Le Cameroun ne peut à lui seul endiguer l’afflux d’armes illicites dans le pays
Face à un conflit séparatiste et à l’extrémisme violent, le Cameroun doit obtenir l’aide du Nigeria et du Tchad voisins.
Publié le 26 août 2021 dans
ISS Today
Par
Oluwole Ojewale
coordinateur de l’Observatoire régional du crime organisé ENACT - Afrique centrale, ISS
La prolifération d’armes illégales au Cameroun accroît la violence et l’insécurité dans un pays déjà aux prises avec des attaques extrémistes violentes et un conflit séparatiste.
Le Conseil économique, social et culturel de la Commission de l’Union africaine estime qu’au moins 120 000 armes légères et de petit calibre sont en circulation illégale au Cameroun, notamment des revolvers, des pistolets, des fusils, des fusils d’assaut et des mitrailleuses. Cependant, selon les données fournies par Paul Atanga Nji, ministre de l’Administration territoriale, le gouvernement n’a accordé que 3 800 autorisations de port de munitions de petit calibre.
Le 8 juin, le président de l’Assemblée nationale du Cameroun, Cavayé Yeguié Djibril, a déclaré que les armes illicites détenues par des civils devaient être récupérées de toute urgence, face à la montée de la criminalité et de l’insécurité.
Tout porte à croire qu’il existe un lien étroit entre le trafic d’armes à destination du Cameroun et la recrudescence de la criminalité dans la capitale Yaoundé et les deux régions anglophones du pays, le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, en proie à une insurrection permanente et à un conflit séparatiste. L’augmentation récente du nombre d’attaques de Boko Haram contre des civils dans les villes et villages de l’Extrême-Nord va également dans ce sens.
Les régions du Cameroun (cliquez sur le carte pour agrandir l'image)
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Le Cameroun et le Nigeria collaborent depuis longtemps dans la lutte contre la prolifération des armes. Ces efforts devront s’intensifier face aux avancées de l’État islamique dans la province d’Afrique de l’Ouest, notamment celles qui sont signalées le long des frontières du Cameroun, du Nigeria et du Tchad. Ces incursions risquent d’accroître les flux d’armes illégales entrant au Cameroun.
Selon les estimations prudentes des habitants de ces régions interrogés par le projet ENACT sur le crime organisé, il existerait plus de 250 sentiers menant des États nigérians de Borno, d’Adamawa et de Benue jusqu’au Cameroun. Ces pistes sont, pour la plupart, inconnues des forces de sécurité, notamment de la Force multinationale mixte, offrant ainsi un passage sans entrave aux trafiquants d’armes dans le pays.
Le Cameroun est depuis longtemps un pays d’origine, de transit et de destination du trafic d’armes. En septembre 2013, 5 400 fusils AK-47 ont été saisis à Maroua, la capitale de la région du Nord. En janvier 2014, les forces de sécurité ont arrêté un homme qui tentait de transporter 655 armes à feu vers le Nigeria. En 2018, l’armée aurait fait une descente dans un entrepôt exploité par des ressortissants camerounais, contenant une cache de 10 500 cartouches de munitions et une quantité d’explosifs, de fusils et de coutelas dont le nombre exact n’avait pas été divulgué.
En 2019, l’armée camerounaise a arrêté plusieurs hommes et a saisi et détruit 2 500 fusils, munitions et autres armes de fabrication locale qui auraient circulé le long de la frontière nord avec le Tchad et le Nigeria. Ces armes illégales ont été saisies chez des trafiquants, des preneurs d’otages, des braconniers et des combattants présumés de Boko Haram.
Selon une source policière à Garoua, de nombreuses armes à feu illicites ont été saisies. au cours des deux dernières années, chez des revendeurs du nord du Cameroun, en provenance de pays en proie à des conflits comme le Soudan, le Nigeria et le Tchad.
Le Cameroun est depuis longtemps un pays d’origine, de transit et de destination du trafic d’armes
Les trafiquants d’armes dans cette partie du Cameroun comprennent Boko Haram, les milices communautaires, les rebelles séparatistes et les gangs qui se livrent au banditisme dans les espaces frontaliers non gouvernés reliant le Cameroun, la République centrafricaine et le Tchad. Dans cette zone connue sous le nom de « Triangle de la mort », les habitants sont victimes de meurtres, de viols, d’enlèvements et de vols de bétail.
La mort du président tchadien Idriss Déby en avril 2021 a également suscité des inquiétudes quant à l’augmentation du trafic d’armes du Tchad vers le Nigeria et le Cameroun. Les observateurs craignent pour la stabilité future des États voisins d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale, car l’armée de Déby constituait un rempart contre les menaces extrémistes violentes au Sahel et dans le bassin du lac Tchad.
Les multiples approches et politiques adoptées par le gouvernement camerounais pour lutter contre le trafic d’armes et les problèmes connexes se sont révélées inefficaces. Une loi adoptée en 2016 a rendu passible de trois mois à deux ans d’emprisonnement ou d’une amende la possession illégale d’une arme à feu dans le but de troubler la paix ou d’effrayer autrui.
L’armée a un rôle majeur à jouer pour endiguer le flux d’armes dans le pays. Cependant, en raison du manque de personnel, il est quasi impossible d’organiser des patrouilles pour contrôler les longues frontières que le pays partage avec le Nigeria et avec le Tchad.
Le Cameroun a mis à disposition des ressources limitées pour déployer des soldats et des policiers dans le nord, marqué par l’instabilité
Le Cameroun a alloué peu de ressources au recrutement, à la formation et au déploiement de soldats et de la police des frontières dans le nord du pays, marqué par l’instabilité. Cela permettrait pourtant d’améliorer la surveillance et le renseignement. En revanche, l’inaction et la corruption dans le secteur de la sécurité et parmi les fonctionnaires des douanes permettent aux armes de circuler sans interruption dans les couloirs du nord. Les renseignements fournis par la police pour identifier et suivre les groupes qui vendent des armes sont également insuffisants.
En termes de réponse régionale, le Cameroun a accueilli en 2018 la première conférence des États parties à la Convention d’Afrique centrale pour le contrôle des armes légères et de petit calibre. Cette réunion, connue sous le nom de Convention de Kinshasa, visait à trouver des solutions au trafic d’armes dans la région. Compte tenu de la situation actuelle, déjà désastreuse, il est nécessaire de faire le point sur ce qui a été réalisé depuis la ratification de la Convention en 2017.
Les efforts de la Force multinationale mixte pour renforcer la sécurité des frontières entre le Cameroun, le Tchad et le Nigeria sont insuffisants. L’un des problèmes fondamentaux demeure celui du manque de ressources permettant de recruter, former et soutenir les militaires et de répondre aux impératifs opérationnels de la lutte contre le trafic d’armes. Il y a également peu de preuves de collaboration entre les services de renseignement de défense des trois pays.
La stabilisation de la situation devrait être une priorité pour le Cameroun. Toutefois, elle doit être traitée dans le cadre d’un plan d’investissement dans le développement humain et infrastructurel dans le nord du pays. Il est essentiel de s’attaquer aux problèmes sous-jacents de la région pour garantir une stabilité à long terme, ce qui semble actuellement hors d’atteinte.
Oluwole Ojewale, coordinateur régional de l’Observatoire du crime organisé ENACT – Afrique centrale, ISS Dakar
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