JOHN WESSELS / AFP

Le nouveau président va-t-il bouleverser les relations extérieures du Sénégal ?

Malgré la rhétorique pré-électorale, les principes de longue date et les réalités contextuelles pourraient guider les engagements régionaux et internationaux du Sénégal.

L'élection le 24 mars de Bassirou Diomaye Faye, le plus jeune président de l’histoire du Sénégal, a été célébrée au niveau national et international comme une confirmation de la forte tradition démocratique du pays.

Pour les observateurs, les citoyens sénégalais, en particulier les jeunes, le Conseil constitutionnel, la société civile et les acteurs religieux et politiques ont fait preuve d'une résistance impressionnante pour traverser une crise politique souvent violente qui a duré trois ans. Ils ont fait face avec succès aux tentatives de prolongation du mandat présidentiel de Macky Sall.

Mais ces éloges s'accompagnent d'une incertitude quant à la manière dont Faye et son mentor politique Ousmane Sonko, nommé Premier ministre, pourraient mener les relations extérieures du Sénégal. Sonko, critique virulent de Sall, disqualifié des élections à la suite de son procès et de son emprisonnement pour « corruption de la jeunesse », a soutenu la candidature de Faye à la présidence.

Bien que la brièveté de la campagne n'ait pas permis aux candidats de présenter leur programme en détail, la rhétorique préélectorale de Faye et Sonko soulève des questions quant à un éventuel repositionnement du Sénégal. Leur parti, les Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l'éthique et la fraternité, et leurs alliés politiques, formant une coalition, avaient présenté un programme de campagne appelant à la reconquête de la souveraineté du Sénégal.

Ces éloges s'accompagnent d'une incertitude sur les relations extérieures du Sénégal

Celui-ci proposait de réformer le franc CFA et éventuellement d'introduire une nouvelle monnaie nationale, d'assurer des partenariats internationaux mutuellement bénéfiques et de renégocier les contrats relatifs à l’exploitation des ressources naturelles considérés comme léonins.

La politique étrangère du Sénégal met traditionnellement l'accent sur les relations avec quatre partenaires stratégiques principaux : la France, l'Arabie Saoudite, les États-Unis et le Maroc. Elle s'appuie également sur des principes auxquels les gouvernements qui se sont succédé depuis l'indépendance n'ont pas dérogé. L'engagement en faveur de l'intégration et de l'unité africaines, le respect de la charte des Nations unies et du droit international, ainsi que la promotion de la stabilité régionale sont des éléments clés de ces principes.

Le pragmatisme et la non-exclusivité dans les relations bilatérales et multilatérales sont tout aussi importants. Cela signifie que le Sénégal est ouvert aux relations avec tous les pays et partenaires sans exception, dans la mesure où cela sert ses intérêts nationaux. Bien que ces principes puissent guider la présidence de Faye, les réalités contextuelles pourraient entraîner des changements d’orientations particuliers.

Les dimensions économiques des relations extérieures du Sénégal constituent un domaine important. Le programme de la coalition au pouvoir appelle à des politiques panafricanistes de gauche garantissant une plus grande appropriation et une meilleure gestion des ressources nationales. Dans son premier discours, le président Faye a annoncé la réalisation d’audits des secteurs pétrolier, gazier et minier. De plus, le nouveau ministre de l'Énergie et des Mines, Birame Souleye Diop, a indiqué que les contrats en cours pourraient être renégociés à l'issue des audits.

Les réalités contextuelles pourraient entraîner des changements d’orientations particuliers

Ceci répond aux préoccupations de l’opinion qui considère que certains de ces contrats n'auraient pas été négociés dans l'intérêt du Sénégal et qu’ils ne profiteraient pas aux citoyens ordinaires. Les partenaires extérieurs et les investisseurs peuvent s'attendre à une certaine forme de patriotisme économique.

Cependant, le Sénégal pourrait adopter une approche plus prudente concernant l'avenir du franc CFA et de l'adhésion du Sénégal à l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Le président Faye et le Premier ministre Sonko ont tous deux critiqué l'absence de souveraineté monétaire. Le franc CFA, partagé avec sept autres membres de l'UEMOA, est rattaché à l'euro et la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO), basée à Dakar, conduit la politique monétaire. Ils avaient donc plaidé pour une sortie de ce qu'ils considèrent comme la tutelle de la France sur la BCEAO et pour le remplacement du franc CFA par une monnaie qui bénéficierait davantage aux économies locales.

Sonko a clarifié sa position lors d'une conférence de presse préélectorale, en déclarant qu'une nouvelle monnaie ne serait introduite que si les réformes du franc CFA au niveau sous-régional échouaient. La nomination d'Abdourahmane Sarr, un économiste connu pour sa position réformiste sur la monnaie, au poste de ministre de l'Économie, du Plan et de la Coopération, montre qu'il a l'intention d'aller jusqu'au bout de la réforme. Il semble toutefois être conscient des complexités pratiques et des conséquences potentielles d'un remplacement, notamment en ce qui concerne la gestion des taux de change et les effets inflationnistes.

De même, il est peu probable que des changements significatifs interviennent dans les engagements régionaux. Le Sénégal est un membre actif de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) qu'il considère comme un partenaire important dans la mise en œuvre de sa politique de stabilité régionale, en particulier dans les pays voisins que sont la Guinée-Bissau et la Gambie. La stabilité dans ces deux pays, qui bordent la région méridionale de la Casamance, est également considérée comme essentielle pour trouver une solution définitive au conflit qui sévit depuis longtemps dans cette région.

Ceci explique en partie le soutien du Sénégal à la mission de la CEDEAO en Gambie, malgré la lassitude croissante de certains Gambiens, et sa contribution en troupes à la mission d'appui à la stabilisation de la CEDEAO en Guinée-Bissau. A cet égard, les nouvelles autorités devront s'attacher à renforcer les relations non seulement entre les États, mais aussi entre les populations.

La sécurité et les avantages économiques, y compris l'accès au marché de la CEDEAO qui compte environ 394 millions de personnes, impliquent qu'une CEDEAO faible n'est pas bénéfique pour le Sénégal. En fait, la coalition au pouvoir s'est engagée à contribuer aux réformes des institutions de la CEDEAO pour qu'elles tiennent compte des populations. 

Promouvoir une CEDEAO plus forte signifie que le Sénégal peut contribuer à ramener le Burkina Faso, le Mali et le Niger, qui ont formé l'Alliance des États du Sahel (AES) en septembre 2023 et se sont retirés en janvier de la CEDEAO en raison de sa gestion de leurs coups d'État. Malgré les marques de soutien passées de Sonko en faveur d'Assimi Goïta au Mali, et les idéaux panafricanistes et souverainistes communs aux nouveaux dirigeants sénégalais et à leurs homologues sahéliens, l'élection triomphale des nouvelles autorités a confirmé le statut du Sénégal en tant que démocratie forte. Cela rend improbable une union avec les pays dirigés par les militaires.

La présence des trois pays de l'AES à l'investiture du président Faye démontre toutefois qu'il souhaite maintenir des relations cordiales avec eux tout en travaillant sur les réformes de la CEDEAO et en contribuant éventuellement à créer les conditions de leur retour.

On pourrait s'attendre à ce que le Sénégal maintienne une posture pragmatique. Celle-ci implique notamment de développer ses relations existantes et d’établir de nouveaux partenariats, tout en étant sensible aux sentiments anti-impérialistes et panafricains d'une population majoritairement jeune.

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