Le commerce illégal des médicaments au Congo-Brazzaville se poursuit
Le secteur de la santé publique souffre d’un approvisionnement insuffisant en médicaments abordables et d’un manque de pharmacies.
Publié le 22 avril 2025 dans
ISS Today
Par
Raoul Sumo Tayo
chercheur principal, ENACT Observatoire du crime organisé en Afrique centrale, ISS
En août 2024, le président de la République du Congo, Denis Sassou Nguesso, a reçu un prix de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) pour son engagement à promouvoir la santé en Afrique et dans son pays. Pendant dix ans, il a lutté contre le commerce des médicaments contrefaits, au Congo et sur l'ensemble du continent.
Cependant, le commerce des faux médicaments et des médicaments non autorisés au Congo-Brazzaville persiste. Dans les grandes villes comme Brazzaville et Pointe-Noire, l’approvisionnement en médicaments est assuré à 59 %par le secteur privé et à 28 % par le commerce illégal, les 13 % restants étant fournis par le système de santé public.
Ces statistiques révèlent les difficultés du secteur de la santé publique, caractérisée par une faible disponibilité des médicaments dans les établissements de santé, un manque de pharmacies et une répartition territoriale des officines inéquitable. Les médicaments fournis par les sources officielles sont coûteux, même les médicaments génériques qui peuvent être sept fois plus chers que leurs prix de référence internationaux.
En revanche, les bana manganga offrent un accès généralisé à divers médicaments, notamment des antibiotiques et des analgésiques. Ce terme désigne à la fois les vendeurs et la pratique de la vente de drogues illicites, bana signifiant « les enfants de » et manganga, « médicaments ». Les médicaments de la rue sont moins chers, accessibles à crédit et disponibles en petites quantités.
Ray Mankele, pharmacien et président de la Fondation congolaise pour l'accès aux médicaments, explique que l'utilisation continue de médicaments illicites est liée à la faible sensibilisation du public aux effets néfastes potentiels de ces produits. Les médicaments génériques, qui peuvent être moins chers que les médicaments de la rue, sont également peu connus. Souvent, les pharmaciens ne les recommandent pas, préférant profiter des prix des médicaments de référence.
28 % des médicaments des grandes villes proviennent du commerce illégal
Les médicaments illicites sont pour la plupart du temps vendus par des jeunes gens sans formation en santé, qui font office de prescripteurs, de distributeurs et de grossistes. Ils sont exposés sur des étals de fortune, dans des conditions d'insalubrité qui peuvent compromettre leur qualité. Ces médicaments échappent à la régulation des autorités sanitaires, ce qui limite sérieusement leur efficacité et leur sécurité.
Parmi les vendeurs, on trouve aussi d’anciens combattants de la guerre civile de 1997 qui essaient ainsi de boucler leur fin de mois. La vente de médicaments dans la rue est pour eux une forme de réinsertion économique, comme nous l’a expliqué un journaliste local qui a requis l'anonymat.
Les chaînes d'approvisionnement et les réseaux de distribution de la criminalité transnationale organisée facilitent le processus de bana manganga. Un fonctionnaire de la police congolaise locale a déclaré au projet ENACT sur la criminalité organisée qu'une grande partie du trafic illicite provenait de la République démocratique du Congo (RDC).
Shalina Healthcare, la branche congolaise d'une firme pharmaceutique indienne connue pour ses prix abordables, produit des médicaments qui sont autorisés par la RDC mais pas par le Congo-Brazzaville. Ces médicaments entrent dans le pays à travers des chaînes d'approvisionnement illicites, sont stockés de manière inappropriée et vendus par des vendeurs non qualifiés.
Des médicaments de rue plus chers et non autorisés, en provenance de l'Inde et de la Chine, sont également introduits en contrebande à partir du Nigeria. Le Congo sert aussi de plaque tournante pour la distribution de médicaments illicites dans les pays voisins, notamment le Cameroun, l'Angola et le Gabon. En juillet 2024, environ 80 000 comprimés contrefaits en provenance du Congo ont été saisis au Gabon.
Les désaccords sur la définition des médicaments illicites compliquent les cadres juridiques
Les entretiens menés par ENACT avec des journalistes, des pharmaciens et des policiers révèlent que la distribution de ces médicaments est bien établie. Les flux sont facilités par le laxisme dans les contrôles aux frontières et la corruption de fonctionnaires qui détournent les médicaments des centrales d'achat publiques ou des pharmacies pour les vendre aux bana manganga. Les grossistes introduisent illégalement les médicaments dans les villes, approvisionnent les hôpitaux publics et fournissent directement les vendeurs des rues.
Ce commerce illicite compromet les résultats en matière de santé. Selon un rapport de Global Health Progress, environ 170 000 enfants meurent chaque année de pneumonie en raison de médicaments de mauvaise qualité ou contrefaits, rien qu'en Afrique subsaharienne. Au niveau mondial, le commerce illégal de médicaments génère des profits considérables pour les organisations criminelles. Leur rendement serait jusqu'à 20 fois supérieur à celui du trafic d'héroïne.
Les faux médicaments mettent également en péril l'état de droit au Congo. En 2021, une pharmacie appartenant au président d'une association de pharmaciens a été saccagée à la suite d'une répression policière contre les bana manganga. Cela n’a donné lieu à aucune arrestation ou poursuite, laissant les pharmaciens dans un état de vulnérabilité.
En 2016, le Congo-Brazzaville a signé la convention MEDICRIME pour lutter contre la criminalité pharmaceutique. En 2017, le président Sassou Nguesso a exhorté la communauté internationale à donner la priorité à la lutte contre les faux médicaments et a veillé à ce que le pays participe activement à l'Initiative de Lomé contre le trafic de produits médicaux de qualité inférieure et falsifiés.
En juin 2023, le Congo-Brazzaville a adopté le plan régional de la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale pour lutter contre les médicaments contrefaits et les réseaux de distribution illicites. Au niveau national, la lutte contre ce commerce est un point focal de la politique de santé.
Les prix des génériques doivent être abordables et il faut sanctionner la corruption
Cependant, les intentions politiques n’ont pas été suivies d’effets. Le manque de statistiques sur l'ampleur, les types et les effets des médicaments illicites conduit à un certain scepticisme sur leurs risques et à un manque d'urgence dans la réaction face à ce problème.
Bien que le gouvernement ait adopté les définitions de l'OMS concernant les produits « de qualité inférieure », « non homologués » et « falsifiés », il n'a pas la capacité d'assurer le contrôle de leur qualité. Il faudrait notamment effectuer des contrôles efficaces après la mise sur le marché et des études de bioéquivalence pour tous les médicaments.
La fabrication des médicaments importés n’est pas correctement contrôlée, bien que les pharmaciens congolais plaident en faveur d'un règlement élargi sur les médicaments importés, notamment en ce qui concerne les conditions de conservation et de manipulation.
Malgré la signature de l'Initiative de Lomé, les lois contre la vente et la possession de médicaments en dehors des circuits officiels ne sont pas appliquées, ce qui permet aux vendeurs de mener leurs activités avec un risque minimal. Les descentes de police sporadiques n'empêchent guère les bana manganga de continuer à vendre après leurs passages. Le désaccord entre les parties prenantes sur la définition des médicaments illicites complique l’élaboration de cadres juridiques et de mesures répressives pour décourager et sanctionner les activités criminelles liées à ce commerce.
Bien que le Congo ait fait des progrès en créant une centrale d'achat des médicaments essentiels en 2015 et en adoptant une politique pharmaceutique, des problèmes demeurent.
Il faut davantage de pharmacies et elles doivent être mieux réparties. Deux autres conditions sont essentielles : l'accès à des génériques à des prix abordables et l’application de sanctions sévères contre la corruption le long de la chaîne de distribution illégale. Sans ces mesures, les efforts pour superviser l'importation des médicaments de qualité, former les douaniers à l'inspection des produits médicaux et imposer des sanctions pénales contre le commerce illégal ont peu de chances d'aboutir.
Il faut définir un processus spécifique pour parvenir à un consensus sur les définitions opérationnelles des médicaments illicites et diffuser des campagnes de sensibilisation qui soulignent les avantages des médicaments génériques et les risques pour la santé associés aux médicaments illégaux.
Cet article a été publié pour la première fois par ENACT.
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