corruption Watch.

Au début de l'année 2021, Corruption Watch a lancé l'outil Veza pour accroître la responsabilisation des services de police. Veza, qui signifie « exposer » ou « révéler » en zoulou, vise à combattre la corruption et à « briser le cycle de l'impunité dans les services de police ». L'application permet aux citoyens d'accéder à des informations détaillées sur les ressources, les lieux et le personnel de la police à travers le pays à l'aide de cartes de densité. Ils peuvent ensuite comparer ces informations avec les expériences de la population.

Lewis estime que l'élaboration d'outils de données offre un potentiel énorme pour imposer une plus grande responsabilisation en Afrique du Sud. « Nous essayons de mettre en place une meilleure pratique en matière de passation de marchés, mais si le pays disposait d'une base de données répertoriant chaque contrat, il serait beaucoup plus facile de rendre des comptes. » ISS Today confirme que des recherches sont en cours pour développer un outil qui permettrait de comparer l'attribution des appels d'offres du gouvernement sud-africain à une base de données de fonctionnaires, afin de démasquer les réseaux de trafic d'influence.

La Banque mondiale a récemment organisé un symposium sur l'utilisation des outils de données pour détecter et mesurer la corruption et pour évaluer l'efficacité des politiques destinées à la combattre. Parmi les instruments d'analyse appliqués en grande partie en Europe figurent les mécanismes européens de responsabilité publique, qui examinent le financement politique et les marchés publics. Un autre mécanisme, Opentender, analyse les données relatives aux appels d'offres provenant principalement de juridictions européennes. Ces instruments pourraient être reproduits en Afrique avec un soutien financier suffisant.

Les gouvernements africains soucieux de démocratie devraient équiper leurs enquêteurs et leurs procureurs de nouveaux outils de données

L'utilisation de techniques de recherche à code source ouvert par des organisations telles que Bellingcat a permis à des chercheurs d'accéder à des outils en ligne gratuits. Il s'agit notamment de programmes ou d'applications permettant de suivre les mouvements des navires et des avions en temps réel et de géolocaliser des individus ou des objets tels que du matériel militaire. Il fournit également une technologie d'ingénierie inverse pour vérifier et accéder à des bases de données de téléphones et d'e-mails.

Les méthodologies de Bellingcat sont fréquemment rendues publiques, et leurs conclusions ont fait état de violations présumées des droits humains en Afrique, notamment au Cameroun et au Burundi, qui ont servi de catalyseur à des enquêtes judiciaires. Elles ont également permis de déceler des campagnes d'information concernant la célèbre famille Gupta en Afrique du Sud et de faire la lumière sur les opérations obscures du groupe russe Wagner en Afrique.

L'accès à des données alternatives est un puissant rempart contre les tentatives de destruction de l'espace démocratique, en particulier lorsque les organes de presse sont réduits au silence et que les réseaux sociaux sont désactivés dans de nombreux pays africains. Il paraît évident que le monopole de l'information dont ont bénéficié de nombreux États pendant des années est progressivement révolu.

Pour les gouvernements africains qui s'engagent à consolider leurs démocraties, il s'agit d'une occasion pour les procureurs, les enquêteurs et autres fonctionnaires d'État de s'armer de nouveaux outils de données. Ils devraient s'approprier le pouvoir des mégadonnées pour faciliter la responsabilisation et la rentabilité, pour lutter contre la criminalité et pour améliorer la prestation de services, établissant ainsi une norme que les autres États africains pourront suivre.

Les décideurs africains et leurs partenaires devraient envisager de travailler avec des institutions universitaires et le secteur privé pour développer des bases de données similaires aux outils de responsabilisation mis en place en Europe. Ainsi, les citoyens disposeraient d'informations leur permettant de confronter les transgressions et les enquêteurs bénéficieraient de pistes pour rassembler des preuves supplémentaires afin d'engager des poursuites.

Karen Allen, consultante, ISS Pretoria

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Crédit photo : Amelia Broodryk/ISS

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