Le nord du Cameroun au centre du trafic transfrontalier d’armes
La coopération sous-régionale est la clé de la lutte contre la prolifération des armes dans le bassin du lac Tchad.
Publié le 27 février 2024 dans
ISS Today
Par
Célestin Delanga
chargé de recherche, Afrique centrale et bassin du lac Tchad, ISS
Extrême Nord Cameroun Source : ISS (Cliquez sur l’image pour voir l'infographie en taille réelle)
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Le Cameroun septentrional est devenu une plaque tournante du trafic transsahélien de munitions et d’armes légères et de petit calibre. Face à ce phénomène qui a entrainé une insécurité régionale depuis 1980, les États de la Commission du bassin du lac Tchad ont créé en 1994 la Force multinationale mixte (FMM). Par la suite, l’avènement de Boko Haram et son extension au Cameroun à partir de 2013 a donné un coup d’accélérateur au trafic d’armes.
En septembre 2013, un stock important de fusils AK-47 a été saisi à l’arrière d’un pick-up à Maroua. En janvier 2014, un homme tentant d’acheminer 655 armes à feu au Nigéria a été intercepté à Maroua également. En 2019, l’armée a saisi et détruit 2 500 armes à feu, munitions et autres armes de fabrication locale à Garoua. En novembre 2022, une trentaine d’armes et plusieurs centaines de munitions ont été saisies à Touboro. En mai 2023, des casques, munitions et plusieurs autres équipements militaires ont été confisqués à Guider.
Le Cameroun septentrional couvre les régions de l’Extrême-Nord, du Nord et de l’Adamaoua, faisant partie de la ceinture sahélienne. Cette zone transfrontalière avec le Nigéria, le Tchad et la République centrafricaine (RCA) est le théâtre de nombreux mouvements et trafics.
En raison des différentes insurrections auxquelles il a été confronté, le Nigéria est un terreau fertile pour la fabrication d’armes artisanales.
En 10 ans, les forces de défense camerounaises ont saisi et détruit plus de 3000 armes et équipements militaires
Au Tchad, la succession d’épisodes de conflits depuis les années 1970, les rébellions, notamment celle du Mouvement pour la démocratie et le développement (MDD), né en 1991, et les renversements des pouvoirs politiques ont entraîné la prolifération d’armes légères. Couplée à diverses formes d’extrémisme violent, la rébellion des Forces armées révolutionnaires du Sahara (FARS) qui s’est développée au cours des années 1990 dans les régions nigériennes de Diffa et Agadez, frontalières du Tchad, a également favorisé la circulation d’armes. Enfin, la proximité du Tchad avec la Libye, particulièrement éprouvée par une série de guerres civiles depuis plusieurs décennies, enlise la situation.
La RCA, quant à elle, connaît un long cycle d’instabilité sociopolitique. Entre 2004 et 2014, le pays a vécu trois guerres civiles sanglantes. Les groupes en conflit ont pratiqué un intense trafic d’armes qui a conduit le Conseil de sécurité de l’ONU à prononcer un embargo en 2013. Malgré cette décision, les armes ont continué à circuler.
Selon les informations recueillies par l’ISS, les couloirs de passage de ces armes sont ceux empruntés par le commerce illicite, les flux migratoires et la transhumance. Pour atteindre Boko Haram, les armes en provenance du Tchad transitent par N’Djamena, Kousseri et Fotokol au Cameroun puis Gambaru au Nigéria, ou passent par Mora et ses environs. En parallèle, des armes quittent les bastions de Boko Haram pour alimenter l’insécurité dans le nord du Cameroun. Leur itinéraire suit un axe entre Gwoza au Nigéria, Mayo-Tsanaga et Mayo-Louti ou Bénoué au Cameroun.
Les armes en provenance du Tchad et de la RCA, utilisés pour les enlèvements contre rançon dans les régions du Nord et de l’Adamaoua, passent respectivement par Touboro et Garoua-Boulaï. Les armes en provenance du Niger et du Soudan empruntent quant à elles les axes de transhumance transfrontalière dont une bonne partie converge vers le nord du Cameroun.
Les trafiquants d’armes se passent pour des transporteurs alors que certains nomades servent de passeurs
Les trafiquants usent de divers subterfuges pour acheminer les armes. Se faisant passer pour des commerçants, ils les dissimulent souvent dans des marchandises, notamment des sacs de céréales. D’autres se déguisent en transporteurs de biens et de personnes, cachant les armes dans leur véhicule. Plusieurs nomades se déplaçant à l’intérieur des pays susmentionnés et entre eux sont également des passeurs d’armes.
Ces armes constituent un réel problème pour la sécurité des personnes et de leurs biens. Au-delà de ce fait, elles peuvent contribuer à enliser les conflits communautaires existants dans la région, notamment les différends entre agriculteurs et éleveurs ou entre populations autochtones et allogènes, les conflits de succession, les antagonismes religieux, etc. Il est donc urgent de prendre des mesures drastiques pour stopper leur prolifération.
Une loi de 2016 punit de trois mois à deux ans d’emprisonnement tout trafic d’armes. En 2018, le Cameroun a accueilli la conférence des États de l’Afrique centrale parties à la Convention de Kinshasa pour le contrôle des armes légères et de petit calibre. Une rencontre entre le Cameroun et le Nigéria a également eu lieu en septembre 2022 afin d’envisager une collaboration pour lutter contre ce phénomène.
Sur le terrain, les forces de défense et de sécurité parviennent à saisir des armes au cours de leurs opérations. Mais face à l’ampleur croissante du problème, cela ne suffit pas. La loi de 2016 ne punit pas assez sévèrement un trafic qui met en péril la sécurité des populations et la stabilité nationale. Enfin, il faut plus de volonté politique pour traduire les recommandations des conférences en actes.
Les polices nationales aux frontières du Cameroun, du Nigéria, du Tchad et de la RCA doivent s’équiper et coordonner leurs actions
Pour une lutte efficace contre ce phénomène, il est essentiel de prendre des mesures concrètes sur trois niveaux : national, régional et interrégional. Au niveau national, le Cameroun ainsi que les pays frontaliers doivent travailler au renforcement de leurs politiques nationales de lutte contre le trafic d’armes en durcissant les mesures de répression. Les comités de vigilance, en plus de donner l’alerte en cas de menace pour la sécurité, doivent participer à la collecte de renseignements sur la circulation d’armes.
Au plan régional, les gendarmes, policiers, militaires, écogardes et douaniers du Cameroun, du Nigéria, du Tchad et de la RCA postés aux frontières doivent être dotés d’une capacité logistique conséquente et disposer d’une plateforme de collaboration leur permettant de coordonner leurs actions en matière de lutte contre le trafic d’armes, en coopération étroite avec les communautés.
Au niveau intra et interrégional, enfin, les comités ad hoc en charge du phénomène tels que la FMM ou la Convention de Brazzaville doivent partager leurs expériences. Ce n’est qu’à ce prix que le phénomène de trafic d’armes peut être combattu.
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